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vendredi 14 août 2015

Débat. Pourquoi en sommes-nous là au Maroc et comment en sortir par le haut?



Débat. Pourquoi en sommes-nous là au Maroc et comment en sortir par le haut?
Par Omar Balafrej, cofondateur de l'association "Clarté, courage et ambition".
Figure reconnue, respectée et indépendante du débat politique, social et économique.
 
[Cet article a été initialement publié par Omar Balafrej
sur sa page Facebook. En raison de son intérêt comme
contribution au débat actuel, il est publié sur Médias 24
avec l'aimable autorisation de l'auteur] 

Suite à la multiplication d’actes intolérants et liberticides au Maroc, plus personne ne peut dire qu’il s’agit d’actes isolés et que notre pays est un havre de paix et de tolérance.
En moins de deux mois, une série d’actes graves et dispersés sur le territoire nous permettent de dire cela. Le 5 mai dernier à Agadir, un Marocain est empêché par la justice de se marier avec une étrangère sous prétexte qu’il aurait été «sataniste» dans sa jeunesse. En mai toujours, le film «Much loved» est censuré et ses acteurs sont menacés de mort. Le 22 mai, trois Marocains sont condamnés à 3 ans de prison pour homosexualité. Le 14 juin, deux jeunes filles sont arrêtées à Inezgane pour avoir porté une jupe et le 30 juin un supposé homosexuel est passé à tabac par une foule hurlante à Fès puis embarqué par la police.
En parallèle, il y a les nombreux actes du quotidien que nous observons tous, telle cette fille au balcon du 6ème étage qui se fait insulter de tous les noms par des badauds parce qu’elle fume chez elle, sur son balcon pendant le ramadan, cette autre jeune fille de 14 ans qui se fait chasser de la plage parce qu’on n’aurait pas le droit de se baigner pendant le mois sacré, ces supporters de football qui scandent des chants à la gloire de Daech…

Cela fait longtemps que de nombreux militants essaient de tirer la sonnette d’alarme, de dire que la religion musulmane est vécue aujourd’hui chez nous, plus comme un arsenal répressif qu’une quête de spiritualité. Oui, il faut le dire, notre société vit une crise de valeurs. Une crise de modèle sociétal. Le modèle poursuivi au Maroc en particulier est incohérent et dangereux. C’est un modèle qui semble viser le «progrès» sur le plan économique tout en refusant le progrès sur le plan des libertés, le progrès sociétal et politique.

