Liberté d'expression ? L'écrivain italien Erri de Luca devant le tribunal
Erri De Luca : "C’est le fait que j’ai, à travers mes livres, un écho public. Et je l’emploie pour donner la parole à ceux qui sont réduits au silence : les sans voix, les détenus, les diffamés, les immigrants qui ne connaissent pas la langue, les communautés qui se battent pour garder leur région..."
Après
avoir appelé à “saboter” le projet de TGV Lyon-Turin, l'écrivain
italien doit comparaître en justice. Erri De Luca s'explique sur le sens
de ses propos.
L’écrivain italien Erri De Luca
comparaît ce mercredi 28 janvier 2015 au tribunal de Turin pour
« incitation au sabotage » du projet de construction ferroviaire de la
ligne TGV Lyon-Turin. Pour avoir donné une interview, en septembre 2013,
au site italien du Huffington Post et déclaré que la ligne à grande vitesse devait être « sabotée », il risque une peine de cinq ans de prison.
On vous accuse d’incitation à un délit, on répète le mot « sabotage » que vous avez exprimé, que répondez-vous aujourd’hui, à l’heure du verdict ?
Mais m’incriminer pour des mots que j’ai pu dire, c’est le « sabotage » même de mon droit constitutionnel à la liberté de parole. De « paroles contraires » en particulier. Saboter, dans le sens de vouloir empêcher, entraver, ne se réduit pas au seul sens de dégradation matérielle. C’est un mot qu’on utilise quand un gréviste veut « saboter » la production ou quand une opposition parlementaire veut « saboter » une loi, en faisant obstruction. Ce mot a un sens plus large.
C’est votre liberté de parole qu’on met en cause ?
C’est le fait que j’ai, à travers mes livres, un écho public. Et je l’emploie pour donner la parole à ceux qui sont réduits au silence : les sans voix, les détenus, les diffamés, les immigrants qui ne connaissent pas la langue, les communautés qui se battent pour garder leur région.
Comme au Val de Suse où l’on cherche à préserver la santé des habitants et des lieux en s’opposant un chantier inutile et nocif. C’est une lutte légitime pour se défendre contre une agression tragique – le percement d’un tunnel sous les Alpes dans une roche qui contient de l’amiante et un matériau radioactif. Il ne s’agit pas cette fois d’un pont que l’on construit ou que l’on ne construit pas mais d’une vallée qui risque de disparaître. Et il n’y aura pas de vallée de rechange.
Pourquoi cet emballement juridique autour de vous ?
Durant ces deux dernières années, le procureur de Turin a incriminé plus de mille personnes autour de la résistance contre la ligne à grande vitesse. Il y a eu accélération de la répression contre un mouvement de masse. Mes mots ont été pris pour cible pour empêcher ce mouvement d’avoir un écho public. Je ne suis pas un porte-parole mais quelqu’un qui écoute les autres et qui partage ensuite. Ce que je dis ici, ce n’est pas simplement une opinion mais une conviction.
Vous risquez cinq ans de prison et vous dites que vous ne ferez pas appel après la sentence, pourquoi ?
Mon droit à la parole, je le défends dans ce que j’écris, pas dans une salle de tribunal, où mes mots sont menottés. Ma défense est à l’extérieur, dans mon pamphlet (La Parole contraire, éditions Gallimard). Je n’ai aucun autre moyen pour agir. J’accepterai la sentence, je n’irai pas dans un autre tribunal qui pourrait être plus favorable, plus juste.
Jamais, en France, je n’aurais été inculpé pour ça. Mais il se passe quelque chose en ce moment, dans toute l’Italie : des groupes s’organisent pour faire des lectures publiques de mon livre. Et c’est la meilleure défense que je puisse offrir. Il y a plus d’une centaine de manifestations de lecteurs. C’est inouï et unique, car jamais on n’a vu un écrivain passant en justice, défendu directement par ses lecteurs.
A côté de ça, ce qui se passera dans cette cour de justice est une formalité pour moi. Et au-delà, il y a les éditeurs étrangers qui traduisent mon livre et le diffusent pour rendre plus difficile le travail de désinformation. Ces mouvements de lecteurs, d’éditeurs qui s’engagent, sont un moment de confrontation entre la liberté de parole contraire et la négation de ce droit.
Avez-vous peur d’être condamné ?
Peur ? Non. Je suis assez ancien pour me foutre complètement de passer du temps en prison.
