Par Amnesty International, 23/5/2014
Les autorités
marocaines utilisent une loi antiterroriste afin de poursuivre et
d’emprisonner des journalistes, ce qui porte un coup sérieux à la
liberté d’expression et à l’indépendance des rédactions, a déclaré
Amnesty International le mardi 20 mai 2014, en mettant en avant le cas
de deux hommes récemment visés par cette loi.
Le lundi 19 mai, les autorités ont reporté l’audition prévue le 20
mai du journaliste Ali Anouzla, qui risque jusqu’à 20 ans
d’emprisonnement pour avoir réalisé un reportage sur une vidéo du groupe
armé Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Pendant ce temps, un autre
journaliste marocain, Mustapha El Hasnaoui, en est au cinquième jour
d’une grève de la faim entamée pour protester contre les trois ans
d’emprisonnement qu’il doit purger pour faits de terrorisme, ayant été
condamné pour des contacts qu’il aurait eus avec des personnes engagées
dans le combat contre les forces gouvernementales en Syrie.
« L’utilisation des lois antiterroristes comme prétexte pour
sanctionner les journalistes en raison de leurs reportages porte un coup
sérieux à la liberté d’expression au Maroc », a déclaré Philip Luther,
directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord pour Amnesty
International.
L’ajournement de l’audition d’Ali Anouzla, prévue le 20 mai, par le
juge d’instruction de l’annexe de la Cour d’appel à Salé (à proximité de
la capitale, Rabat) est venu s’ajouter à une série déjà longue de
retards depuis que les autorités ont ouvert une information sur cet
homme, l’année dernière.
« Les autorités marocaines doivent cesser cette caricature de procès à
l’encontre d’Ali Anouzla et abandonner les chefs d’inculpation de
terrorisme retenus contre lui. Dans le cas du journaliste Mustapha El
Hasnaoui, nous les invitons à se conformer à la recommandation du Groupe
de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, qui a demandé
sa libération inconditionnelle et sans délai, et qui a souhaité qu’il
se voie accorder une indemnisation suffisante pour les 10 mois qu’il a
déjà passés en détention », a déclaré Philip Luther.
Ali Anouzla a été traduit en justice en septembre 2013, après que le
site d’information en ligne qu’il a fondé, Lakome.com, eut critiqué une
vidéo d’AQMI en parlant de « propagande ». Amnesty International craint
que les poursuites engagées contre lui ne viennent sanctionner son
indépendance rédactionnelle et son esprit critique envers les autorités.
Pendant la période de plus d’un mois qu’il a passée en détention
après son arrestation, en septembre 2013, l’organisation l’a considéré
comme un prisonnier d’opinion. Depuis, il a été libéré sous caution,
mais l’enquête le concernant se poursuit. Pendant ce temps, Lakome.com
est toujours censuré par les autorités.
Par ailleurs, les autorités marocaines ont fait obstacle, récemment, à
la reconnaissance officielle de Freedom Now, une nouvelle ONG également
appelée Comité pour la protection de la liberté de la presse et
d’expression, créée par des défenseurs des droits humains et
journalistes marocains, parmi lesquels Ali Anouzla. Plusieurs autres
groupes de défense des droits humains au Maroc et au Sahara occidental
se sont heurtés eux aussi à des entraves de la part des autorités
locales, en infraction à la législation nationale et aux obligations
internationales du Maroc en matière de droits humains.
Un journaliste emprisonné mène une grève de la faim
Un autre journaliste, Mustapha El Hasnaoui, fait actuellement une
grève de la faim dans la prison de Kenitra, à 50 km au nord de Rabat, où
il purge une peine d’emprisonnement de trois ans en application de la
loi marocaine contre le terrorisme.
Bien qu’il n’ait été accusé d’aucun acte de violence spécifique, il a
été condamné en juillet 2013 pour ne pas avoir dénoncé des personnes
soupçonnées d’avoir commis des actes terroristes en Syrie et pour avoir
appartenu au même groupe terroriste que ces personnes. Cette peine a été
prononcée à l’issue d’un procès inique où le seul élément retenu contre
lui était un procès-verbal d’interrogatoire de police qu’il avait signé
sans en prendre connaissance et qu’il a par la suite contesté devant le
tribunal.
Mustapha El Hasnaoui affirme que son interaction avec des hommes qui
combattaient en Syrie les forces gouvernementales n’a pas outrepassé son
rôle de journaliste. Selon lui, les charges retenues contre lui ont été
fabriquées de toutes pièces parce qu’il avait refusé des offres de
recrutement qui lui avaient été faites à plusieurs reprises par les
services de renseignement marocains. Dans ses écrits, il a critiqué avec
vigueur les violations des droits humains commises dans le contexte de
la lutte contre le terrorisme menée par les autorités, et il a demandé à
plusieurs reprises que des enquêtes indépendantes soient effectuées sur
les attentats à la bombe commis au Maroc depuis 2003.
« En 2011, les Marocains se sont vu promettre un nouveau Code de la
presse qui éliminerait la possibilité de peines d’emprisonnement pour
les journalistes – ils attendent encore. Et pendant ce temps, les voix
dissidentes sont réduites au silence », a déclaré Philip Luther.
Les journalistes sont toujours exposés à des peines de prison en
vertu de 20 articles distincts du Code de la presse actuellement en
vigueur au Maroc, qui visent notamment les articles censés porter
atteinte au régime monarchique, à l’intégrité territoriale du Maroc ou à
la religion islamique. Les journalistes font face à des sanctions
similaires en vertu du Code pénal marocain, pour toute critique à
l’égard de fonctionnaires ou de symboles nationaux. De surcroît, la
législation antiterroriste adoptée en 2003 viole la liberté
d’information et d’expression, érigeant en infractions pénales des faits
– définis en termes vagues – de soutien, d’assistance et d’incitation
au terrorisme, même s’ils ne comportent aucun risque réel d’action
violente.
« Ces lois doivent être réformées si les autorités marocaines
souhaitent vraiment respecter les droits humains », a déclaré Philip
Luther.
Amnesty International
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire