- Par : Karim Boukhari, TelQuel, 12/10/2012
Il y a quelques jours, un
navire affrété par une ONG néerlandaise a tenté d’accoster dans le nord
du royaume pour pratiquer des avortements en série. Comme prévu, le
“bateau de l’avortement” a été empêché de pratiquer la moindre
opération. Mais était-ce son but ? Non, évidemment. L’ONG néerlandaise,
qui a agi de plein concert avec le Mouvement alternatif marocain MALI,
déjà responsable d’un déjeuner sur l’herbe pendant le ramadan 2009,
voulait simplement réussir ce qu’on appelle un coup médiatique. Un show
pour attirer l’attention sur un sujet dramatique : l’avortement.
L’interdiction frappée du sceau des autorités marocaines, la colère des
conservateurs et des bien-pensants, voire la production littéraire entre
pro et anti “bateau”, tout cela a participé à la réussite du show. Le
but était la polémique et polémique il y a eu. C’est utile.
Personnellement, je dis chapeau.
Au
Maroc, près d’un millier de femmes avortent chaque jour clandestinement,
souvent dans des conditions d’hygiène et de soutien psychologique
épouvantables. D’autres femmes n’ont pas cette “chance” de pouvoir
avorter puisqu’une moyenne quotidienne de 150 accouchent clandestinement
et 24 parmi elles, soit une sur six, abandonnent leur bébé à la
naissance*.
Vous pouvez imaginer la
stigmatisation dont souffrent, tout au long de leur vie, les mères et,
plus encore, les “nés sous X” qui représentent, globalement, un enfant
sur dix. Enorme. Légalement, l’avortement est interdit puisque considéré
comme crime contre l’humanité. Les autorités ferment pourtant les yeux
devant cette pratique qui a concerné, un jour ou l’autre, la plupart des
familles marocaines.
Quel est
l’horizon qui s’offre, aujourd’hui, devant les centaines de milliers de
Marocains nés sous X ? Pas grand-chose : grandir à l’orphelinat ou
bénéficier d’une kafala, l’équivalent d’une adoption mais au sens prise
en charge sans aucun droit de filiation ni succession.
En
ce moment même, à Taza, dans le nord-est du royaume, une jeune femme
victime de viol, tombée enceinte de son violeur, incapable d’avorter, a
pu établir scientifiquement la paternité de sa fille de deux ans sans
que le tribunal ne lui rende justice**. Les tests ADN ont établi la
paternité du violeur mais la justice, en première instance comme en
appel, ne veut pas en entendre parler, se reposant sur un article de
loi, promulgué en 1983, qui explique en substance que l’enfant du zina
(relation extraconjugale, illicite) reste un enfant du zina et n’a aucun
droit de filiation. La réforme du Code de la famille en 2004 et la
nouvelle Constitution de 2011 n’y ont rien changé. Un enfant né sous X
est considéré, du point de vue du législateur marocain, comme un
sous-citoyen, un éternel sous X même si la science venait à établir
l’identité de son père. Et même si son père biologique en venait à le
reconnaître…
Voyez comment, partis
d’un gentil navire néerlandais tentant d’accoster au large de Tétouan,
nous sommes arrivés au creux de la vague : une justice très en retard
sur la néo-réalité de la société. Avec toute la cascade d’injustices et
de catastrophes sociales à la chaîne. Que faire ? La société civile mène
un combat d’avant-garde depuis plusieurs décennies. Elle est très peu
soutenue par les décideurs politiques et souvent mal comprise par la
société traditionnelle. Plutôt que de rester les bras croisés, elle
tente, en plus de la voie consensuelle, d’enclencher des actions
spectaculaires. Le “show” de MALI et de l’ONG néerlandaise est à
inscrire dans cette veine. Ce n’est pas du tout gratuit. Ce n’est
surtout pas contre-productif. Ce sont des coups de boutoir, des attaques
destinées à affaiblir le monstre-système avant de le faire craquer,
cela revient à choquer pour réveiller et se donner une chance d’avancer.
Je le répète, c’est utile.
Croiser
les bras et croire que tout le problème peut être réglé en menant
campagne pour la seule prévention, revient à dire que la principale
cause du divorce s’appelle le mariage. Ou que le meilleur moyen de ne
pas tomber est de ne pas marcher. Ce n’est pas sérieux.
* ces chiffres non officiels ont été obtenus auprès de plusieurs associations féminines.
** la victime, soutenue par l’association Solidarité féminine, est en dernier recours devant la Cour suprême.
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