Par Mohammed Belmaïzi, 19/11/2012
Monsieur le Président de l’État d'Israël, je vous écris pour
que vous interveniez auprès de qui de droit afin que l'on retire du
Mémorial de Yad Vashem dédié à la mémoire des victimes juives du
nazisme, le nom de mon grand-père, Moshe Brajtberg, gazé à Treblinka en
1943, ainsi que ceux des autres membres de ma famille morts en
déportation dans différents camps nazis durant la seconde guerre
mondiale.
Je vous demande d'accéder à ma demande, monsieur le président,
parce que ce qui s'est passé à Gaza, et plus généralement, le sort fait
au peuple arabe de Palestine depuis soixante ans, disqualifie à mes
yeux Israël comme centre de la mémoire du mal fait aux juifs, et donc à
l'humanité tout entière.
Voyez-vous, depuis mon enfance, j'ai vécu dans l'entourage de
survivants des camps de la mort. J'ai vu les numéros tatoués sur les
bras, j'ai entendu le récit des tortures ; j'ai su les deuils
impossibles et j'ai partagé leurs cauchemars.
Il fallait, m'a-t-on appris, que ces crimes plus jamais ne
recommencent ; que plus jamais un homme, fort de son appartenance à une
ethnie ou à une religion n'en méprise un autre, ne le bafoue dans ses
droits les plus élémentaires qui sont une vie digne dans la sûreté,
l'absence d'entraves, et la lumière, si lointaine soit-elle, d'un avenir
de sérénité et de prospérité.
Or, monsieur le président, j'observe que malgré plusieurs
dizaines de résolutions prises par la communauté internationale, malgré
l'évidence criante de l'injustice faite au peuple palestinien depuis
1948, malgré les espoirs nés à Oslo et malgré la reconnaissance du droit
des juifs israéliens à vivre dans la paix et la sécurité, maintes fois
réaffirmés par l'Autorité palestinienne, les seules réponses apportées
par les gouvernements successifs de votre pays ont été la violence, le
sang versé, l'enfermement, les contrôles incessants, la colonisation,
les spoliations.
Vous me direz, monsieur le président, qu'il est légitime,
pour votre pays, de se défendre contre ceux qui lancent des roquettes
sur Israël, ou contre les kamikazes qui emportent avec eux de nombreuses
vies israéliennes innocentes. Ce à quoi je vous répondrai que mon
sentiment d'humanité ne varie pas selon la citoyenneté des victimes.
Par contre, monsieur le président, vous dirigez les destinées
d'un pays qui prétend, non seulement représenter les juifs dans leur
ensemble, mais aussi la mémoire de ceux qui furent victimes du nazisme.
C'est cela qui me concerne et m'est insupportable. En conservant au
Mémorial de Yad Vashem, au coeur de l’État juif, le nom de mes proches,
votre État retient prisonnière ma mémoire familiale derrière les
barbelés du sionisme pour en faire l'otage d'une soi-disant autorité
morale qui commet chaque jour l'abomination qu'est le déni de justice.
Alors, s'il vous plaît, retirez le nom de mon grand-père du
sanctuaire dédié à la cruauté faite aux juifs afin qu'il ne justifie
plus celle faite aux Palestiniens. Veuillez agréer, monsieur le
président, l'assurance de ma respectueuse considération.
Jean-Moïse Braitberg / est écrivain.
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