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samedi 6 juillet 2013

Egypte: Mohamed El Baradei, l'espoir des révolutionnaires



Par Yassine Khiri, l'Express, 5/7/2013

Longtemps méconnu des Egyptiens, Mohamed El Baradei s'impose comme le porte-parole de l'opposition. La destitution de Mohamed Morsi représente une occasion unique pour l'ex-diplomate libéral d'accéder aux rênes du pouvoir.




Egypte: Mohamed El Baradei, l'espoir des révolutionnaires
EGYPTE- Choisi par l'opposition comme représentant, Mohamed El Baradei est aujourd'hui l'espoir des manifestants anti Morsi.
Reuters/Pascal Le Segretain/Pool

L'allure est grave. Le ton est solennel. Mohamed El Baradei n'a pas changé. En relayant le chef des armées, le général Abdel Fattah Al Sissi, dans son allocution télévisée, mercredi soir, le représentant de l'opposition égyptienne s'est contenté d'un discours sobre et sans saveur pour adresser aux Egyptiens la "feuille de route" de l'après-Morsi.
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Une attitude qui contraste avec l'incroyable ferveur de milliers d'Egyptiens, bien décidés à célébrer ce jour historique sur la Place Tahrir. Avec ses lunettes rondes et son air d'intello, El Baradei présente la silhouette d'un homme froid et austère, loin des leaders charismatiques et autres tribuns capables de tenir le peuple en haleine et d'électriser les foules par des formules flamboyantes. "Ce serait le premier leader arabe qui ne parle pas le langage du cœur, mais celui de la tête", avait dit de lui, en 2010, un journaliste palestinien.




Davantage technocrate qu'homme politique

Mal à l'aise avec les manifestants, on l'a très peu vu dans les rassemblements monstres qui ont envahi la Place Tahrir pendant trois jours. Ses rares sorties aux côtés des révolutionnaires ont été troublantes de maladresses. "Les gens disent de lui que c'est un homme assez mou, confie Hussein El Ganainy, journaliste et activiste franco-égyptien, membre fondateur de l'Association du 25 Janvier à Paris. C'est vrai qu'il est très pépère. Ce n'est pas le genre bling-bling ou nerveux. Il sait au contraire très bien calmer les ardeurs."
Pressenti pour prendre la tête du gouvernement de transition, il ne s'est pas mué en animal politique et reste avant tout un technocrate de haut niveau. Car, avant de devenir la grande figure de l'opposition libérale, Mohamed El Baradei a connu une brillante carrière internationale.
Né en 1942 d'un père avocat, ce docteur en Droit international diplômé de l'université du Caire, a effectué la majeure partie de sa carrière dans la diplomatie. D'abord au ministère des Affaires étrangères de son pays, puis à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). C'est au sein de l'organisation onusienne qu'il se révèle et se forge la réputation d'un homme intègre et partisan de la négociation. Directeur de l'AIEA entre 1997 et 2009, il reçoit le prix Nobel de la paix en 2005 pour ses efforts destinés à éviter la prolifération nucléaire en privilégiant toujours le dialogue à l'image de sa gestion des dossiers nucléaires iranien et nord-coréen.

Un pionnier de l'opposition

Mais le chemin pour arriver aux portes du pouvoir a été long et semé d'embuches. Pour concrétiser son projet politique, El Baradei attend depuis son retour triomphal au pays, en 2010. Porté par la "volonté d'être un agent du changement", le diplomate troque une retraite paisible pour se lancer en politique. Et ce bien avant le printemps arabe.
Fervent opposant au régime de Moubarak, El Baradei réunit autour de lui plusieurs figures de l'opposition et des intellectuels. Ensemble, ils créent une nouvelle force politique, l'Association nationale pour le changement. Très vite, il milite pour faire amender la Constitution, qui interdit à tout candidat indépendant non adoubé par le pouvoir de se présenter à la présidence de la République.
Véritable électron libre, El Baradei semble s'imposer comme le seul capable de bouger les choses en Egypte et de faire entrer le pays dans la modernité. Démocrate, libéral, défenseur des libertés individuelles et du droit des femmes, militant de la justice sociale et de la lutte contre la corruption, l'ancien diplomate offre une vision ambitieuse de la politique qui séduit aussi bien les Occidentaux à l'étranger que les milieux de la jeunesse éduquée et les classes moyennes urbaines en Egypte. Les mêmes qui formeront l'avant-garde de la révolte contre Moubarak en 2011.