Mais être condamné pour des paroles, pour un délit d’opinion, tout de même !
L’Italie est un pays qui réserve bien des surprises. Un pays corrompu. Mais on va vivre un moment de vraie confrontation entre la liberté de « parole contraire » et la négation de ce droit. C’est, à travers ma condamnation, une manière de réduire la marge de la liberté d’expression. Je n’espère qu’une chose : que l’occupation militaire du Val de Suse soit levée et que l’on comprenne que cette ligne Turin-Lyon est inutile.
On vous accuse d’incitation à un délit, on répète le mot « sabotage » que vous avez exprimé, que répondez-vous aujourd’hui, à l’heure du verdict ?
Mais m’incriminer pour des mots que j’ai pu dire, c’est le « sabotage » même de mon droit constitutionnel à la liberté de parole. De « paroles contraires » en particulier. Saboter, dans le sens de vouloir empêcher, entraver, ne se réduit pas au seul sens de dégradation matérielle. C’est un mot qu’on utilise quand un gréviste veut « saboter » la production ou quand une opposition parlementaire veut « saboter » une loi, en faisant obstruction. Ce mot a un sens plus large.
C’est votre liberté de parole qu’on met en cause ?
C’est le fait que j’ai, à travers mes livres, un écho public. Et je l’emploie pour donner la parole à ceux qui sont réduits au silence : les sans voix, les détenus, les diffamés, les immigrants qui ne connaissent pas la langue, les communautés qui se battent pour garder leur région.
Comme au Val de Suse où l’on cherche à préserver la santé des habitants et des lieux en s’opposant un chantier inutile et nocif. C’est une lutte légitime pour se défendre contre une agression tragique – le percement d’un tunnel sous les Alpes dans une roche qui contient de l’amiante et un matériau radioactif. Il ne s’agit pas cette fois d’un pont que l’on construit ou que l’on ne construit pas mais d’une vallée qui risque de disparaître. Et il n’y aura pas de vallée de rechange.
Pourquoi cet emballement juridique autour de vous ?
Durant ces deux dernières années, le procureur de Turin a incriminé plus de mille personnes autour de la résistance contre la ligne à grande vitesse. Il y a eu accélération de la répression contre un mouvement de masse. Mes mots ont été pris pour cible pour empêcher ce mouvement d’avoir un écho public. Je ne suis pas un porte-parole mais quelqu’un qui écoute les autres et qui partage ensuite. Ce que je dis ici, ce n’est pas simplement une opinion mais une conviction.
Vous risquez cinq ans de prison et vous dites que vous ne ferez pas appel après la sentence, pourquoi ?
Mon droit à la parole, je le défends dans ce que j’écris, pas dans une salle de tribunal, où mes mots sont menottés. Ma défense est à l’extérieur, dans mon pamphlet (La Parole contraire, éditions Gallimard). Je n’ai aucun autre moyen pour agir. J’accepterai la sentence, je n’irai pas dans un autre tribunal qui pourrait être plus favorable, plus juste.
Jamais, en France, je n’aurais été inculpé pour ça. Mais il se passe quelque chose en ce moment, dans toute l’Italie : des groupes s’organisent pour faire des lectures publiques de mon livre. Et c’est la meilleure défense que je puisse offrir. Il y a plus d’une centaine de manifestations de lecteurs. C’est inouï et unique, car jamais on n’a vu un écrivain passant en justice, défendu directement par ses lecteurs.
A côté de ça, ce qui se passera dans cette cour de justice est une formalité pour moi. Et au-delà, il y a les éditeurs étrangers qui traduisent mon livre et le diffusent pour rendre plus difficile le travail de désinformation. Ces mouvements de lecteurs, d’éditeurs qui s’engagent, sont un moment de confrontation entre la liberté de parole contraire et la négation de ce droit.
Avez-vous peur d’être condamné ?
Peur ? Non. Je suis assez ancien pour me foutre complètement de passer du temps en prison.
Mais être condamné pour des paroles, pour un délit d’opinion, tout de même !
