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samedi 26 avril 2014

Les terres collectives : l’exclusion des femmes des listes d’ayants droit



Terres collectives

Terres collectives et inégalités : le combat des soulaliyates




Pourquoi ils nous appellent les soulaliyates ? Cest parce que nous sommes les propriétaires de cette terre. Nous y sommes nées. Nous tenons la soulala de père en fils2



Selon la définition officielle, « les terres collectives sont celles qui appartiennent collectivement à un groupement d’habitants faisant partie d’une même origine et descendant d’une même ethnie ». Ces terres sont régies par une série de textes législatifs dont le plus important est le Dahir de 1919 qui organise la tutelle administrative de ces biens collectifs et en réglemente la gestion et l’aliénation. À travers ce texte de loi, les terres collectives sont soumises à la tutelle du ministère de l’Intérieur. Au niveau de chaque collectivité, la gestion des terres revient à l’assemblée de délégués et à ses principaux représentants, les nouabs. En se référant à la fois aux textes de lois et à l’ensemble des règles coutumières propres à chaque collectivité, ces derniers établissent les listes des ayants droit, gèrent la résolution de conflits et exécutent les décisions du Conseil de tutelle.

Malgré les différences de pratiques observables d’une collectivité à l’autre, on retrouve une particularité commune : le droit d’exploitation et d’usufruit n’est généralement octroyé qu’aux chefs de famille de sexe masculin, et ce, même si, d’une collectivité à l’autre, le degré et les modalités de cette exclusion peuvent varier. Cette pratique renvoie à une stratégie de survie des collectivités soucieuses d’assurer l’exploitation des terres et d’éviter qu’elles soient incorporées par d’autres collectivités à la suite du mariage d’une femme de la tribu avec un homme appartenant à une autre collectivité. Si les femmes sont exclues du partage de la terre, elles peuvent pourtant en bénéficier de manière indirecte par leur lien au groupe. Ainsi, dans certains cas, une veuve peut, par exemple, recevoir la part impartie à son fils, tant que ce dernier est encore enfant. En tant que fille, sœur ou épouse d’un chef de famille mâle, elles peuvent indirectement bénéficier d’une part des récoltes par le lien qui les lie à ce dernier. 
Cette forme de solidarité familiale est pourtant toute relative car elle dépend largement du bon vouloir des hommes de la collectivité. Par ailleurs, en cas de mariage avec un membre étranger au clan, les femmes perdent automatiquement tout droit à une part de la récolte.

Sous la pression de l’expansion urbaine et démographique, ou encore de la multiplication de projets touristiques et immobiliers, cette situation change dès la fin des années 1990. Estimées aujourd’hui à près de 15 millions d’hectares, les terres collectives représentent en effet un important réservoir foncier et un enjeu économique de poids3. Bien que le Dahir de 1919 stipule que ces terres sont « imprescriptibles, inaliénables et insaisissables », des textes de loi parus par la suite introduisent des règles et des exceptions permettant leur cession. En échange des terres ainsi cédées, les membres des collectivités reçoivent différentes formes d’indemnisations : des équipements, de l’argent ou encore des parcelles équipées pour y construire une maison.

La distribution des compensations se fait sur la base de listes d’ayants droit établies, au moment de chaque cession de terre, par l’assemblée des délégués représentée par les nouâbs. En se référant aux pratiques qui excluent les femmes du partage de la terre, ces derniers réservent de manière quasi systématique ces listes aux hommes de la collectivité, écartant par là les femmes. Dans certaines régions du pays, ces cessions ont eu des conséquences dramatiques dans la mesure où les terres en question étaient encore utilisées et habitées. Alors que les hommes recevaient des indemnisations leur permettant de s’installer ailleurs, les femmes vivant seules se retrouvent dans des situations précaires et sont amenées à migrer vers les villes et à trouver refuge dans des bidonvilles. Plusieurs articles de presse ont mis en avant des histoires de vie de soulaliyates ayant vécu des drames sociaux suite à ces changements4.

Le mouvement des soulaliyates

Le mouvement des soulaliyates prend naissance en 2007 lorsque l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) accepte de soutenir la cause d’un groupe de femmes de la collectivité des Haddada (Kénitra) venues se plaindre de l’injustice qu’elles subissent depuis plusieurs années : à chaque cession de terres, leurs frères reçoivent des indemnisations dont elles restent exclues. À la tête des femmes des Haddada se trouve Rqia Bellot, une ancienne fonctionnaire à la retraite vivant à Rabat. Après avoir accepté de soutenir ces dernières, l’ADFM et Rqia Bellot contactent des femmes d’autres collectivités. Peu à peu, l’initiative des femmes de la région de Kénitra se transforme en mobilisation nationale qui revendique le droit de toutes les femmes des tribus du Maroc à bénéficier de la répartition des terres collectives.

Dans le cadre de cette collaboration, les femmes des collectivités se chargent de convaincre leur entourage, de se procurer les informations, d’envoyer des lettres de plainte aux autorités et de prendre part aux manifestations, aux conférences de presse et aux réunions avec les autorités locales, autrement dit, de donner un visage et une voix au mouvement. Quant à l’ADFM, soutenue par le Forum des Alternatives Maroc (FMAS), elle se charge de faire le suivi et d’organiser des rencontres de sensibilisation et de formation en matière de leadership féminin, de plaidoyer, de mobilisation et de communication. Elle apporte son soutien lors de la rédaction des courriers officiels, organise les principales manifestations et intervient directement auprès des autorités publiques en charge du dossier. Par ailleurs, l’organisation crée un réseau associatif, organise des conférences de presse, participe à des émissions télévisées pour sensibiliser le public aux revendications du mouvement et contribue à la production de documentaires et d’articles. Enfin, en mars 2009, elles soutiennent six soulaliyates qui saisissent le tribunal administratif de Rabat pour interpeler l’État en la personne du Premier ministre et le ministre de l’Intérieur en sa qualité de tuteur des terres collectives pour revendiquer la suspension des cessions des terres collectives et pour protester contre l’exclusion des femmes lors des indemnisations.



Auteur
Yasmine Berriane



Yasmine Berriane est enseignante-chercheuse à l'Université de Zürich (URPP Asia & Europe) et titulaire d'un doctorat en science politique de l'IEP de Paris. En 2013, sa thèse de doctorat est parue sous forme de livre aux éditions Jacques Berque sous le titre Femmes, associations et politique à Casablanca.... lire la suite

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