Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

lundi 30 janvier 2012

Syrie, Maroc, Iran... Quelles révolutions pour 2012 ?

 Par Pierre Puchot, Mediapart, 29/1/2012

Place Tahrir au Caire, novembre 2011Place Tahrir au Caire, novembre 2011© P.Puchot

Une année, déjà, nous sépare de la fin du régime de Ben Ali et des premières manifestations place Tahrir, au Caire. Qu’avons-nous appris, qu’avons-nous compris des révolutions tunisienne et égyptienne ? Que le processus de redéfinition politique et social est bel et bien profond, et ne se limite pas à une simple alternance assurée par les partis d’obédience islamique. C’est ce processus que nous continuerons d’observer en 2012, au-delà de la Tunisie et de l’Egypte, dans chacun des pays d’un arc qui s’étend du Maroc au Pakistan. Avec des perspectives, il est vrai, très différentes.
Place Tahrir au Caire, novembre 2011Place Tahrir au Caire, novembre 2011© P.Puchot

Les bouleversements à venir

L’exemple yéménite montre que la durée du processus révolutionnaire ne fait rien à l’affaire. Qu’importe l’attente : après dix mois de révolte et d’une répression ayant causé la mort de plusieurs centaines de citoyens, Ali Abdallah Saleh a fini par solliciter le pardon du peuple, dimanche 22 janvier, et quitter le pays.

Le 23 novembre 2011, sous la pression des manifestants, le chef d'Etat avait signé à Riyad un accord, conçu par les monarchies du Golfe, qui posait le cadre d’un transfert « pacifique » du pouvoir. Saleh passe ainsi la main à son vice-président Abdo Rabbo Mansour Hadi, jusqu'à l'élection anticipée du 21 février. En vertu de cet accord, il bénéficie d'une immunité le protégeant de toute poursuite pour la répression dont il est responsable. Blessé lors d'une attaque, le chef d'Etat yéménite a demandé l'asile à Washington le temps de se faire soigner. Requête acceptée par Barack Obama, qui considérait le Yémen de Saleh comme un allié de poids dans la lutte contre le terrorisme et Al Qaïda. Dans le sud du pays, c’est d’ailleurs les affrontements entre d'un côté les mouvements tribaux et révolutionnaires et de l'autre les troupes d’Al Qaïda qui font aujourd’hui l’actualité…

Après 33 ans de règne, Saleh sort donc par la grande porte, son clan tient toujours les rênes du pays, dans des conditions qui laissent certainement songeur l’ex-président tunisien Ben Ali, qui s’ennuie ferme en Arabie saoudite, au point d’avoir, comme nous le révélions en décembre, entamé l’écriture de ses mémoires.

En Syrie, le scénario yéménite fait des envieux.

Un plan élaboré autour du secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil al-Arabi, prévoit même un transfert du pouvoir du président Assad à son vice-président et un départ, à terme, du chef de l'Etat. Il est aujourd’hui rejeté en bloc par le régime syrien, lequel a lancé depuis le mercredi 25 janvier, une nouvelle offensive d’ampleur. « L'armée pilonne la ville de Hama (210 kilomètres au nord de Damas) à l'arme lourde en utilisant des lance-roquettes », pour la deuxième journée consécutive, ont affirmé les comités locaux de coordination (opposition syrienne). Après un an de luttes, la répression syrienne a fait plus de 5.000 morts, selon la haut-commissaire aux droits de l'Homme, Navi Pillay.

À l’ONU, la Russie fait toujours barrage au vote d’une nouvelle résolution, dans l’esprit du plan de la Ligue arabe, qui semble aujourd'hui la seule solution à même de recueillir l'agrément des Etats de la région, de la communauté internationale et de l'opposition syrienne. Seul, le Qatar demeure partisan d’une intervention militaire pour mettre fin au régime de Bachar El-Assad. Le président syrien planifierait de son côté une partition de la Syrie pour créer un Etat alaouite au nord-ouest, selon l'ancien vice-président syrien, Abdel Halim Khaddam, en exil à Paris depuis 2005.