L’Italie est un pays qui réserve bien des surprises. Un pays corrompu. Mais on va vivre un moment de vraie confrontation entre la liberté de « parole contraire » et la négation de ce droit. C’est, à travers ma condamnation, une manière de réduire la marge de la liberté d’expression. Je n’espère qu’une chose : que l’occupation militaire du Val de Suse soit levée et que l’on comprenne que cette ligne Turin-Lyon est inutile.
nda
SOUTIEN À ERRI DE LUCA, LANCEUR D’ALERTE ET « SABOTEUR » UTILE AU DÉBAT D’IDÉES
27 jan 2015
Mercredi 28 Janvier s’ouvre le procès à Turin en Italie de l’écrivain Erri de Luca, accusé d’incitation au sabotage pour avoir dit qu’il fallait « saboter le chantier du tunnel ferroviaire Lyon-Turin ». Il encourt 5 ans de prison.
Suite à ses déclarations et à la plainte déposée par Lyon Turin Ferroviaire, il a publié un pamphlet au titre lourd de sens : La parole contraire. Dans ce livre, il affirme que « Les procureurs exigent que le verbe “saboter” ait un seul sens. Au nom de la langue italienne et de la raison, je refuse la limitation de sens. Il suffisait de consulter le dictionnaire pour archiver la plainte sans queue ni tête d’une société étrangère. J’accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire»
Dans un contexte où nos dirigeants européens ont marché ensemble à Paris il y deux semaines pour défendre la liberté d’expression, les eurodéputés Karima Delli, Michèle Rivasi et Jose Bové, tiennent à marquer leur soutien envers l’écrivain.
Pour eux, « Ce lanceur d’alerte est poursuivi pour délit d’opinion, pour museler sa liberté de s’indigner. Nous avons besoin d’intellectuels culottés prêts à se lancer dans la désobéissance citoyenne quand le bien commun est menacé ».
Pour Karima Delli, Michèle Rivasi et Jose Bové :
« Erri de Luca, en tant qu’intellectuel, a utilisé sa parole, ses écrits et son engagement pour exprimer son opinion et aider à défendre les citoyens et citoyennes qui se battent contre le projet Lyon-Turin Aujourd’hui, le condamner en justice reviendrait à saboter notre droit d’expression à toutes et à tous.
Nous aussi, en tant que parlementaires européens, nous utilisons nos moyens, politiques, législatifs, pour « saboter » dans le cadre institutionnel, un projet qui va contre l’intérêt économique, social et environnemental des européens ; c’est la force de notre conviction, et c’est la démocratie et l’opinion qui nous donneront ou non raison. »
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Lyon-Turin : Erri De Luca devant la justice
Par Olivier Doubre - 29 janvier 2015
Lyon-Turin : Erri De Luca devant la justice
A la suite d’un entretien où il apportait son soutien aux opposants à la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, l’écrivain italien comparaissait hier devant un tribunal transalpin.
« Je suis Erri ». En ce 28 janvier, des militants « No TAV » brandissent ces affichettes, clin d’œil au désormais célèbre « Je suis Charlie », parmi le public d’une salle d’audience du palais de justice de Turin. L’écrivain italien Erri De Luca, sur le banc des accusés, est poursuivi pour « incitation à la dégradation, à la violence et au sabotage ». Par solidarité avec la très forte mobilisation – souvent évoquée dans nos colonnes – contre le chantier de la ligne de train à grande vitesse (TAV) Lyon-Turin dans le Val de Suse (Piémont), Erri De Luca avait déclaré lors d’une interview publiée par le site italien du Huffington Post le 1er septembre 2013 : « Il faut saboter la TAV. »
Quelques mots qui ont suffi au parquet de Turin pour le mettre en examen (Lire ici) et lui faire risquer jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Sans compter les dommages-intérêts au bénéfice des parties civiles, au premier rang desquelles figure la LTF (pour Lyon-Turin Ferroviaire), société sise à Chambéry, où, souligne Erri De Luca, « comme par hasard, nos réglementations anti-mafia dans l’assignation des adjudications n’existent pas ». Or, on sait que plusieurs sociétés sous-traitantes sur le chantier ou organiquement liées à la LTF sont fortement suspectées ou déjà sous enquête pour infiltration mafieuse…
Lire > LGV Lyon-Turin : le dossier du scandale remis à l’Olaf
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Lire > Questions autour de la gestion du grand projet Lyon-Turin
Erri De Luca risque cinq ans de prison
Cette remarque de l’écrivain provient d’un petit opuscule qui vient de paraître en France : La Parole contraire [1], dont des extraits ont été lus par les militants devant le tribunal. Les poursuites à son encontre pourraient paraître totalement ridicules si elles ne lui faisaient pas risquer une peine si sévère. Une sévérité qui provient de textes de lois votées dans les années 1970, en particulier un texte assez analogue – mais bien plus dur en termes de condamnations possibles – à la loi dite « anti-casseurs » adoptée en France après 1968, à l’initiative du ministre de l’Intérieur Marcellin, abrogée en 1981.
