Deux d'entre eux sont couturiers, le troisième est boucher. Les trois notables, issus des grandes familles de Tombouctou, attendent l'arrivée du président français, devant la grande mosquée, en compagnie d'autres personnes influentes de la ville, du moins celles qui s'y trouvent encore.
Depuis le mois d'avril, et la chute de Tombouctou
aux mains des rebelles du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) et
de groupes islamistes qui en ont finalement assuré le contrôle total, la ville
est passée par toutes les couleurs de ce qu'ils
appellent "la barbarie" et s'est vidée, en dix mois presque jour pour
jour, d'une grande partie de sa population. Par gros
paquets, dans la conversation, défile le récit du quotidien de
cette "occupation" : police islamique,
châtiments, interdiction de la mixité, de la cigarette. "Même la
pétanque, ils disaient que c'est haram (proscrit). Ils ont aussi essayé de faire le prêche à la mosquée mais là, ils ont échoué : les
gens ont boudé", explique Khalil Hamadoun, le tailleur.
La parole bouillonne, l'heure est au lyrisme. La
versatilité des masses dans cette partie du monde est connue, mais cette fois,
le cri de remerciement est fort comme les souffrances des mois écoulés. Il y a
des drapeaux, des slogans pourdire merci à la France, à François
Hollande et aucun n'a besoin de se forcer pourexprimer sa reconnaissance d'être "libéré", comme le
reste de la population.
HÉROS DU JOUR
Tout à l'heure, devant la mosquée de Sankoré, il y
aura des milliers de personnes pour le crier plus fort encore. Un homme est le héros du jour :
François Hollande, qui s'offre un bain de foule d'anthologie sur la grande
esplanade, plongeant dans la population en liesse. Même chez les notables,
l'heure est à l'excès."C'est un saint ! Tombouctou
était la ville aux 333 saints, maintenant il y en a un
334e, c'est Jacques Chirac", s'enflamme Moulaye El Mihdi, le tailleur.
Et François Hollande ? "Ah oui,
c'est lui le président, et c'est lui le saint, pardon", s'excuse le notable
avec un sourire plein de grâce.
Dans la chronologie de l'intervention militaire
française au Mali, débutée le 11
janvier, la visite du président français à Tombouctou intervient à un moment
proche de la perfection : un seul homme est mort au combat et les grandes villes
du nord situées dans la bouche du Niger sont tombées aux
mains des forces franco-maliennes, qui comptent à présent sur la montée en
puissance du déploiement de troupes africaines. Ses effectifs sur le terrain
sont encore symboliques, mais ils aideront l'armée nationale à cimenter la reconquête du nord.
En trois semaines, les troupes françaises, dont les
forces spéciales ont accompli une grosse partie du travail, ont avec les troupes
conventionnelles franco-maliennes repris Gao et Tombouctou, entraînant la fuite
des combattants islamistes. A Kidal, des éléments français sont présents, avec
un contingent malien et des éléments du MNLA dans
une "situation délicate", selon une source française. Un instant, ces
questions sont suspendues. Le président Hollande
sensible "aux cris de joie, aux larmes", les dédie à l'armée française, dont il
salue la "mission exceptionnelle", "les prouesses admirables",
notamment lorsqu'elle a sauté sur Tombouctou pour "assurer la souveraineté
du Mali". Une légère hésitation dans sa réponse aux questions suivantes,
lorsque le président évoque l'entrée dans la ville
: "Vous (les Français) êtes entrés, ou plus
exactement les Maliens sont entrés, dans la ville de Tombouctou, et vous avez permis qu'il y ait la sécurité".
LUNE DE MIEL
Combien de temps durera la lune de miel entre
l'armée malienne et le contingent français ? Déjà, lors de la prise de Kidal,
qui s'est faite par opération aéroportée et sans soldat malien, le colonel
Dacko, qui commande les opérations dans le nord, et se trouvait alors à Gao,
affirmait, excédé, "ne pas avoir été mis au courant". De plus, la
présence de forces du MNLA à Kidal inquiète le reste du pays. La France a
longtemps été soupçonnée d'entretenir une complicité particulière avec les touareg.
Un responsable des services techniques de
la ville, en poste pendant toute la période de présence des rebelles islamistes
à Tombouctou, résume le sentiment général : "Tout le peuple malien
a besoin d'éclaircissements au sujet du MNLA (et
de sa présence à Kidal, dans le nord). Il ne faudrait
pas qu'on nous ait libérés pour nous imposer une autonomie du MNLA". A
cette question, François Hollande s'engage sur le fait que la France "n'a
pas vocation à rester" au Mali, et cédera dès que possible la place aux
militaires de la Misma (force africaine avec soutien international) et
à l'armée malienne, qui"contrôlera tout le territoire national".
Dans l'intervalle, il faudra que le processus
militaire avance parallèlement à un processus politique, y compris
dans le cadre de négociations, encore floues, avec les groupes armés. Le tout
pour converger
vers l'organisation d'élections dans un délai très court (juillet) alors que les villes sont encore en état de choc et que les populations touaregs et arabes ignorent quand elles pourront rentrer chez elles.
