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jeudi 16 octobre 2014

Une tente sahraouie comme symbole de l’exposition à l'IMA sur le Maroc contemporain.


Une lecture propagandiste de l’histoire


L’installation d’une tente sahraouie sur le parvis de l’Institut du monde arabe... Un choix politique.
L’installation d’une tente sahraouie sur le parvis de l’Institut du monde arabe…  
Un choix politique.
Aurait-il été possible de voir une exposition à l’Institut du Monde Arabe consacrée depuis le 15 octobre au Maroc contemporain sans cette tente sahraouie, dessinée par un architecte et installée sur le parvis ? Non. Pourquoi ? L’exposition de cette tente est, nous explique-t-on, « l’occasion de rendre hommage au désert marocain et d’en faire un symbole de cette grande exposition ».
Un symbole ! Peu importe si le désert marocain est vaste et aurait pu être mis en avant par la région de Zagora par exemple. L’occasion était trop belle pour revisiter l’histoire marocaine, plutôt la réduire au message asséné par la propagande du Makhzen depuis bientôt 40 ans : le territoire au sud du royaume et au nord de la Mauritanie est le « Maroc saharien ». Au Maroc, on parle plutôt des provinces du Sud.

Pas de souveraineté du Maroc
sur le Sahara occidental

Problème : le « Maroc saharien » est une construction idéologique et politique qui a commencé avec l’invasion en octobre 1975 du Sahara occidental (alors espagnol), baptisée « Marche verte » par Hassan II, qui maniait déjà habilement la force de la communication.
Aujourd’hui, et depuis cinquante ans, ce territoire est considéré par la communauté internationale comme un « territoire non-autonome », dont le processus de décolonisation, depuis le départ contraint de l’Espagne en février 1976, n’est pas achevé. A ce jour, aucun pays -pas même la France- ne reconnaît officiellement une quelconque souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Mais, coûte que coûte, il faut, constamment, imposer cette vérité du pouvoir.

Des tentes… subversives

Faire de cette tente, « témoignage du Maroc saharien », « le point d’ancrage de l’exposition », n’a semble-t-il pas été questionné par les équipes du Louvre et de l’IMA. Tant pis si l’on revisite l’histoire et la culture d’un pays dont, par ailleurs, les participants à la conférence de presse tenue le 14 octobre, disent combien elles sont sources de « dialogue et de compréhension entre les peuples » (1). Drôle de paradoxe quand on connaît la situation sociale et politique dans ce vaste territoire de 270 000 km2. Récupération incroyable quand on sait qu’aujourd’hui, et depuis le grand mouvement de protestation dit de Gdeim Izik, en octobre et novembre 2010, l’installation des tentes sahraouies (les khaimas) est interdite par les autorités marocaines car jugée subversive. Les Sahraouis sont contraints à cacher un des principaux attributs, en tout cas le plus symbolique, de leur identité et de leur culture de nomade en montant leur tente comme ils peuvent sur le toit de leur maison.
 

 Un océan de tentes traditionnelles sahraouies. Le camp que les Sahraouis ont nommé le « camp de la dignité ». Crédit photo : Anthony Jean TotasproD

 Le peuple sahraoui, reconnu comme tel par l’ONU à travers la place officielle accordée à son représentant, le Front polisario, mouvement indépendantiste politique et armé, est séparé. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux (2) vivent dans des camps de réfugiés, aidés par le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU et par le Programme alimentaire mondial, et situés à l’extrême sud-ouest de l’Algérie, près de la ville de Tindouf.

Sponsors et opérations marketing

Plusieurs dizaines de milliers de Sahraouis vivent au Sahara occidental occupé par le Maroc. S’ils ne font pas allégeance au roi Mohamed VI, s’ils luttent et manifestent pour réclamer la tenue du référendum que l’ONU doit organiser depuis 1991, ces derniers sont, au « mieux », discriminés (3) et harcelés, au pire, tabassés et arrêtés. Un de ces militants, Hassan Elouali Aaleya, 42 ans, est décédé le 28 septembre dans un hôpital militaire faute de soins, selon l’ASDHOM, association qui mène une campagne de parrainage en faveur des prisonniers politiques et d’opinion au Maroc, soutenue par l’écrivain Gilles Perrault.
Le choix de l’Institut du Monde arabe de relayer cette vision propagandiste du Maroc contemporain est dans la droite ligne des nombreuses opérations marketing initiées et financées par le royaume, souvent à travers son office de tourisme. Il suffit de regarder la liste des sponsors qui ont mis la main au portefeuille pour se convaincre qu’il s’agit une nouvelle fois d’une action de promotion politique et économique (la France est son premier partenaire économique, le premier investisseur et le premier bailleur de fonds, à travers son Agence française pour le développement), la culture servant de faire-valoir.

Le Maroc saharien. Un livre édité grâce au financement de l'Agence du Sud.
Le Maroc saharien. Un livre édité grâce au financement de l’Agence du Sud.

Parmi ses financeurs, l’Office chérifien des phosphates, l’Agence du Sud ou Total sont étroitement liés au développement économique du Sahara occidental et, donc, à une reconnaissance, au moins officieuse, comme c’est le cas depuis des années en France, de la présence marocaine dans ce qui reste, en droit international, une colonie.
L’OCP (premier exportateur de phosphate brut et d’acide phosphorique dans le monde) y possède une de ses mines (Phosboucraâ), qui représentait en 2012 10 % du volume total extrait. L’ « Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du Sud » est le bras armé du royaume pour mener cette politique. Rien d’étonnant à ce qu’elle figure parmi les sponsors de l’IMA. Total, dont l’activité au Sahara occidental est depuis plusieurs années dénoncée par des ONG, est toujours présent, le groupe menant, au moins jusqu’à la fin de cette année, « des études géologiques et géophysiques » au sud du Sahara occidental.
« Le Maroc est un pays qui offre aujourd’hui un exemple rare de tolérance et d’ouverture », explique Jack Lang, président de l’IMA. Probablement, en défendant une vision plus nuancée de la réalité du Maroc contemporain, l’IMA aurait-il davantage contribué à cette « meilleure compréhension entre les peuples », qui, à cette occasion, sonnent comme des mots creux.

(1)Mehdi Qotbi, président de la fondation nationale des Musées du Maroc
(2)Il n’existe pas de chiffre officiel. On parle communément de 100 à 150 000 personnes.
(3)Le témoignage de l’athlète Laila Traby, qui court depuis dix ans sous les couleurs de la France, a été diffusé dans l’émission Stade 2 dimanche 5 octobre et prouve comment cette discrimination s’opère.

Pour aller plus loin à l’occasion de l’inauguration de cette exposition à Paris :
 

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