Alors que le livre d’Ali Amar est toujours interdit par le ministre islamiste de la communication, Mustapha El Khalfi, celui du prince Hicham El Alaoui circule sans aucun problème au Maroc.
Beau message envoyé aux Marocains : il n’est pas question d’interdire
le livre d’un alaouite, après tout le pays leur appartient. Même
s’ils sont fâchés entre eux.
Ali Amar n’en a cure. En attendant la sortie de son nouveau livre, le dernier continue de se vendre bien.
La revue belge Esprit libre a interviewé Ali Amar.
Esprit Libre : Les problèmes de liberté d’expression auquel
vous avez été confronté au Maroc en tant que journaliste ont été
nombreux, à commencer par l’aventure de feu l’hebdomadaire indépendant Le Journal que vous aviez cofondé. Pour quels motifs politiques a-t-il cessé de paraître ?
Ali Amar : La raison est éminemment politique bien que les autorités
aient maquillé leur décision judiciaire de mettre les scéllés au Journal
et d’en interdire définitivement la publication par des arguties
financières. Depuis sa fondation en 1997, Le Journal avait apporté un
vent frais dans la presse marocaine alors moribonde, bridée par les
tabous et les lignes rouges tracées par le pouvoir. Pendant une dizaine
d’années nous avons constitué un aiguillon pour le régime par nos
enquêtes au cœur du système monarchique, économique, sécuritaire…Notre
indépendance de ton, nos investigations incessantes, notre refus de
suivre aveuglément la propagande d’Etat sur tant de dossiers sensibles,
tout cela, a fini par exaspérer l’Etat profond qui a fini par décréter
notre fin.
Esprit Libre : Votre premier livre Mohammed VI, le grand malentendu édité en France en 2009 a été censuré au Maroc. Votre second livre, Paris-Marrakech : luxe, pouvoir et réseaux, a-t-il été mieux accueilli lors de sa publication en 2012 ?
Ali Amar : Malheureusement, mon second livre co-écrit avec le
journaliste Jean-Pierre Tuquoi du journal Le Monde, a subi le même sort
que le premier. Derrière son titre métaphorique, il décrypte les
relations quasi-incestueuses qu’entretiennent les élites politiques
françaises et marocaines, que ce soit sur le plan économique que
politique. Un sujet qui gène autant Paris que Rabat. La référence à
Marrakech, première ville touristique marocaine, vous l’avez compris,
rend compte de cette proximité puisque c’est là-bas où se nouent les
pactes politiques, les alliances industrielles sur fond de corruption,
loin du regard des médias sauf lorsqu’il s’agit de célébrer lors de
fêtes fastueuses la belle entente franco-marocaine. Il est toujours pour
moi significatif de constater que mes livres se trouvent en tête de
gondole à la Fnac ou Virgin à Paris et pas dans les rayons des mêmes
enseignes à Casablanca ou Marrakech. C’est toute l’illusion du Maroc
d’aujourd’hui où la modernité n’est souvent qu’une façade.
Esprit Libre : En Belgique, cela s’est vu récemment avec un
livre d’enquête contenant des révélations sur la famille royale qu’un
journaliste issu d’un média audiovisuel a signé de sa plume, certains
sujets polémiques passent difficilement par voie de presse car ils
engagent la responsabilité du média. Il semble que les rédactions ne
sont pas toujours prêtes à assumer certaines révélations là où le
domaine de l’édition permet à la fois un plus grand recul, un traitement
plus en profondeur et une plus grande liberté d’expression. La
situation n’est pas la même au Maroc ?
Ali Amar : A travers votre question, c’est toute la question du
rapport aux familles régnantes par voie de presse qui est posée dans des
pays où quel que soit le niveau de démocratisation, certains tabous
demeurent persistants. Si en Belgique, les médias sont rétifs à ce genre
d’exercice, alors que le monde de l’édition est plus libre, au Maroc la
situation demeure encore plus fermée tant la Couronne détient non
seulement l’essentiel du pouvoir politique, mais est protégée par un
halo de sacralité qui est traduit dans les textes de loi. S’aventurer à
enquêter sur le roi du Maroc, sa famille ou son premier cercle vous
expose à la censure et à des peines privatives de liberté que ce soit
par voie de presse ou par la publication d’ouvrages.