Rien n'est gagné, rien n'est terminé, mais la première phase de l'opération est un succès militaire. La longueur de la phase suivante, celle de la bataille qui se poursuit maintenant avec des groupes dispersés dans les endroits les plus reculés du pays, au point qu'il faut selon l'expression d'un haut responsable militaire français, "aller les chercher avec des fourchettes à escargots", est impossible à estimer.
vers l'organisation d'élections dans un délai très court (juillet) alors que les villes sont encore en état de choc et que les populations touaregs et arabes ignorent quand elles pourront rentrer chez elles.
Rien n'est gagné, rien n'est terminé, mais la première phase de l'opération est un succès militaire. La longueur de la phase suivante, celle de la bataille qui se poursuit maintenant avec des groupes dispersés dans les endroits les plus reculés du pays, au point qu'il faut selon l'expression d'un haut responsable militaire français, "aller les chercher avec des fourchettes à escargots", est impossible à estimer.
"FAIRE ATTENTION AUX EXACTIONS"
Qu'adviendra-t-il des combattants rebelles, qui
tiendraient la route de l'extrême nord du pays, sans parler des petits groupes encore cachés dans des rayons d'une
ou deux centaines de kilomètres des villes ? Sont-ils détruits les uns après les
autres, réduits à l'impossibilité de se réorganiser faute de pouvoircommuniquer ? Ou sont-ils en train de préparer un attentat ou
une attaque surprise ?
Une source française explique le mélange de
confiance et de prudence qui s'impose pour la suite : il s'agit certes à présent
d'aller chercher les rebelles mais aussi, comme le rappelle
justement François Hollande en s'adressant aux militaires français et maliens,
de "faire attention à votre propre vie, (...) à celle de vos
frères maliens". Et ajoute : "mais aussi aux exactions qui pourraient
être commises et entacheraient la mission".
Dioncounda Traoré, le président par intérim malien, est
présent avec sa propre délégation. Aucune pancarte ne mentionne son nom, les
slogans l'ont oublié, la foule n'y a pas songé. Mais cette présence vaut de l'or
face aux militaires ex-putschistes, notamment leur chef, le capitaine Sanogo,
que l'opération a tenus à l'écart. "C'est Diacounda
Traoré qui est ici à Tombouctou, et Sanogo, lui, voit tout ça à la télévision à
Bamako, cela fait une grosse différence", commente une source
française.
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Dossier d’information
Les zones d’ombre de l’intervention française au Mali
24 janvier 2013 par
Conformément aux objectifs de l’association
Survie, ce document se concentre sur le rôle de la France au Mali et
aborde de façon moins approfondie le rôle des autres acteurs clé de la
crise. Il ne s’agit pas de les dédouaner ou de faire porter à la France
l’entière responsabilité de la crise au Mali.
Il s’agit de décrypter le rôle qu’a joué la
France dans la genèse de cette crise et le jeu diplomatique qu’elle a
mené pour une intervention militaire dont elle est aujourd’hui la
principale force, à la lumière des enjeux français dans la zone.
Ce document a été élaboré collectivement par des militant-e-s de Survie qui suivent la situation au Mali depuis plusieurs mois ou plusieurs années. C’est un document qui ne prétend pas à l’exhaustivité, et qui pourra être amené à être complété, actualisé.
Sommaire :
Contact Presse :
http://survie.org/francafrique/mali/article/les-zones-d-ombres-de-lCe document a été élaboré collectivement par des militant-e-s de Survie qui suivent la situation au Mali depuis plusieurs mois ou plusieurs années. C’est un document qui ne prétend pas à l’exhaustivité, et qui pourra être amené à être complété, actualisé.
Sommaire :
- Le Mali, une « vitrine » démocratique qui a volé en éclats
- Participation à la guerre en Libye et posture équivoque vis-à-vis du MNLA : les autorités françaises portent une part de responsabilité dans l’éclatement de la crise au Mali
- L’implication de la France au Sahel est étroitement liée à la préservation de ses intérêts économiques
- L’intervention, préparée de longue date, permet de légitimer la présence contestée de l’armée française dans la région
- Les « amis » de la CEDEAO sont la ‘caution africaine’ de l’intervention
- L’intervention de l’armée tchadienne aux côtés de la France vise à légitimer ce régime dictatorial
- La France bafoue la souveraineté du Mali et contribue à la mise sous tutelle du pays
- La France cherche à utiliser le paravent de l’ONU au Mali
- La France, gendarme de l’Afrique pour l’Union européenne
- L’objectif de la lutte contre le terrorisme vise à créer un consensus autour de l’opération militaire française et évite toute analyse des enjeux
- Une intervention à l’issue incertaine pour le Mali, sa population et pour la région toute entière
- Conflit durable, présence de troupes étrangères, atteintes aux droits de l’homme
- Sur les prises d’otages
- Risque d’aggravation de la situation économique et humanitaire
- Risque de déstabilisation d’autres États et d’extension du conflit à l’ensemble de la région
- L’exercice d’un contrôle parlementaire vigilant, une urgence
Contact Presse :
- Danyel Dubreuil 01 44 61 03 25 - 06 52 21 15 61 danyel.dubreuil@survie.org
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