“ Le ministre de l’Intérieur doit sanctionner ou démissionner”
Par Narjis Rerhaye Libé ma, 3/1/2012
Le gouvernement Benkirane a achevé l’année 2012 dans la
répression. A Marrakech, les habitants du quartier populaire de Sidi
Youssef Benali se souviendront longtemps encore de ces deux jours
d’encerclement, d’arrestations et de terreur, 48 heures qui ont été
très probablement les plus longues de leur vie. Une sorte d’état
d’urgence a été imposé à ce quartier. Selon plusieurs témoignages
concordants, des heurts violents ont opposé forces de l’ordre et
citoyens venus protester contre l’extrême cherté des factures d’eau et
d’électricité. Très vite le dérapage a cédé la place aux revendications
sociales. «Une dérive sécuritaire aux antipodes de ses premiers pas au
pouvoir et des promesses d’un Maroc forcément meilleur !» s’exclame ce
député de l’Union socialiste des forces populaires.
Lundi 31 décembre,
alors que le monde s’apprête à accueillir la nouvelle année, Mohand
Laenser, le ministre de l’Intérieur, est interpellé par un groupe
parlementaire de la majorité, celui de l’Istiqlal. A la séance des
questions orales de la Chambre basse, le ministre haraki tente de
justifier l’injustifiable, c’est-à-dire la violence des forces de
l’ordre. «Lorsqu’il y a des jets de pierres soit on applique la loi,
soit l’occupation illégale de la voie publique continue (…) Face au
refus des manifestants de quitter les lieux, les forces de sécurité
doivent choisir entre accomplir leur devoir ou permettre l’occupation
illégale de la voie publique par les manifestants», a expliqué celui qui
préside aux destinées du département de l’Intérieur tout en soutenant
devant les députés que «des instructions ont été données afin de ne pas
user de violence et il n’existe aucune volonté d’en abuser».
«Une
telle déclaration signifie au moins une chose : que les instructions du
ministre de l’Intérieur ne sont ni écoutées ni appliquées. Si c’est
bien le cas, il faut des sanctions contre ceux qui se sont rendus
coupables de ces violences. Et si M. Laenser est dans l’incapacité de
sanctionner des agents de services qui sont sous sa responsabilité, il
doit avoir l’honnêteté de démissionner», réplique ce membre du bureau
national du Parti authenticité et modernité.
A Marrakech ces 28 et
29 décembre, la violence a été de part et d’autre de mise. Jets de
pierres, biens publics saccagés mais aussi bastonnades, encerclement et
arrestations. Des associations locales en témoignent. Cette fois, la
répression policière a été particulièrement violente. «Et pour cause. Il
ne fallait surtout pas effrayer la jet-set nationale et internationale
venue fêter la nuit de la Saint-Sylvestre. L’autre Marrakech, celui de
l’exclusion, de la misère et de la précarité n’avait pas droit de cité
en ces nuits de fête dans les palaces et les riads. Dans cette ambiance
festive et pétillante, entre paillettes et cotillons, les manifestations
et les revendications étaient vraiment les malvenues», ironise cet
acteur associatif qui a bien du mal à cacher son indignation.
Le PJD et sa bien commode théorie du complot
L’Exécutif que conduit l’islamiste Abdelilah Benkirane est-il en train
de prendre le dangereux virage du tout-sécuritaire ? Tout porte à le
croire. Il y a quelques jours, au cœur de la capitale et devant le
Parlement, une manifestation a été violemment dispersée. Un député du
PJD, et donc de la propre famille du chef du gouvernement, n’a pas été
épargné par les coups et les matraques des forces de l’ordre. Ce
dérapage a été porté jusque sous la Coupole. Les groupes parlementaires
de l’opposition ont exprimé leur solidarité avec ce député de la
majorité.
Au gouvernement et dans les rangs d’une majorité
fragilisée par ses incohérences et ses tiraillements, on a de plus en
plus de mal à serrer les rangs de «la cohésion gouvernementale». Le
ministre de l’Intérieur est pointé du doigt. Les couloirs bruissent de
rumeurs. Mohand Laenser serait-il en train de faire de la résistance
pour « saboter l’expérience» d’un PJD au pouvoir ? C’est en tout cas
l’hypothèse très paranoïaque que développe, mercredi 2 janvier, le
journal porte-parole des islamistes du gouvernement, Attajdid, dans son
éditorial du jour. Abdelilah Benkirane et ses ouailles du PJD ont,
semble-t-il, trouvé la parade. Les manifestations sociales qui ont
éclaté dans plusieurs villes marocaines, de Taza à Marrakech en passant
par Figuig, et leur lot de dérapages seraient «téléguidées» dans la
perspective de faire avorter «l’expérience réformiste» du gouvernement.
«Face à ses dérives politiques, sécuritaires, le prix sera lourd à payer
politiquement», menace l’éditorialiste islamiste.
«Il y a des
manifestations sociales, des citoyens excédés qui sortent dans la rue
pour exprimer leur ras-le-bol de la précarité et de l’exclusion qu’ils
vivent. Ceci est une réalité criante. Il n’y a que Benkirane et ses
ministres qui refusent de voir la crise sévère que traverse le Maroc. La
théorie du complot a fait long feu. L’Exécutif se doit d’assumer la
politique sécuritaire déployée presque tous les jours à travers le
pays. Il n’est pas question que le chef du gouvernement et leader du
PJD nous fasse croire à coup d’éditoriaux dans sa presse que la décision
de violenter les citoyens qui manifestent est prise ailleurs qu’au
gouvernement. Le temps des belles promesses et des beaux discours est
terminé. A l’évidence, le gouvernement Benkirane n’a pas de baguette
magique mais une matraque !», conclut ce cacique de l’Union socialiste
des forces populaires.
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