J’ai
eu un grand moment de gêne, sinon de honte, pour le Président Bouteflika, sur sa
chaise roulante, dans son bureau d’El Biar, à Alger.
Hagard,
la mâchoire pendante, le regard fixe, le visage bouffi et exsangue, il n’est
plus que l’ombre de lui-même. Ses yeux, jadis clairs et pétillant
d’intelligence, se sont édulcorés et semblent contempler le vide. Les accidents
vasculaires cérébraux, à répétition, ont dû infliger bien des dommages à son
cerveau. Les médicaments auront fait le reste, au point que l’homme n’a même pas
eu la force de se saisir des bulletins de vote, laissant cette initiative à l’un
des membres de sa garde rapprochée. Tout au plus, s’est-il contenté de glisser
son bulletin dans l’urne de doigts, aux jointures raidies par une mauvaise
vascularisation.
Incorrigibles,
le monde s’était pourtant pris à espérer, encore une fois, en des lendemains
meilleurs pour le pays des Aurès. Peine perdue, c’est un fantôme qui dirigera le
pays, pour la quatrième fois consécutive.
Avant
d’être Président, Bouteflika avait été le sémillant inspirateur de la diplomatie
de son pays seize années durant, de 1963 à 1979. Ce 17 avril, il n’en a pourtant
pas eu une once, ni un soupçon de retenue, afin d’éviter à son peuple, à la
fierté proverbiale, ce spectacle affligeant du chef finissant, traîné aux urnes,
en fauteuil roulant. Et même si tout cela ne procédait pas d’une mise en scène
misérabiliste, pour mieux apitoyer la rue algérienne, il n’y manquait plus que
la bande son d’un grincement des roues du « Carrosse présidentiel» pour que le
spectacle bascule de la tragédie à la pantalonnade.
Un
moment de honte disais-je, de voir, cet homme-tronc, remporter, littéralement
dans un fauteuil, sans même avoir daigné faire campagne et dès le premier tour,
les élections présidentielles, avec un score de 81,53% des voix, alors que son
rival le plus proche, Ali Benflis, était « gratifié »
d’un misérable 12,18% et pendant que, au fil de la proclamation des résultats,
les autres candidats, Abdelaziz
Belaïd, Louisa Hanoune, Ali
Faouzi Rebaïne et Moussa
Touati passaient à la trappe avec respectivement 3.36%, 1.37%,
0.99% et 0.5%.
Bourrage
des urnes ? Sans doute, tant les habitudes dans nos dictatures, ont la vie
dure.
Fraude
massive ? Pas totalement exclu, au vu du score qui aurait fait pâlir d’envie
Staline en personne.
Vote
refuge ? Pas étonnant pour une Algérie qui, à peine avait-elle entamé son
chemin vers la résilience du traumatisme colonial et sa réconciliation avec son
ancien suzerain hexagonal, qu’elle avait basculé, dix ans durant, dans un
terrorisme, aux relents de guerre civile qui l’avait de nouveau isolée sur la
scène internationale et pointée du doigt ?
En
attendant que l’histoire se charge de séparer le bon grain de l’ivraie, pour
nous dire la vérité sur cette élection, une réalité demeure : partagée entre la
cruelle suspicion de se voir, à nouveau trompée et l’amère réalité d’un
quotidien figé dans l’exclusion, la misère et le chômage, la jeunesse
algérienne a préféré boycotter cette énième échéance pour rien, quand elle n’est
pas descendue crier son désaveu pour le président sortant. Les images de liesse
populaire diffusées par la télévision officielle n’auront trompé personne. La
manière avec laquelle les services de sécurité ont maté les partisans du
changement, constituent, pour le moment, la réponse la plus adéquate et la plus
éloquente à toutes ces interrogations.
Pour
s’en convaincre définitivement, il fallait lire le rapport accablant d’Amnesty
International publié dès le lundi 14 avril. Comme il fallait s’y attendre,
l’Organisation des droits de l’homme, clouait au pilori les autorités
algériennes, pour leurs violations nombreuses des droits de l'Homme, notamment
en matière de liberté d'expression, écrivant en substance :
-
« Les restrictions croissantes à la liberté d’expression imposées en
cette période préélectorale en Algérie, font apparaître des failles choquantes
dans le bilan global des droits humains dans le pays. »
Nicole
Duckworth, la Directrice générale, chargée des recherches auprès
de l’Organisation enfonçait le clou :
-
« La stratégie des autorités algériennes a été d’étouffer dans
l’œuf, toute tentative visant à les défier ou à remettre leur bilan en question.
Etant donné l’imminence de l’élection présidentielle, elles intensifient
actuellement la répression et montrent qu’elles ne tolèrent aucune critique
publique, à quelque niveau que ce soit. »
Comme
un avertissement au pouvoir autiste d'Alger, quatorze (14) militaires de l'ALN,
sont tombés dans une embuscade, dans la soirée de samedi à dimanche, dans la
commune d'Iboudraren à environ cinquante (50)
kilomètres au sud-est de Tizi-Ouzou, elle-même
théâtre de violentes émeutes, suite à la décision de la police d’empêcher la
marche de célébration du 20 avril, date anniversaire du Printemps berbère. Des
événements qui font craindre le retour du pire.
Mais
"Bouteflika IV" n'en a cure. La messe dite, il
reprendra toutes affaires cessantes et avec une discrétion toute relative, ses
pèlerinages médicaux au Val-de-Grâce. Un autre sujet bien légitime de honte, de
frustration, de colère ou d’inquiétude, pour les algériens, dont le pays est le
sixième producteur mondial de gaz avec ses quatre-vingt-six milliards
(86.000.000.000) de mètres cubes de gaz et le quinzième producteur de pétrole
avec son million et huit cent quatre-vingt mille (1.880.000) de barils et dont
même le premier des citoyens doit s’exiler pour une prise en charge médicale
convenable. Des revenus colossaux, confisqués en bonne partie par le complexe
militaro-oligarchique du FNL et ses caciques corrompus et ventripotents, qui,
pour mieux durer crient, tantôt au péril islamiste, tantôt au complot
impérialiste, tantôt au complot marocain. Le voisin de l’Ouest, leur rend au
demeurant fort bien, avec des déclarations en faveur de Bouteflika. La
perspective de voir l’Algérie gouvernée par un vieillard impotent, n’étant pas
pour déplaire à un Mohammed VI qui fait ainsi oublier ses propres ennuis de
santé et turpitudes. Echanges de bons procédés entre deux régimes siamois, qui
baignent dans le même liquide amniotique de la dictature.
L’Algérie
retient son souffle. La prochaine fois qu’elle devra retourner aux urnes, ce
sera probablement parce Abdelaziz Bouteflika aura disparu. Et le monde,
incorrigible, se reprendra, encore une fois, à espérer pour les enfants de
l’Algérie. A moins que d’ici là, la deuxième vague du Printemps ne vienne
nettoyer les relents de moisi et de formol qui se sont emparés du Palais
d’El Mouradia, sur les hauteurs de la magnifique baie
d’Alger.
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