Ces jours-ci, l'opinion publique est travaillée au corps en vue d'une intervention militaire en Syrie. Une telle intervention était dans l'air depuis un bon moment. La question est de savoir pourquoi elle arrive à ce moment-ci et surtout, quel est son objectif. Tentative de réponse par Marc Vandepitte.
Chronique d'une intervention annoncée
La stratégie élaborée en vue d'intervenir en Syrie était prévisible
et en réalité déjà connue. En avril 2012, un haut conseiller de Tony
Blair notait déjà la recette d'une telle intervention. Il était
important que l'armée ou le gouvernement outrepasse une limite qui soit
intolérable pour l'opinion publique étrangère. Quatre mois plus tard, en
août 2012, Obama indiquait quelle serait cette limite : l'usage d'armes
chimiques ou biologiques. http://www.dewereldmorgen.be/artike... http://edition.cnn.com/2012/08/20/w...
La menace a été brandie avec la régularité d'un métronome, mais elle
ne s'est jamais concrétisée. A la mi-juin Washington affirmait pour la
première fois disposer des preuves de l'utilisation d'armes chimiques
par l'armée syrienne. Sur base de cette prétendue preuve – qui n'est
jamais venue – un appui militaire plus important a été promis aux
rebelles. http://www.theguardian.com/world/20...
Aujourd'hui il n'y a pas davantage de preuve et on peut douter que
l'armée syrienne ait procédé à une attaque chimique. A ce propos,
Stratford, un groupe de réflexion et d'information privé très proche de
l’administration étatsunienne, déclare : « Assad est un homme
impitoyable. Il n'hésiterait pas à utiliser des armes chimiques si
c'était nécessaire. Mais c'est aussi un homme très rationnel. Il se
servirait d'armes chimiques uniquement si c'était la seule option qui
lui reste. En ce moment on voit difficilement quelle situation
désespérée l'aurait poussé à user d'armes chimiques et à risquer le
pire. Ses adversaires sont tout aussi impitoyables et on peut imaginer
qu'ils utilisent des armes chimiques pour forcer les Etats-Unis à
intervenir et à renverser Assad. (…) Il est possible que le nombre de
victime soit bien inférieur à ce qui a été allégué. Et il est possible
que certaines images aient été falsifiées. Tout cela est possible, mais
nous ignorons tout bonnement quelle est la vérité ». http://www.stratfor.com/weekly/obam...
Évidemment, les USA apporteront encore des « preuves ». Mais depuis
les « preuves solides » d'armes de destruction massive dans l'Irak de
Saddam Hussein, nous savons ce qu'il en est de la crédibilité de la
Maison Banche dans ce domaine.
Les raisons de l'intervention
La question n'est pas de savoir si une intervention armée se
prépare, car elle existe déjà depuis un certain temps. Dès le début de
la guerre civile, les USA sont sur place avec des Unités Spéciales, tout
comme ce fut le cas en Libye. Ces Forces Spéciales entraînent les
rebelles, fournissent un soutien logistique, surveillent les livraisons
d'armes du Qatar et d'Arabie Saoudite et préparent éventuellement une
intervention ou des bombardements à grande échelle. http://articles.latimes.com/2013/ju... http://www.economist.com/news/leade...
L'intervention de troupes au sol est peu probable, si cela avait été
une option, elle aurait déjà été prise depuis longtemps. Le Pentagone
se rend parfaitement compte que l'armée syrienne est un adversaire
redoutable et qu'un nouvel échec après l'Afghanistan et l'Irak paraît
inconcevable. http://www.stratfor.com/analysis/sy...
Il semble plutôt qu'il s'agira d'une attaque de missiles,
prétendument pour punir l'armée syrienne d'avoir utilisé des armes
chimiques, afin de prévenir toute répétition à l'avenir. Un autre
objectif serait de détruire l'arsenal d'armes chimiques. http://www.stratfor.com/analysis/us...
Tout cela paraît peu convaincant. La formulation de ces objectifs
doit servir à amadouer l'opinion publique et à légitimer une entrée en
scène militaire. Les véritables raisons de l'opération militaire, il
faut plutôt les chercher dans les dernières évolutions de la guerre
civile. Deux choses sont importantes : d'une part le nouveau rapport de
forces entre l'armée et les rebelles, et d'autre part l'évolution du
rapport des forces au sein des milices.
Commençons par le second point. Les djihadistes ont peu à peu pris
la main au sein des milices. Les milices les plus « efficaces » sont à
présent liées à Al-Qaeda. Si Assad est chassé du pouvoir, la Syrie
risque donc de tomber aux mains d'un régime islamiste ultra-radical.
C'est une option exclue par les USA et plus encore par le voisin
israélien. Cela signifie que pour Washington, Assad est actuellement le
moindre mal et que sa liquidation, dans les circonstances actuelles,
n'est pas souhaitée. Mais cela ne veut pas dire qu'ils veuillent laisser
Assad agir à sa guise, au contraire. http://www.dewereldmorgen.be/artike...
Ce qui nous amène à la seconde raison. Avec le soutien de l'Iran et
du Hezbollah, l'armée syrienne a repris pas mal de terrain aux milices
ces derniers mois. Cette progression n'est pas terminée et il apparaît
que l'armée syrienne a trouvé son second souffle. C'est pourquoi Obama a
commencé à parler d'armes chimiques dès début juin, conjointement avec
une promesse de fourniture d'armes plus lourdes et en plus grand nombre
aux milices.
Il est peu probable qu'Assad puisse frapper un coup décisif contre
les milices à bref délai, mais sa position n'en est pas moins renforcée
et la tendance semble se maintenir. Lors d'éventuels pourparlers de
paix, Assad pourrait donc faire pencher la balance en sa faveur. Ce qui
n'est pas du goût des Etats-Unis. Ils tolèrent peut-être Assad comme le
moindre mal, mais certainement pas comme le plus fort. Aussi les
bombardements ne sont pas destinés à écraser l'armée syrienne mais bien à
l'affaiblir suffisamment.
L'échec des guerres en Irak et en Afghanistan montre clairement que
les Etats-Unis ne sont désormais plus capables de modeler le
Moyen-Orient à leur guise. Comme ils risquent de perdre de plus en plus
leur emprise, ils raisonnent en ces termes : « si nous ne pouvons pas le
contrôler nous-mêmes, alors, personne d'autre ne le peut ». C'est bien
ce qu'on peut qualifier de stratégie du chaos. http://www.michelcollon.info/spip.p...;;ref=chaos&lang=fr
Traduit par Anne Meert pour Investig'Action
Source : Investig'Action - michelcollon.info
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