Esprit Libre : Votre présence actuelle en Belgique démontre
que le vent de liberté semé par les « printemps arabes » n’a pas soufflé
sur le Maroc en termes de liberté d’expression. Qu’attendiez-vous de
ces mouvements ?
Ali Amar : C’est une vaste question. Contrairement à ce que l’ont
croit, l’effet des « printemps arabes » s’est fait aussi ressentir aussi
au Maroc où des milliers de jeunes indignés du Mouvement du 20-Février
ont battu le pavé pendant plus d’un an pour réclamer des réformes
tendant à réduire les pouvoirs omnipotents de la monarchie. Cela s’est
traduit par une réforme constitutionnelle bien timide, mais cela a suffi
à libérer davantage la parole dans la rue. Si la liberté de la presse
est loin d’être totalement acquise, d’autres formes d’expression ont
émergé profitant de la puissance d’Internet et des réseaux sociaux.
C’est assurément le plus grand bénéfice de cette poussée de fièvre
contestataire. J’attends de ce bouillonnement de la jeunesse marocaine
une prise en main de son destin dans une société apaisée où l’exercice
de la démocratie pourra faire sauter certains verrous politiques,
assurer une meilleure redistribution des richesses du pays, mais aussi
dans les mentalités, pour que s’installe des mécanismes de reddition des
comptes. Une sorte affranchissement d’un système qui continue
d’infantiliser les Marocains pour les sortir du statut de sujets du roi
vers la citoyenneté.
Esprit Libre : Subissez-vous moins de pression depuis que
vous écrivez sur le Maroc depuis l’étranger ? Votre collaboration avec
Slate Afrique est-elle plus sereine ?
Ali Amar : La pression que je subis, que ce soit au Maroc ou à
l’étranger est plutôt d’ordre médiatique tant la « presse jaune »
constitue encore un moyen utilisé par une frange du pouvoir marocain
pour tenter assez désespérément de décrédibiliser ses détracteurs. Je ne
collabore plus avec le site Slate Afrique depuis plus d’un an pour des
raisons liées à la capacité du pouvoir marocain à mettre au pas une
large partie de la presse européenne par la propagande, la pression
politique, la séduction voire la corruption. Un des meilleurs
journalistes espagnols a d’ailleurs été contraint de quitter son poste
de correspondant pour le Maroc au sein du plus grand titre de presse
madrilène pour des raisons similaires. Cela vous donne une image de la
puissance des lobbys que peut actionner Rabat à l’International.
Esprit Libre : Combien de temps allez-vous rester en
résidence en Belgique et sur quel(s) sujet(s) comptez-vous enquêter et
écrire pendant cette période d’exil ?
Ali Amar : Je vais résider à Bruxelles pendant deux ans à
l’invitation de la Ville et de la maison internationale des littératures
Passa Porta dans le cadre du programme ICORN (International Cities Of
Refuge Network). J’ai en tête l’idée de faire un remake de mon second
livre, mais cette fois-çi dans le cadre des relations belgo-marocaines
où il y a tant de choses à dire et révéler…
Esprit Libre : En quoi la collaboration avec le monde
académique – et l’Université libre de Bruxelles en particulier –
est-elle indispensable ? Et comment va-t-elle s’articuler pendant votre
séjour à Bruxelles ?
Ali Amar : C’est d’abord pour moi une chance de pouvoir grâce à un
partenariat conclu entre les universités bruxelloises dont l’ULB et
Passa Porta de pouvoir échanger avec les étudiants et le corps
professoral et plus largement avec le public belge. Cette année, la
Belgique et le Maroc célébrent les 50 ans de l’immigration marocaine en
Belgique, l’occasion de revenir sur cette histoire commune, d’en
comprendre les enjeux et l’avenir. Je crois que ce genre d’expérience
est indispensable dans le dialogue que nous devons instaurer entre
intellectuels du Maroc et de Belgique pour dépasser le simple cadre des
relations bilaterales entre nos deux pays. Nous réfléchissons à Passa
Porta avec l’ULB à un programme qui s’étalera sur ma période de
résidence à Bruxelles et qui sera jalonné par des activités diverses qui
se traduiront par des conférences et qui alimenteront mes futurs
écrits.
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