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mercredi 28 août 2013

MAROC Ces artistes qui dérangent



Dans les murs des anciens abattoirs de Casablanca, la Fabrique culturelle est un espace voué à la création artistique, un lieu toléré sans être officiellement reconnu. Le reportage du New York Times.

   
Un cliché des Abattoirs de Casablanca pris lors des journées du patrimoine, le 6 avril 2013 - La Fabrique Culturelle/Abattoirs de Casablanca 
 Un cliché des Abattoirs de Casablanca pris lors des journées du patrimoine, le 6 avril 2013 - La Fabrique Culturelle/Abattoirs de Casablanca
 
Le soleil se couche sur une banlieue de Casablanca tandis que les mouettes tournent autour d'un bâtiment délabré. Au premier regard, le vieil abattoir de la ville, un complexe de bâtiments néomauresques des années 1920, étonnamment séduisant, semble abandonné. Ce n'est pas le cas.
A l'intérieur, un ruban impressionnant de graffitis et de fresques court sur les murs. Dans l'un des bâtiments, quelques personnes regardent un documentaire lyrique sur trois vieux Marocains qui continuent, malgré leur âge, à exercer le métier qu'ils ont commencé dans leur enfance. Dans une cour, des enfants jouent sur des cages à écureuil construites par des étudiants en design danois en collaboration avec des artisans locaux.
J'ai découvert la Fabrique culturelle la dernière fois que je me suis rendu au Maroc, il y a trois ans. Ce projet a été lancé il y a cinq ans par des artistes marocains qui souhaitaient transformer ce vaste espace délabré, situé au milieu du quartier populaire de Hay Mohammadi, en centre culturel où les jeunes Marocains pourraient à la fois produire et consommer leur propre art.
Les associations culturelles qui administrent le site voulaient qu'il soit gratuit, accessible et ouvert à toutes les formes d'art contemporain. La Fabrique accueille régulièrement des événements – concerts de nombreux bons groupes de la ville, défilés de mode, concours de hip-hop et projections de films. Tout le monde peut y organiser un événement, il y a de la place pour des ateliers et des répétitions. "La nouvelle scène du théâtre, de la musique et de la danse est très dynamique, explique Dounia Benslimane, la coordinatrice du projet, mais il lui manquait un espace."

Les artistes ne peuvent pas collecter de fonds
Toute cette activité prometteuse est pourtant précaire et ne fonctionne qu'à l'optimisme et à la détermination. Les autorités de la ville, qui sont propriétaires de l'abattoir et avaient encouragé sa reconversion, traînent des pieds pour officialiser l'arrangement. Or sans arrangement officiel avec la ville, les artistes ne peuvent pas rénover les lieux ni collecter de fonds. "On a frappé à toutes les portes, confie Benslimane, mais personne ne répond."
C'est peut-être parce que ce qui se passe à l'abattoir n'entre pas dans la vision étroite que les autorités ont de la culture. Les festivals de musique, qui sont fréquents dans le pays, présentent en général des groupes de musique traditionnelle marocaine ou de grands noms occidentaux pour attirer les touristes et donner une image soignée du pays. Le rap, en revanche, qui est l'une des formes les plus répandues de la culture des jeunes, est considéré comme peu recommandable et dangereux. El Haqed (L'Enragé), un rappeur célèbre, a été condamné à un an de prison en 2012 en raison d'une chanson dans laquelle il insultait la police.
Cette année, l'une des associations qui gère la Fabrique culturelle a invité des représentants des différents partis politiques à débattre de leur conception de la culture en une série de conférences. Elles ont posé trois questions aux participants : Quels espaces choisiriez-vous pour des activités culturelles ? Comment les financeriez-vous ? Et comment feriez-vous pour toucher des publics différents ?

Des espaces ouverts et abordables
Malheureusement, déclare la journaliste Kenza Sefrioui, qui était l'un des organisateurs des conférences, les réponses ont été pauvres en détails et riches en platitudes. Et le Parti de la justice et du développement, le mouvement islamiste qui dirige le gouvernement, n'a pas envoyé de représentant.
Pour Mme Sefrioui, la philosophie de la Fabrique culturelle – indépendance, participation et "démocratie citoyenne" – prend les autorités dans le mauvais sens du poil. "Elles ont décidé que nous n'avions le droit d'exister que de façon informelle."
Dans tout le monde arabe, les artistes sont coincés entre des bureaucrates qui ont une conception hiérarchique de la culture – celle-ci étant pour eux une activité que l'Etat finance et contrôle – et les islamistes qui veulent souvent que les arts soient censurés pour manque de respect ou obscénité. Il est très difficile de trouver des espaces ouverts et abordables dans les villes surpeuplées de la région.
Pourtant les jeunes Arabes seront probablement de moins en moins enclins à accepter que leur voix ne soit pas entendue. La transformation officielle de l'abattoir de Casablanca en espace de création est un projet important pour le Maroc comme pour toute la région. Les autorités ont tort de ne pas la soutenir davantage. Elles ne devraient pas avoir peur de l'idée que les jeunes se réunissent et s'expriment librement. Ce qui est dangereux, c'est de ne leur donner aucun espace pour cela.

 http://www.courrierinternational.com/article/2013/08/25/ces-artistes-qui-derangent


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