Pour l’opposition syrienne, il est temps de passer à une nouvelle étape. « Nous devons donc maintenant organiser le travail et la coordination entre tous les acteurs, confiait la semaine passée à Mediapart, Souheir al-Atassi, figure de l’opposition syrienne. Ils sont les quatre piliers de la révolution : le mouvement révolutionnaire pacifiste, le Conseil national syrien (CNS), qui est son visage politique et diplomatique, l’Armée libre de Syrie (ASL) et les soldats qui ont fait défection et enfin les médias qui ont joué et continuent de jouer un rôle important dans la révolution, en particulier le réseau d’information Sham (Shabakat Sham al-Akhbarriyat, SNN). »

Les Etats fossilisés

Au Maroc, les tours de passe-passe de Mohammed VI

Le roi et ses conseillers ont démontré que la monarchie avait conservé toute son habileté politique. Poussé le 9 mars 2011 à un discours audacieux (qui intégrait l’ambition d’une monarchie parlementaire et semait le doute au sein de l’élite marocaine) par un mouvement dit « du 20 février » qui contestait son autorité avec une virulence inédite, Mohammed VI fit voter à l’automne un référendum sur sa réforme par le peuple, qui s’apparentait davantage à un plébiscite royal qu’à la redéfinition des périmètres du Palais.

Par la suite, à l’issue des législatives de novembre 2011, Mohammed VI a nommé Abdelilah Benkirane au poste de premier ministre, désormais dévolu au parti comptant le plus de sièges au Parlement. Malgré les annonces et les effets de manche, la prise de pouvoir du Parti justice et développement (PJD, musulman conservateur) d’Abdelilah Benkirane demeure en grande partie virtuelle, puisque le Palais reste souverain dans le vote et l’arbitrage des grands axes de la politique économique et sociale du pays.

À l’étranger, le monarque peut également compter sur des relais efficaces auprès d’une intelligentsia qui se réjouit de la révolution tunisienne, mais estime que le modèle marocain demeure « à part », porté par un souverain populaire, et en aucun cas comparable à la Tunisie ou à l’Egypte. Une lecture contestable, quand le sous-développement de l’économie marocaine provoque des tensions similaires à celles qui ont engendré la révolution tunisienne. Des centaines de diplômés au chômage se sont encore rassemblés, mercredi 25 janvier, devant une annexe du ministère de l'éducation nationale à Rabat, pour demander l'ouverture d'une enquête sur le décès d'un jeune diplômé qui avait tenté de s'immoler par le feu.

« Nous exigeons du gouvernement l'ouverture d'une enquête impartiale sur la mort hier (mardi) de notre camarade Abdelwahab Zeidoun », a déclaré Said Azoubar, l'un des diplômés, au correspondant de l'AFP. Des forces de police encerclent depuis deux semaines cette annexe du ministère de l'éducation, dont une partie est occupée par une centaine de diplômés au chômage. Abdelwahab Zeidoun, 27 ans, qui participait à un sit-in le 18 janvier avec une centaine d'autres diplômés chômeurs, est mort de ses blessures à l'hôpital où il avait été transporté.

Cette révolte des diplômés-chômeurs se heurte à l’ineptie des choix macro-économiques du Palais, qui prépare la création d’une ligne TGV sur la côte marocaine, alors que des régions entières demeurent enclavées et coupées de tout dans l’intérieur du pays. Un schéma qui ressemble trait pour trait au « modèle » tunisien. Seule différence de taille, et c’est un atout fort pour la préservation de la monarchie, le taux d’analphabétisme (39,7 % de la population marocaine en 2009 selon le PNUD, contre moins de 10 % pour la Tunisie). C’est sur cette différence, qui pèse considérablement sur le développement de la conscience politique de la société marocaine, que le monarque compte préserver son autorité et geler la marche du Maroc vers une monarchie parlementaire qu’il avait pourtant promis d’instaurer.

En Algérie, un silence forcé

L’Algérie, qui a connu des mouvements sociaux dans les 48 wilayas (préfectures) du pays depuis la fin 2010, demeure ce pays riche (150 milliards de dollars de réserves de devises en 2011), où l’économie de rente pétrolière permet de construire des routes, ou de prolonger des lignes électriques pour acheter la paix sociale.

Dans le même temps, la répression du mouvement est implacable. Au mois d’avril 2011, le professeur Ahmed Keroumi, enseignant au département de communication à l’université d’Oran, et membre de la coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD), fut même retrouvé sans vie dans le local du Mouvement démocratique et social (MDS, opposition).

