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samedi 6 juillet 2013

Ébullitions en Egypte / Oser une lecture


par Mohammed Belmaïzi (Articles), 6/7/2013

On ne peut cerner valablement les évènements qui secouent l'Égypte, sans relater ces quelques étapes, immédiates et lointaines.

En premier lieu, les Frères Musulmans n’ont pas pris part à la révolution de janvier 2011 contre le dictateur, « président à vie », Moubarak. S’ils avaient rejoint tardivement les manifestations en étant éparpillés, ce n’était en aucun cas en tant qu’obédience religieuse. Nulle référence à la doctrine islamique n’a été brandie. Ce sont les jeunes et les contestataires sans référentiel religieux ostentatoire qui ont renversé le despotisme.

Et les Frères Musulmans, en tant que force organisée sont montés au pouvoir par les urnes. Mais les espoirs qui allaient dans le sens de voir un État aux antipodes du précédent, ont été lamentablement déçus. Un « demi-dieu » en la personne de Morsi, a remplacé l’autre pharaon, Moubarak. Un despotisme religieux a éjecté l’autre despotisme libéral. C’est que le président islamiste se voit déjà entouré d’une aura sinon divine, du moins magico-religieuse. Un imam le décrivait comme descendant de Omar le Khalif. Un autre le décrivait, sous la lumière d’un oracle, comme le préféré et donc le désigné du Prophète. Un dernier jurait que l’ange Gabriel était en colloque privé avec lui dans la mosquée de Rabiâ l’Adaouiya… Et chacun y allait de sa litanie et de ses fantasmes et fantaisies. Le culte de la personnalité allait s’enraciner à travers une sacralité frauduleuse, contestée et contestable.

L’État théocratique en gestation, prenait de plus en plus d’ampleur, en marginalisant l’ensemble des forces de la société civile. Le but était d’insérer dans la Constitution (art. 2), les ingrédients des « principes de la Shari’a », loi islamique. Il faut retenir que le texte de la Constitution insistait sur la jurisprudence religieuse comme source de droit, et octroie à l’université al-Azhar l’autorité suprême de « prêcher l’islam en Égypte et dans le monde entier ».

Un an est passé sans s’attaquer de front aux problèmes économiques et sociaux. La propagande des Frères Musulmans a végété dans les considérations vaseuses du halal et du haram, du licite et de l’illicite ; du vrai ou faux croyant ; du blasphème et de l’apostasie… Morsi n'était déjà plus le président de tous les Égyptiens!

Tous ces éléments, et tant d’autres, longs à insérer dans cet article, ont fait qu’un large pan de la société est sorti sur la Place Tahrir pour protester contre les Frères Musulmans, après avoir collecté les signatures de 22 millions d’Égyptiens. Soit 9 millions de plus que les 13 millions qui ont élu Morsi à la présidence. Le constat de l’échec de Morsi est on ne peut plus clair. Et on ne peut faire prévaloir une quelconque « légitimité » des urnes pour de multiples raisons. C’est que la Révolution est en perpétuelle mutation. C’est que la légitimité ne peut se mesurer et se fonder que sur l’émancipation à tous les points de vue ; sur la prospérité et surtout sur la réalisation des buts fixés par la Révolution : citoyenneté, démocratie, dignité, justice sociale. Les Frères Musulmans ont perdu définitivement le coche. Morsi a commis le péché de rompre le contrat social et n’a même pas pu esquisser un plan de réformes politiques et sociales pour lesquelles il était élu. Tout régime fondé sur les poncifs cités plus haut, ne peut prétendre à la « légitimité » dans un contexte révolutionnaire, et en colossale mutation. Aucun despotisme ne peut avoir de « légitimité ». C’est la logique même !

C’est pourquoi l’intervention de l’armée en connivence avec une large partie d’Égyptiens ne peut s’analyser que dans ce contexte où mutation se conjugue avec la réalisation des buts de la Révolution. Dans ce cas, on ne peut parler d’un « Coup d’État » que lorsqu’on le compare à la Révolution des Œillets au Portugal, contre Salazar. ‘Tamarroud’, l’insoumission et la rébellion contre la tyrannie, s’exerce logiquement contre toute dictature, y compris la religieuse ou la militaire. L’armée égyptienne, elle-même, est soumise à cette dialectique, et elle ne peut s’imposer au détriment des aspirations du peuple égyptien.

Aujourd’hui, ce combat contre les obédiences islamistes s’accentue au sein de l’espace islamique, et peut aboutir sans détour à l’échec de la vision islamiste qui s’apparente clairement au despotisme le plus virulent qui s’attache à des interprétations rigoristes de l'islam, qui ne met pas au centre de ses préoccupations l’humain et les garanties tangibles en tant que support au socle des valeurs mentionnées plus haut.

A ces étapes immédiates d’analyse, s’ajoutent les étapes lointaines. L’armée égyptienne avait destitué le roi Mohammed Ali en 1952, comme aujourd’hui, Mohamed Morsi. Ce «Coup d’État» contre la monarchie – qui était d’ailleurs mené avec la complicité de la confrérie des Frères Musulmans – avait donné une légitimité figée aux militaires qui ont monopolisé le pouvoir à l’excès, pour ne jamais le céder à une entité civile. Aujourd’hui, tout semble aller dans le sens opposé de 1952, car ce déploiement militaire vient se greffer sur la contestation des masses. Un élément nouveau dans l’Histoire de l’Égypte, qui pourrait déterminer l’orientation future. Mais face au refus intransigeant des partisans de Morsi, cet autre élément nouveau qui vient torpiller une logique implacable d’ouverture vers d’autres possibles, l’incertitude et la crainte d'une déroute dans le sang, restent de mise…

Mais on ne comprendrait rien à ce qui se passe aujourd'hui dans le monde arabo-musulman, si l'on ne qualifiait pas l'antagonisme entre l'orthodoxie et la modernité comme "moteur" de l'Histoire dans nos contrées. Les supputations autour de l'analyse géopolitique ne tiennent la route que d'une manière très secondaire... 

Car il ne s'agit nullement d'un programme politique contre un autre. Mais il s’agit bel et bon d’un projet de société contre un autre et d’une vision du monde contre une autre vision du monde. Ce débat entre l’orthodoxie et la modernité ne date pas d’aujourd’hui. Il a jalonné sans discontinuité la civilisation arabo-musulmane. Le fait que des slogans tels que « l’islam est la solution », que « l’islam est religion et État », que « la Shari’a est destinée aux habitants de la terre », que le « Khalifa de la Oumma » est "incontournable" ...  aient envahi les imaginaires, empêche tristement de faire entendre les voix des savants musulmans qui travaillent (qui travaillaient depuis des siècles) pour réformer l’islam et l’écarter de toute source de pouvoirs politiques, dans le but de préserver sa dimension spirituelle.

C'est à ce seul prix que le décollage de nos sociétés deviendra une réalité vivable !


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