Printemps arabe et départ de Moubarak: l'occasion manquée

Le 11 février 2011, après plusieurs semaines de manifestations monstres dans tout le pays, Moubarak, au pouvoir depuis près de 30 ans, est contraint à la démission. Populaire auprès des manifestants décidés à empêcher les Frères musulmans d'accéder au pouvoir, la voie royale à la tête du pays s'ouvre enfin à lui, le principal fédérateur de l'opposition démocratique.
Il déclare forfait pour la course à la présidence cependant, et accuse le pouvoir militaire de transition, à l'époque dirigé par le maréchal Hussein Tantaoui, de perpétrer le système répressif d'autrefois. Incapable de capitaliser son prestige auprès des révolutionnaires, sa non-candidature à la présidentielle écorne profondément sa réputation.
A la suite de cet épisode, une image lui colle à la peau, celle d'un homme providentiel qui a reculé au moment critique alors que d'autres comme Hamdine Sabahi se sont engagés afin d'empêcher Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans, ou Ahmed Chafiq, issue de l'ancien régime, de ravir les fruits d'une révolution chèrement payée. Sa prudence extrême à ne pas porter caution à un régime non-démocratique lui a valu beaucoup de critiques dans son propre camp. "Je le comprends, même s'il aurait quand même pu se présenter", confie Hussein El Ganainy.
La gestion catastrophique de Mohamed Morsi, élu en juin 2012, lui donne l'occasion de se remettre en selle. Il fonde le parti Al Dostour et devient l'un des principaux porte-paroles de l'opposition laïque aux Frères Musulmans. Très virulent contre le pouvoir islamiste, il accuse Morsi de mettre en péril les acquis de la révolution. Trois jours suffisent à la campagne de manifestation Tamarrod ("désobéissance") pour contraindre l'armée à destituer le Raïs.
Quelqu'un doit incarner ce combat. Son nom sonne comme une évidence.Les plus importants partis et mouvements de l'opposition réunis au sein du "Front du 30 juin" font appel à l'homme intègre, celui qui n'a jamais retourné sa veste, pour devenir leur "voix" et les représenter auprès de l'armée. El Baradei voit aujourd'hui une chance unique de prendre les rênes de son pays après son échec de 2011. Une opportunité historique.

Enfin l'heure de son triomphe ?

Est-il devenu enfin l'homme de la situation ? C'est l'avis d'Hussein El Ganainy: "Pour diriger un gouvernement de technocrate, c'est l'homme de la situation. Il a une vision correcte de l'état du pays, il est connu mondialement et peut donc être reçu par les chefs d'Etats comme il se doit. Mais je ne le vois pas se présenter à la présidentielle." En Egypte, où la crise économique est profonde, la situation reste explosive. Un des seuls à avoir diagnostiqué les maux profonds du pays, El Baradei est appelé à régler les problèmes sociaux du pays.
Saura t-il rassembler tous les Egyptiens et ramener la sérénité ? "Il a lancé un message d'apaisement, rappelle Hussein El Ganainy. En insistant sur l'unité nationale, le pardon et la réconciliation lors de son discours, l'armée a vu son engagement d'un bon œil."
Très critique en 2011 à l'égard de l'armée, il s'était attiré à l'époque les foudres des généraux. Ce sont aujourd'hui les mêmes qui lui ont confié les rênes du pays et le soin de présenter la feuille de route. "Il risque sa réputation en jouant le jeu de l'armée prévient Hussein El Ganainy. J'espère qu'ils ne vont pas lui planter un couteau dans le dos."

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