Seule « l’incitation » est reprochée à l’homme de lettres. Aucune violence. Il est d’ailleurs entré dans le tribunal en lançant simplement à la presse : « Je suis venu pour que le tribunal me présente les personnes que j’ai “incitées” »… Ce à quoi a déjà répondu le procureur en charge à l’audience :
« Le parquet n’a pas à prouver que ces paroles aient été réellement suivies de dégradations, mais seulement si elles ont conditionné les choix du mouvement. »
Et l’honorable représentant du Ministère public d’avancer un très hypothétique débat au sein du mouvement, prétendûment concomitant avec la publication en ligne de l’interview du romancier, « sur la nécessité ou non de donner au mouvement une connotation violente ».
Erri De Luca met au contraire en exergue son droit d’usages et de nuances offerts par le vocabulaire :
« Je revendique le droit d’utiliser le verbe “saboter” selon le bon vouloir de la langue italienne. Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire. Par exemple : une grève, en particulier de type sauvage, sans préavis, sabote la production d’un établissement. […] Il suffisait de consulter un dictionnaire pour archiver cette plainte sans queue ni tête. »
Et l’auteur d’ajouter, déterminé : « J’accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire ! »
Avant l’écrivain, 47 militants lourdement condamnés
Pour autant, Erri De Luca n’est pas sans savoir que de tels propos peuvent en Italie facilement envoyer leur auteur en prison. Surtout lorsqu’un projet d’infrastructures est présenté comme « œuvre stratégique » par l’État, dont les sites sont des « zones d’intérêt stratégique national ». Les différents chantiers du Lyon-Turin sont, depuis la forte mobilisation de ses opposants, de véritables camps retranchés, barricadés et sous la protection de l’armée ou de policiers et d’autres corps militarisés, également privés.
Ce contexte explique la nervosité et la violence extrême de la réaction des défenseurs de l’ordre public, et surtout de ce projet ravageur en termes de protection de l’environnement. Ainsi, si Erri De Luca, intellectuel renommé internationalement, a comparu ce 28 janvier devant le tribunal de Turin, les simples militants ont, pour 47 d’entre eux, été jugés (pour des violences survenues lors de manifestations au cours de l’été 2011) dans la salle d’audience-bunker de la prison de Turin, jadis utilisée pour les membres des Brigades rouges ou les gros poissons de la mafia. Certains procureurs auraient d’ailleurs souhaité les poursuivre pour terrorisme, ce que n’a finalement pas retenu le tribunal. Mais celui-ci a quand même eu la main très lourde : au total, les 47 se sont vus infliger quelque 150 années de prison (4 ans et demi pour le militant le plus durement condamné) et quelque 150 000 euros de dommages-intérêts au bénéfice de la société LTF, des ministères italiens de l’Intérieur et de la Défense, et même de certains syndicats de policiers. On suivra donc avec intérêt le verdict que rendra la justice dans cette affaire.
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http://www.ledauphine.com/france-monde/2015/01/27/tgv-lyon-turin-47-opposants-condamnes-a-la-prison-pour-heurts-avec-la-police-en-2011
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Par Olivier Doubre - 29 janvier 2015
Lyon-Turin : Erri De Luca devant la justice
A la suite d’un entretien où il apportait son soutien aux opposants à la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, l’écrivain italien comparaissait hier devant un tribunal transalpin.
