Une lecture propagandiste de l’histoire
Aurait-il été possible de voir une exposition à l’Institut du Monde
Arabe consacrée depuis le 15 octobre au Maroc contemporain sans cette
tente sahraouie, dessinée par un architecte et installée sur le parvis ?
Non. Pourquoi ? L’exposition de cette tente est, nous explique-t-on, « l’occasion de rendre hommage au désert marocain et d’en faire un symbole de cette grande exposition ».
Un symbole ! Peu importe si le désert marocain est vaste et aurait pu
être mis en avant par la région de Zagora par exemple. L’occasion était
trop belle pour revisiter l’histoire marocaine, plutôt la réduire au
message asséné par la propagande du Makhzen depuis bientôt 40 ans : le
territoire au sud du royaume et au nord de la Mauritanie est le « Maroc
saharien ». Au Maroc, on parle plutôt des provinces du Sud.
Pas de souveraineté du Maroc
sur le Sahara occidental
Problème : le « Maroc saharien » est une construction idéologique et
politique qui a commencé avec l’invasion en octobre 1975 du Sahara
occidental (alors espagnol), baptisée « Marche verte » par Hassan II,
qui maniait déjà habilement la force de la communication.
Aujourd’hui, et depuis cinquante ans, ce territoire est considéré par
la communauté internationale comme un « territoire non-autonome », dont
le processus de décolonisation, depuis le départ contraint de l’Espagne
en février 1976, n’est pas achevé. A ce jour, aucun pays -pas même la
France- ne reconnaît officiellement une quelconque souveraineté du Maroc
sur le Sahara occidental. Mais, coûte que coûte, il faut, constamment,
imposer cette vérité du pouvoir.
Des tentes… subversives
Faire de cette tente, « témoignage du Maroc saharien », « le point d’ancrage de l’exposition »,
n’a semble-t-il pas été questionné par les équipes du Louvre et de
l’IMA. Tant pis si l’on revisite l’histoire et la culture d’un pays
dont, par ailleurs, les participants à la conférence de presse tenue le
14 octobre, disent combien elles sont sources de « dialogue et de compréhension entre les peuples »
(1). Drôle de paradoxe quand on connaît la situation sociale et
politique dans ce vaste territoire de 270 000 km2. Récupération
incroyable quand on sait qu’aujourd’hui, et depuis le grand mouvement de protestation dit de Gdeim Izik,
en octobre et novembre 2010, l’installation des tentes sahraouies (les
khaimas) est interdite par les autorités marocaines car jugée
subversive. Les Sahraouis sont contraints à cacher un des principaux
attributs, en tout cas le plus symbolique, de leur identité et de leur
culture de nomade en montant leur tente comme ils peuvent sur le toit de
leur maison.
Un océan de tentes traditionnelles sahraouies. Le camp que les Sahraouis ont nommé le « camp de la dignité ». Crédit photo : Anthony Jean TotasproD
Le peuple sahraoui, reconnu comme tel par l’ONU à travers la place
officielle accordée à son représentant, le Front polisario, mouvement
indépendantiste politique et armé, est séparé. Plusieurs dizaines de
milliers d’entre eux (2) vivent dans des camps de réfugiés, aidés par le
Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU et par le Programme alimentaire
mondial, et situés à l’extrême sud-ouest de l’Algérie, près de la ville
de Tindouf.
Sponsors et opérations marketing
Plusieurs dizaines de milliers de Sahraouis vivent au Sahara
occidental occupé par le Maroc. S’ils ne font pas allégeance au roi
Mohamed VI, s’ils luttent et manifestent pour réclamer la tenue du
référendum que l’ONU doit organiser depuis 1991, ces derniers sont, au
« mieux », discriminés (3) et harcelés, au pire, tabassés et arrêtés. Un
de ces militants, Hassan Elouali Aaleya, 42 ans, est décédé le 28
septembre dans un hôpital militaire faute de soins, selon l’ASDHOM,
association qui mène une campagne de parrainage en faveur des
prisonniers politiques et d’opinion au Maroc, soutenue par l’écrivain
Gilles Perrault.
Le choix de l’Institut du Monde arabe de relayer cette vision
propagandiste du Maroc contemporain est dans la droite ligne des
nombreuses opérations marketing initiées et financées par le royaume,
souvent à travers son office de tourisme. Il suffit de regarder la liste
des sponsors qui ont mis la main au portefeuille pour se convaincre
qu’il s’agit une nouvelle fois d’une action de promotion politique et
économique (la France est son premier partenaire économique, le premier
investisseur et le premier bailleur de fonds, à travers son Agence
française pour le développement), la culture servant de faire-valoir.
Parmi ses financeurs, l’Office chérifien des phosphates, l’Agence du Sud ou Total sont étroitement liés au développement économique du Sahara occidental
et, donc, à une reconnaissance, au moins officieuse, comme c’est le cas
depuis des années en France, de la présence marocaine dans ce qui
reste, en droit international, une colonie.
L’OCP (premier exportateur de phosphate brut et d’acide phosphorique
dans le monde) y possède une de ses mines (Phosboucraâ), qui
représentait en 2012 10 % du volume total extrait. L’ « Agence pour la
promotion et le développement économique et social des provinces du
Sud » est le bras armé du royaume pour mener cette politique. Rien
d’étonnant à ce qu’elle figure parmi les sponsors de l’IMA. Total, dont
l’activité au Sahara occidental est depuis plusieurs années dénoncée
par des ONG, est toujours présent, le groupe menant, au moins jusqu’à la
fin de cette année, « des études géologiques et géophysiques » au sud
du Sahara occidental.
« Le Maroc est un pays qui offre aujourd’hui un exemple rare de tolérance et d’ouverture »,
explique Jack Lang, président de l’IMA. Probablement, en défendant une
vision plus nuancée de la réalité du Maroc contemporain, l’IMA aurait-il
davantage contribué à cette « meilleure compréhension entre les
peuples », qui, à cette occasion, sonnent comme des mots creux.
(1)Mehdi Qotbi, président de la fondation nationale des Musées du Maroc
(2)Il n’existe pas de chiffre officiel. On parle communément de 100 à 150 000 personnes.
(3)Le témoignage de l’athlète Laila Traby, qui court depuis dix ans sous les couleurs de la France, a été diffusé dans l’émission Stade 2 dimanche 5 octobre et prouve comment cette discrimination s’opère.
Pour aller plus loin à l’occasion de l’inauguration de cette exposition à Paris :
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