 
Ce modèle est dangereux car la transformation économique implique des changements rapides de mode de vie et engendre des tensions, de nouvelles inégalités, de nouvelles frustrations qui, si elles ne sont pas accompagnées de progrès politiques, sociaux et sociétaux peuvent être explosives. C’est à mon sens dans le modèle sociétal emprunté actuellement qu’il faut chercher les raisons de la crise conservatrice que nous vivons. Et c’est dans un changement de modèle que nous trouverons les solutions pour en sortir.
Une grande partie de nos concitoyens et parmi eux une majorité de nos gouvernants, sous prétexte de vouloir préserver notre culture, nos traditions, par peur aussi de se fondre dans la «culture» occidentale, s'arc-boutent sur la religion dans son sens le plus étroit au lieu de réfléchir sur ce que signifient vraiment tradition et culture et ce qu’est réellement cette société occidentale qu’ils semblent détester sans essayer de l’analyser et de voir ce qu’elle comporte de réellement positif et de négatif.
Ils ignorent que nous vivons déjà en partie sur le mode occidental et que le vrai problème, c’est que nous avons pris la mauvaise partie du modèle occidental, nous l'avons même poussé à son paroxysme et que nous avons ignoré la meilleure partie.
Nous avons pris la partie de l’individualisme extrême et de la consommation à outrance, de la technique au service du pouvoir de l’argent uniquement et non au service de l’Homme et nous avons laissé de côté la meilleure partie de l’occident, celle issue de siècles de luttes politiques, sociales et sociétales. Cette partie qui a engendré la liberté de penser et d’agir pour le bien individuel et collectif et avec pour résultats l’éducation pour tous, la santé pour tous, la sécurité, le droit à un salaire décent, le transport pour tous, les congés payés, la culture pour tous…
Une grande partie de nos concitoyens rêvent de pouvoir s’acheter un iphone en ignorant que les Etats-Unis d’Amérique devraient d’abord être vus comme l’un des Etats qui dépense le plus dans l’éducation de ses enfants et que 90% de ceux-ci effectuent leur cursus primaire dans le secteur public.
Une grande partie de nos concitoyens rêvent de pouvoir s’acheter une Mercedes en ignorant que l’Allemagne, c’est d’abord l’un des meilleurs systèmes de protection sociale publique au monde.
Une grande partie de nos citoyens, lorsqu’ils pensent à la Suisse, rêvent d’argent et de belles montres en ignorant que dans ce pays, les citoyens ont le droit de faire et défaire les lois en lançant des pétitions citoyennes.
Une grande partie de nos concitoyens sont heureux de voir arriver au Maroc le TGV en ignorant que la France est d’abord l’un des pays au monde où le transport public de qualité est le plus généralisé.
Ce ne sont là que quelques exemples pour illustrer le problème que nous avons chez nous lorsque nous abordons la question de l’occident et du monde arabe et la peur irrationnelle que nombreux concitoyens ont de l’occidentalisation de notre mode de vie.
Nous vivons en partie à l’occidentale, en partie seulement et la mauvaise partie malheureusement. La plupart de nos concitoyens veulent consommer à l’occidentale, bénéficier des avancées techniques et scientifiques occidentales mais par ignorance probablement, ne veulent pas «copier» les occidentaux dans leur manière de s’approprier la liberté.
Or c’est précisément cette dernière qui a permis aux occidentaux et à tous les pays aujourd’hui développés de construire leur force et leur stabilité. Sans liberté, jamais il n’y aurait eu de révolution industrielle dans l'Europe du 19ème siècle, sans liberté et conscience du bien commun, jamais les Etats-Unis d’Amérique n’auraient investi autant dans l’éducation de leurs enfants et engendré et attiré autant de talents. Bill Gates, Steve Jobs sont les derniers d’une très longue série qui n’est pas prête de s’arrêter, grâce à la liberté, la liberté de créer et la liberté de penser.
Pour sortir de la crise actuelle, il y a une solution: aller sans peur vers la modernité politique et sociétale. Comme de nombreux patriotes le disent depuis longtemps, il faut enclencher au plus vite et sans peur une vraie transition vers la modernité politique et sociétale.
La modernité politique porte un nom universel, la démocratie. Celle-ci ne se matérialise pas seulement par le pouvoir des urnes et le pouvoir de la majorité. Elle se matérialise aussi et peut-être même d’abord par le respect de la minorité et l’instauration du débat contradictoire pacifique entre tous les acteurs de la société.
La modernité sociétale est quant à elle l’acceptation et l’organisation du débat d’idées sur toutes les questions qui traversent le pays sans freins ni tabous et en prenant le temps nécessaire à la pédagogie, la réflexion sereine et avec la volonté de construire une société meilleure pour tous dans laquelle chacun peut légitimement aspirer au bonheur individuel.

Nous devons au plus vite au Maroc ouvrir ce chantier.
Ce n’est pas impossible, ce n’est pas hors de portée. En 2011, au lendemain du 20 février et suite au discours royal du 9 mars, nous avons vécu une brève ouverture de quelques semaines. Enfin et pour la première fois depuis l’indépendance, toutes les composantes de notre société avaient droit au chapitre. Le temps de quelques émissions de télévision, de nombreuses conférences, tous les courants débattaient, discouraient sur une nouvelle manière de construire notre société.
Cette parenthèse s’est malheureusement très vite refermée comme on le sait avec notamment la pire campagne référendaire que l’on pouvait espérer. Une campagne durant laquelle l’unanimisme était de rigueur. Or l’unanimisme est l’ennemi de la liberté.
J’ai la conviction que collectivement nous pouvons ouvrir de nouvelles fenêtres. C’est tout le sens de mon engagement. Je milite dans cette optique et je m’efforce d’agir et d’expérimenter là où je peux, dans ma vie de tous les jours, dans mon travail et dans mon engagement auprès des citoyens pour prouver qu’un autre modèle est possible.
 

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