« Je suis Erri ». En ce 28 janvier, des militants « No TAV » brandissent ces affichettes, clin d’œil au désormais célèbre « Je suis Charlie », parmi le public d’une salle d’audience du palais de justice de Turin. L’écrivain italien Erri De Luca, sur le banc des accusés, est poursuivi pour « incitation à la dégradation, à la violence et au sabotage ». Par solidarité avec la très forte mobilisation – souvent évoquée dans nos colonnes – contre le chantier de la ligne de train à grande vitesse (TAV) Lyon-Turin dans le Val de Suse (Piémont), Erri De Luca avait déclaré lors d’une interview publiée par le site italien du Huffington Post le 1er septembre 2013 : « Il faut saboter la TAV. »
Quelques mots qui ont suffi au parquet de Turin pour le mettre en examen (Lire ici) et lui faire risquer jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Sans compter les dommages-intérêts au bénéfice des parties civiles, au premier rang desquelles figure la LTF (pour Lyon-Turin Ferroviaire), société sise à Chambéry, où, souligne Erri De Luca, « comme par hasard, nos réglementations anti-mafia dans l’assignation des adjudications n’existent pas ». Or, on sait que plusieurs sociétés sous-traitantes sur le chantier ou organiquement liées à la LTF sont fortement suspectées ou déjà sous enquête pour infiltration mafieuse…
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Erri De Luca risque cinq ans de prison
Cette remarque de l’écrivain provient d’un petit opuscule qui vient de paraître en France : La Parole contraire [1], dont des extraits ont été lus par les militants devant le tribunal. Les poursuites à son encontre pourraient paraître totalement ridicules si elles ne lui faisaient pas risquer une peine si sévère. Une sévérité qui provient de textes de lois votées dans les années 1970, en particulier un texte assez analogue – mais bien plus dur en termes de condamnations possibles – à la loi dite « anti-casseurs » adoptée en France après 1968, à l’initiative du ministre de l’Intérieur Marcellin, abrogée en 1981.
Seule « l’incitation » est reprochée à l’homme de lettres. Aucune violence. Il est d’ailleurs entré dans le tribunal en lançant simplement à la presse : « Je suis venu pour que le tribunal me présente les personnes que j’ai “incitées” »… Ce à quoi a déjà répondu le procureur en charge à l’audience :
« Le parquet n’a pas à prouver que ces paroles aient été réellement suivies de dégradations, mais seulement si elles ont conditionné les choix du mouvement. »
Et l’honorable représentant du Ministère public d’avancer un très hypothétique débat au sein du mouvement, prétendûment concomitant avec la publication en ligne de l’interview du romancier, « sur la nécessité ou non de donner au mouvement une connotation violente ».
Erri De Luca met au contraire en exergue son droit d’usages et de nuances offerts par le vocabulaire :
« Je revendique le droit d’utiliser le verbe “saboter” selon le bon vouloir de la langue italienne. Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire. Par exemple : une grève, en particulier de type sauvage, sans préavis, sabote la production d’un établissement. […] Il suffisait de consulter un dictionnaire pour archiver cette plainte sans queue ni tête. »
Et l’auteur d’ajouter, déterminé : « J’accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire ! »
Avant l’écrivain, 47 militants lourdement condamnés
Pour autant, Erri De Luca n’est pas sans savoir que de tels propos peuvent en Italie facilement envoyer leur auteur en prison. Surtout lorsqu’un projet d’infrastructures est présenté comme « œuvre stratégique » par l’État, dont les sites sont des « zones d’intérêt stratégique national ». Les différents chantiers du Lyon-Turin sont, depuis la forte mobilisation de ses opposants, de véritables camps retranchés, barricadés et sous la protection de l’armée ou de policiers et d’autres corps militarisés, également privés.
Ce contexte explique la nervosité et la violence extrême de la réaction des défenseurs de l’ordre public, et surtout de ce projet ravageur en termes de protection de l’environnement. Ainsi, si Erri De Luca, intellectuel renommé internationalement, a comparu ce 28 janvier devant le tribunal de Turin, les simples militants ont, pour 47 d’entre eux, été jugés (pour des violences survenues lors de manifestations au cours de l’été 2011) dans la salle d’audience-bunker de la prison de Turin, jadis utilisée pour les membres des Brigades rouges ou les gros poissons de la mafia. Certains procureurs auraient d’ailleurs souhaité les poursuivre pour terrorisme, ce que n’a finalement pas retenu le tribunal. Mais celui-ci a quand même eu la main très lourde : au total, les 47 se sont vus infliger quelque 150 années de prison (4 ans et demi pour le militant le plus durement condamné) et quelque 150 000 euros de dommages-intérêts au bénéfice de la société LTF, des ministères italiens de l’Intérieur et de la Défense, et même de certains syndicats de policiers. On suivra donc avec intérêt le verdict que rendra la justice dans cette affaire.
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http://www.ledauphine.com/france-monde/2015/01/27/tgv-lyon-turin-47-opposants-condamnes-a-la-prison-pour-heurts-avec-la-police-en-2011
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