Par: Ignacio Cembrero 28/6/2013
Traduction de l’espagnol par Ahmed Benseddik
Ali Anouzla, directeur du journal Lakome numérique, a été inculpé de diffusion de fausses informations sur une rixe tribale.
« Le roi Mohammed VI, qui
accumule de nombreux pouvoirs (Commandeur des croyants, Commandant en
Chef des Forces Armées Royales, Président du Conseil des ministres,
Président du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil
supérieur des Oulémas, etc.), a-t-il le droit de s’absenter si souvent
et si longtemps sans même annoncer la date et la durée de ses voyages à
l’étranger ? Cette habitude royale pose un vrai problème
constitutionnel, politique et moral. »
Le seul journaliste marocain qui a osé
poser cette question et apporter une réponse a été, le 4 Juin, Ali
Anouzla, directeur du site numérique indépendant Lakome, dans un
éditorial intitulé «De l’absentéisme royal». Il a publié le 4 Juin quand
le souverain était en vacances en France. Au total, le monarque a
consacré, depuis le début de l’année 2013, dix semaines à des voyages
privés à l’extérieur du Maroc, en particulier au château qu’il possède à
Betz, au nord de Paris.
Ali Anouzla a été convoqué mardi 25 Juin
par la police judiciaire de Fès et, le mercredi, par le procureur de la
même ville. Il a été auditionné et accusé de «publication et diffusion,
de mauvaise foi» de «fausses informations» et «faits inexacts» de
nature à troubler l’ordre public. Il risque une condamnation en vertu de
l’article 42 du code de la presse marocaine, à une peine allant d’un
mois à un an de prison et une amende comprise entre € 110 et € 9.500.
Quelle fausse information Anouzla
a-t-il publié ? Le lundi 17 Juin vers 13h30, Lakome a repris une
information publiée par RASSD, un journal numérique de Fès récemment
crée, qui faisait état d’affrontements tribaux près de la ville ayant
causé sept morts. A 14h, n’ayant pas pu vérifier la véracité de
l’information, Lakome a retiré l’article en question, et peu après après
17h le site s’est excusé auprès de ses lecteurs suite à cette erreur.
Le directeur du site local à Fès a
également été convoqué par le procureur. Il a avoué avoir inventé
l’histoire en vue d’induire en erreur les autres journaux numériques
d’information. Mais le parquet n’a pas convoqué les responsables des
autres sites numériques qui ont publié la même information fictive,
parfois pendant des jours, et qui n’ont pas pris la peine de s’en
excuser.
« Je me demande si mon inculpation
pour diffusion de fausses informations n’est qu’un prétexte, et si les
motivations sont ailleurs », explique Anouzla au téléphone. Le procureur
était pressé. Il a fixé l’audience pour le 16 Juillet. S’il est reconnu
coupable, Anouzla ira en prison. En 2009, un tribunal l’avait déjà
condamné à une peine d’un an de prison avec sursis, conformément à
l’article 42 du code de la presse. Comme il s’agit de récidive, il
devrait cumuler les deux peines.
À la fin Août 2009, le palais royal
marocain a publié un communiqué expliquant que le roi avait attrapé une
infection dite rotavirus, une maladie qui affecte les intestins et qui
l’a obligé à «une convalescence de cinq jours.» «L’état de santé de Sa
Majesté le Roi n’est pas préoccupant», conclut le texte de ce
communiqué.
Anouzla, qui dirigeait à l’époque le
quotidien Al Jarida Al Oula, avait publié un article intitulé: « La
maladie royale retarde les causeries religieuses et son déplacement à
Casablanca ». Un autre article signé par la journaliste Bouchra Eddou,
signalait, en citant un médecin anonyme, que « l’origine du rotavirus
contracté par le roi est due à la consommation de corticoïdes contre
l’asthme qui causent l’enflure du corps et diminuent l’immunité». Ce
commentaire médical lui a valu la condamnation.
Étouffé par le manque de publicité Al
Jarîda Al Oula a fermé en mai 2010, mais huit mois plus tard, Anouzla,
infatigable, lance le site numérique arabophone Lakome. Plus tard, il
lance avec Aboubakr Jamai une version francophone. Leur seule source de
revenus pendant des mois fut la publicité de Google. Mais le site a
connu un succès indéniable. Quand il a appris qu’il était poursuivi,
Anouzla a déclaré : « La ligne éditoriale de Lakome ne changera pas d’un
iota. ». Ceux qui connaissent la presse marocaine savent tous qu’
Anouzla est sans doute le journaliste le plus indépendant.
Lorsqu’il n’est pas poursuivi par la
justice, Anouzla est l’objet de harcèlement de la part des médias
proches des autorités. Lorsqu’en Avril, le Conseil de sécurité de l’ONU a
renoncé à élargir le mandat des casques bleus au Sahara occidental
(MINURSO), afin qu’ils puissent surveiller les droits de l’homme,
plusieurs médias proches des officiels avaient annoncé que le
journaliste avait tenté de se suicider et avait été hospitalisé dans un
état grave.
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