Dans la perspective des élections législatives de mai 2012, la classe politique se livre de son côté à d’invraisemblables micmacs. Espérant surfer sur les vagues tunisienne et marocaine, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, musulman conservateur) a décidé, dimanche 1er janvier 2012, de se séparer de ses deux partenaires au sein de l’alliance présidentielle, le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND). Précision toutefois : le parti islamiste, qui a voté toutes les lois clés du président Bouteflika, ne quitte pas pour autant le gouvernement et y maintient ses quatre ministres ! En 2012, l’Algérie, qui fêtera le cinquantième anniversaire de la signature des accords d’Evian le 18 mars, demeure prisonnière d’un parti-Etat, le FLN, au service d’une oligarchie peu désireuse d’assurer aux Algériens un développement économique harmonieux. Nous y reviendrons largement dans les prochaines semaines.

L'Arabie saoudite, puissance fragilisée

Le royaume demeure une puissance que l'on écoute, notamment lorsqu’il annonce dimanche dernier le retrait de ses observateurs en Syrie, sanctionnant ainsi l'échec de la mission de la Ligue arabe, et appelle la communauté internationale à exercer « toute la pression possible » sur Damas. Mais, contrairement au Qatar qui étend son influence en Libye et dans tout le monde arabe, après avoir obtenu à Doha en 2008 la signature de l’accord politique libanais, l’Arabie saoudite luttera en 2012 pour ne pas voir son influence se réduire telle une peau de chagrin.

La faute à une absence d’ouverture démocratique, de diversification économique, mais aussi à un arsenal législatif totalement opaque, comme l’explique fin janvier l’un des spécialistes du think tank américain Carnegie endowment. Cette année encore, la principale préoccupation du roi saoudien sera de contenir les populations chiites juchées sur les puits de pétrole, et qui constituent, à terme, une menace réelle pour la pérennité du royaume.

Le Pakistan sous la menace d'un coup d'Etat militaire

En Israël, la société ne parvient pas à s'extraire de ses contradictions

Nous avons abondamment décrit ces mouvements sociaux qui ont rassemblé plus de 500.000 personnes dans les rues à l’été 2011. En réaction, le premier ministre Benjamin Nétanyahou a fait adopter par son gouvernement, le 9 octobre dernier, des propositions de réformes pour abaisser le coût de la vie et des logements, réduire les impôts et améliorer le financement de l'éducation des enfants en bas âge. Des mesures proposées dans un premier temps par un rapport de l'économiste Manuel Trajtenberg, président d'une commission gouvernementale nommée par Nétanyahou.

Cet ensemble de réformes économiques a toutefois été jugé très insuffisant par les animateurs du mouvement social. Fin octobre, de nouvelles manifestations ont rassemblé plusieurs dizaines de milliers de citoyens.

Axées sur les problématiques économiques, les manifestations n’en demeurent pas moins le signe d’une redéfinition générale des groupes et des corps sociaux en Israël, jusqu’ici essentiellement organisés sur un principe communautaire. C’est le sens notamment des comités de logements, qui mêlent deux communautés particulièrement antagonistes, les Juifs d’Afrique du Nord (mizrahim) et les Arabes israéliens, autour d’une problématique dont ils sont les premières victimes. C’est cette évolution sociale qu’il faudra observer cette année quand, déjà, le gouvernement israélien remet sur le tapis sa vieille obsession, l’Iran (qui réélira son président en 2013) et la possibilité d’une offensive préventive pour neutraliser son arsenal nucléaire supposé.

Au Pakistan, c’est la permanence même de l’Etat qui est menacée

Le Pakistan est désormais un pays où l’armée et le gouvernement se livrent une guerre ouverte. Elle couvait certes depuis les années 1980 et les liens troubles entretenus entre services de renseignements, l’ISI, relais occasionnels des Etats-Unis, et les réseaux terroristes internationaux.

Au printemps 2011, l’envoi d’un mémorandum au Pentagone demandant une assistance américaine face à un risque de coup d'Etat avait fait couler beaucoup d’encre. En 2012, c’est désormais la menace directe d'un coup de force militaire que redoute le gouvernement pakistanais. Mardi 24 janvier, le premier ministre Youssouf Raza Gilani a rencontré les responsables de l'armée et des services du renseignement pour discuter de cette affaire. Mais l’avenir de son gouvernement ne tient aujourd’hui qu’à un fil. En 2012, l’avenir du Pakistan sera sans nul doute l’un des principaux sujets de préoccupation de la communauté internationale.

Lire aussi

Tunisie: dans les villes du Sud, le désastre social est toujours là
Au Yémen, une révolution inachevée?
Maroc: la fin de la «parenthèse enchantée»
Que viennent faire les salafistes en politique?



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire