Le 1er juillet, à l’issue de manifestations gigantesques dans les rues égyptiennes, l’armée a publié un communiqué affirmant « son soutien aux demandes du peuple » et donnant « à tout le monde » quarante-huit heures, délai de la « dernière chance [pour] assumer leurs responsabilités en ce moment historique ». Si ces demandes ne sont pas satisfaites, poursuit-elle, « ce
sera aux forces armées d’annoncer une feuille de route, et des mesures
supervisées par elles en coopération avec toutes les forces patriotiques
et sincères [...] sans exclure aucun parti ».
Bien que cette dernière partie de la phrase — « sans exclure aucun parti » — vise à rassurer les Frères musulmans, qui craignent le retour à l’ordre ancien et l’emprisonnement, leur direction a rejeté cet ultimatum et le président lui-même a affirmé qu’il resterait à son poste. Et il semble peu probable que le président Mohammed Morsi puisse survivre à cette épreuve. Même le porte-parole du parti salafiste Nour (25 % des voix aux élections législatives), Nader Bakkar, expliquait à son demi-million d’abonnés sur Twitter que le calife Othman, troisième successeur du Prophète, avait préféré renoncer à la vie plutôt que de faire couler le sang des fidèles.
Avec le retour probable de l’armée sur le devant de la scène, c’est la principale avancée du président Morsi durant son court règne qui est remise en cause. C’est lui en effet qui, en août 2012, avait renvoyé le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) dont la gestion du pays pendant un an et demi s’était révélée catastrophique (lire « Egypte, une nouvelle étape ? »).
Il n’est pas inutile de rappeler que :
Pourtant, si l’armée peut revendiquer son retour aux affaires, c’est que Morsi a échoué. Et cet échec est éclatant dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’édification d’un Etat de droit ou du développement économique et social.
Il est important de comprendre les raisons de cet échec. Morsi n’a pas été capable de rassurer un pays divisé, ni ceux qu’inquiétait un parti discipliné, souvent sectaire et à tendances hégémoniques. Morsi a été le président des Frères, pas celui des Egyptiens. Il a par ailleurs fait preuve d’une incompétence qui a surpris bien des observateurs qui pensaient que les Frères disposaient de cadres pour gérer l’appareil d’Etat. En revanche, on ne peut vraiment pas parler d’islamisation de l’Etat, constate sur son excellent site The Arabist, Issandr El Amrani (« Morsi’s Year », 27 juin). C’est d’ailleurs un des reproches principaux des partis salafistes.
Mais si Morsi porte les responsabilités de son échec, on ne peut oublier certaines données :
Il a été d’autre part la victime d’un paysage médiatique profondément bouleversé depuis la révolution. Dans un autre billet du 30 juin intitulé « The delegitimization of Mohamed Morsi », The Arabist notait aussi l’entreprise de dénigrement à l’encontre du président — associée, il faut le dire, à une campagne anti-palestinienne, le Hamas étant accusé d’avoir fourni des lance-pierres aux Frères en janvier 2011 !
« Même en tenant compte de ses piètres résultats, l’une des caractéristiques de la vie politique de l’année écoulée est d’avoir été une machine implacable de diabolisation médiatique et de délégitimation de l’administration Morsi, bien au-delà des erreurs dont Morsi est lui-même responsable. Quiconque regarde CBC, ONTV, al-Qahira wal-Nas et d’autres stations satellites, ou lit des journaux hystériques comme al-Destour, al-Watan ou al-Tahrir (et de plus en plus al-Masri al-Youm), est abreuvé par une propagande anti-Morsi permanente. Certaines de ces attaques étaient méritées, mais, même de la part d’un journaliste respecté comme Ibrahim Eissa (un des principaux adversaires du président Hosni Moubarak), le discours contre Morsi était hors de contrôle. »
On est loin de l’image avancée par Reporters sans frontière peignant les Frères en prédateurs de la presse – même si certains journalistes ont pu être poursuivis. Jamais la liberté d’expression n’a été aussi large en Egypte.
Ce qui est inquiétant, note Esam El-Amin, c’est que l’opposition, obnubilée par son hostilité aux Frères, a redonné une légitimité aux membres de l’ancien régime présents dans l’appareil d’Etat, dans la police, dans les instances judiciaires, à tous les niveaux :
« Dans la bataille idéologique entre anciens partenaires révolutionnaires, les fouloul [ci-devants, partisans de l’ancien régime] ont été capables de se réinventer et de devenir des acteurs majeurs aux côtés des groupes laïques contre les Frères et les islamistes. Récemment, M. El Baradei s’est déclaré prêt à accueillir dans son parti tous les éléments du Parti national démocratique de Moubarak, tandis que Sabbahi affirmait que la bataille contre les fouloul était maintenant secondaire, le conflit principal étant désormais avec les Frères et leurs alliés islamistes. »
Le fait que des millions de personnes soient descendues dans la rue ces derniers jours est la preuve que le peuple en Egypte n’est pas prêt à rentrer chez lui tant que ses revendications de justice sociale et de liberté n’auront pas été satisfaites. Ces manifestants ont affirmé que la révolution n’est pas terminée. C’est une réalité que les gouvernants de demain, quels qu’ils soient, devront prendre en compte.
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Bien que cette dernière partie de la phrase — « sans exclure aucun parti » — vise à rassurer les Frères musulmans, qui craignent le retour à l’ordre ancien et l’emprisonnement, leur direction a rejeté cet ultimatum et le président lui-même a affirmé qu’il resterait à son poste. Et il semble peu probable que le président Mohammed Morsi puisse survivre à cette épreuve. Même le porte-parole du parti salafiste Nour (25 % des voix aux élections législatives), Nader Bakkar, expliquait à son demi-million d’abonnés sur Twitter que le calife Othman, troisième successeur du Prophète, avait préféré renoncer à la vie plutôt que de faire couler le sang des fidèles.
Avec le retour probable de l’armée sur le devant de la scène, c’est la principale avancée du président Morsi durant son court règne qui est remise en cause. C’est lui en effet qui, en août 2012, avait renvoyé le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) dont la gestion du pays pendant un an et demi s’était révélée catastrophique (lire « Egypte, une nouvelle étape ? »).
Il n’est pas inutile de rappeler que :
- le CSFA porte une responsabilité majeure dans la transition chaotique qui a suivi le départ de Hosni Moubarak ;
- durant la révolution et la période où elle a exercé le pouvoir, l’armée a réprimé, arrêté, fait disparaitre, torturé des centaines de personnes, comme l’a confirmé un rapport publié par le quotidien britannique The Guardian (lire « Vers une intervention de l’armée en Egypte ? ») ;
- l’armée a tiré sur les manifestants qui protestaient contre les attaques visant les coptes. Ce massacre s’est produit devant le siège de la télévision (Maspéro) en octobre 2011 (lire « Egypte : sanglante répression contre les coptes »).
Pourtant, si l’armée peut revendiquer son retour aux affaires, c’est que Morsi a échoué. Et cet échec est éclatant dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’édification d’un Etat de droit ou du développement économique et social.
Il est important de comprendre les raisons de cet échec. Morsi n’a pas été capable de rassurer un pays divisé, ni ceux qu’inquiétait un parti discipliné, souvent sectaire et à tendances hégémoniques. Morsi a été le président des Frères, pas celui des Egyptiens. Il a par ailleurs fait preuve d’une incompétence qui a surpris bien des observateurs qui pensaient que les Frères disposaient de cadres pour gérer l’appareil d’Etat. En revanche, on ne peut vraiment pas parler d’islamisation de l’Etat, constate sur son excellent site The Arabist, Issandr El Amrani (« Morsi’s Year », 27 juin). C’est d’ailleurs un des reproches principaux des partis salafistes.
Mais si Morsi porte les responsabilités de son échec, on ne peut oublier certaines données :
- L’essentiel de l’appareil étatique échappe à la présidence. Je ne parle même pas de l’armée, mais aussi de la police qui n’a pas pu – ou pas voulu – protéger les sièges des Frères musulmans attaqués durant ces derniers mois. Quant au ministère de l’intérieur, il a publié le 30 juin un communiqué gonflant le chiffre des participants aux manifestations !
- Qu’il ait été sincère ou non, Morsi a tenté des gestes d’ouverture en direction de l’opposition, gestes qu’elle a systématiquement rejetés. Comme le note Esam El-Amin sur Counterpunch (« The Rule of Democracy or the Rule of the Mob. Egypt’s Fateful Day », 26 juin) :
Il a été d’autre part la victime d’un paysage médiatique profondément bouleversé depuis la révolution. Dans un autre billet du 30 juin intitulé « The delegitimization of Mohamed Morsi », The Arabist notait aussi l’entreprise de dénigrement à l’encontre du président — associée, il faut le dire, à une campagne anti-palestinienne, le Hamas étant accusé d’avoir fourni des lance-pierres aux Frères en janvier 2011 !
« Même en tenant compte de ses piètres résultats, l’une des caractéristiques de la vie politique de l’année écoulée est d’avoir été une machine implacable de diabolisation médiatique et de délégitimation de l’administration Morsi, bien au-delà des erreurs dont Morsi est lui-même responsable. Quiconque regarde CBC, ONTV, al-Qahira wal-Nas et d’autres stations satellites, ou lit des journaux hystériques comme al-Destour, al-Watan ou al-Tahrir (et de plus en plus al-Masri al-Youm), est abreuvé par une propagande anti-Morsi permanente. Certaines de ces attaques étaient méritées, mais, même de la part d’un journaliste respecté comme Ibrahim Eissa (un des principaux adversaires du président Hosni Moubarak), le discours contre Morsi était hors de contrôle. »
On est loin de l’image avancée par Reporters sans frontière peignant les Frères en prédateurs de la presse – même si certains journalistes ont pu être poursuivis. Jamais la liberté d’expression n’a été aussi large en Egypte.
Ce qui est inquiétant, note Esam El-Amin, c’est que l’opposition, obnubilée par son hostilité aux Frères, a redonné une légitimité aux membres de l’ancien régime présents dans l’appareil d’Etat, dans la police, dans les instances judiciaires, à tous les niveaux :
« Dans la bataille idéologique entre anciens partenaires révolutionnaires, les fouloul [ci-devants, partisans de l’ancien régime] ont été capables de se réinventer et de devenir des acteurs majeurs aux côtés des groupes laïques contre les Frères et les islamistes. Récemment, M. El Baradei s’est déclaré prêt à accueillir dans son parti tous les éléments du Parti national démocratique de Moubarak, tandis que Sabbahi affirmait que la bataille contre les fouloul était maintenant secondaire, le conflit principal étant désormais avec les Frères et leurs alliés islamistes. »
Le fait que des millions de personnes soient descendues dans la rue ces derniers jours est la preuve que le peuple en Egypte n’est pas prêt à rentrer chez lui tant que ses revendications de justice sociale et de liberté n’auront pas été satisfaites. Ces manifestants ont affirmé que la révolution n’est pas terminée. C’est une réalité que les gouvernants de demain, quels qu’ils soient, devront prendre en compte.
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Excellent article c'estd u bon travail. J'ai découvert un blog vraiment riche en information,merci.
RépondreSupprimerMatilda