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samedi 20 octobre 2012

Laissez la religion à Dieu et chargez-vous du pays qui appartient à tous



« M. Saïd Lekhal n’est pas un homme pieux ». Ainsi s’exprimait Madame la ministre lors d’une émission télévisée diffusée en direct et regardée par des millions de téléspectateurs (« Moubachara maâkoum » du mercredi 10 octobre, une émission qui, par ailleurs, était d’excellente facture). On peut tenir cette saillie pour une gaffe, et on peut penser que la langue n’a pas été tournée sept fois dans la bouche avant de dire quelque chose, comme nos grands-mères nous disaient jadis… mais ce fait marginal, cette « gaffe » que d’aucuns tiennent pour insignifiante, suscite nombre d’interrogations.
D’abord et avant tout, quand donc certains de nos ministres se rendront-ils à l’évidence qu’ils sont responsables gouvernementaux et qu’à ce titre, leurs déclarations et leurs propos ont un poids et un sens aux yeux des gens ? Quand donc ces mêmes ministres de notre très respectable gouvernement admettront-ils, enfin, qu’ils représentent tout un pays, et le peuple qui le peuple, dont même les gens qui n’ont pas voté pour leur parti ? Ainsi, le ministre de l’Education a, semble-t-il, lancé à une fillette dans une école : »Que fais-tu encore là, toi, il te faut maintenant te trouver un homme » ; son collègue à l’Enseignement supérieur, lui, a déclaré que dans un futur proche, « les écoles d’ingénieurs et les facultés de médecine et de pharmacie seront désormais payantes, mais cela ne s’appliquera pas aux facultés de Sciences et de Lettres » et, ce faisant, le ministre consacre ce qui ressemble fort à une sorte d’apartheid social aussi réfléchi qu’irresponsable… Le chef du gouvernement, lui, affirme à tous qu’il n’est pas dans « le hammam pour femmes » (bain maure), et que « Dieu pardonne ce qui est passé » en s’entretenant de la lutte contre la corruption ; le ministre de la Justice considère que le mariage des filles mineures par la simple lecture de la Fatiha (sourate du Coran) est une réalité avec laquelle nous devons composer (sic) et que Marrakech reçoit des touristes qui n’y viennent que pour s’adonner à la débauche (re-sic) ; la ministre de la Famille et de la Solidarité pense que les épousailles d’une femme violée avec son violeur n’est pas toujours chose mauvaise… Et les exemples sont encore nombreux. Ces ministres ne se rendent-ils pas compte que leurs déclarations les engagent et engagent leurs responsabilités ? Certains de nos ministres devraient enfin comprendre qu’ils n’en sont plus au militantisme dans les rangs de leurs partis, mais qu’ils sont aujourd’hui des femmes et des hommes d’Etat dont chaque mot est pesé et décortiqué et dont les propos engagent vis-à-vis des populations…
Ensuite, comment donc une ministre peut-elle se permettre d’émettre un jugement sur la religiosité d’une personne donnée, sur sa piété ou sa non-piété ? Même dans le cas où nous accepterions les explications apportées plus tard par elle, qui a dit pour se justifier que M. Lekhal « n’est pas pieux dans le sens où il n’appartient à aucun courant ou association islamique », même dans ce cas, rien ne saurait justifier la gaffe commise. Depuis quand l’appartenance à une structure islamique est-elle un signe ou un critère de piété ? Pour prendre l’exacte mesure de la gravité de cette bévue, procédons à une petite comparaison : imaginons donc une émission télévisée dans un des pays les plus ancrés dans la démocratie, le Royaume-Uni par exemple… Ainsi, le journaliste reçoit sur son plateau un responsable gouvernemental pour évoquer un sujet qui concerne l’ensemble de la société ; et puis, soudain, dans le feu de la discussion, le ministre en question déclare : « Telle personne n’est pas assidue dans sa fréquentation de l’église le dimanche »… Franchement, est-il possible à un esprit démocratique ou à n’importe quelle autre logique d’accepter de tels propos ?
Non, Madame la Ministre, nous ne nous intéressons absolument pas de savoir si M. Saïd Lekhal est un homme pieux ou non. Et ce n’est pas à cela que nous jugerons son intervention. Non, Madame la Ministre… Qu’un homme soit membre d’une association islamique n’en fait pas un homme à la piété plus marquée qu’un autre ou que les autres. De même que le défaut d’appartenance à une quelconque structure islamique, association, Jamaâ ou parti, ne fait de personne un être moins pieux, ou même moins croyant. Il ne vous appartient absolument pas, Madame la Ministre, pas plus qu’à votre parti, de monopoliser la religion et de vous accaparer tout débat autour d’elle. Vous n’êtes pas les tuteurs, ou censeurs ou contrôleurs de la piété des Marocains ; personne ne vous a confié la mission de mesurer la pratique religieuse de vos prochains, ou pour expédier les gens au paradis céleste, ou en enfer. Et nul ne vous a mandatée, Chère Madame, pour estimer en fonction de vos critères le degré de piété ou de non-piété des gens que vous êtes supposée seulement administrer.
Laissez donc ce peuple, je vous prie, pratiquer ou non sa religion en paix. Laissez-le faire erreur, s’il le souhaite, laissez-le hésiter ou trébucher si telle est sa volonté et laissez-le surtout chercher sa propre vérité, sa voie, comme il l’entend. Ne nous rangez pas en citoyens pieux ou non, mais plutôt en personnes qui font l’apprentissage de la citoyenneté ou en contrevenants aux conditions de cette même citoyenneté.
 Voilà donc une occasion de plus de crier, de hurler de toute la force de nos déceptions politiques et de nos désillusions en termes de droits : Seule la laïcité est à même de nous prémunir de ces tribunaux d’inquisition, officiels soient-ils ou non ! Oui, seule la laïcité confèrera à Saïd Lekhal et à nous tous le droit de ne pas être jugés pour notre piété ou notre non-piété (ou même selon la vision de l’Autre sur nous, en fonction de ses critères propres, ce qui est encore plus dangereux). Rappelons encore une fois, si besoin est, que la laïcité est bien ce système qui permet aux musulmans dans des contrées démocratiques de pratiquer leurs cultes avec un minimum de liberté, sans que personne n’ose ni ne songe à les juger ou à leur demander des comptes sur leur choix de l’islam. Oui, c’est bien au nom de la laïcité et grâce à elle que nous entendons, chaque jour, qu’un Français, un Espagnol ou un Britannique se sont convertis à l’islam. Ils font cela au nom et grâce aux libertés en vigueur dans leurs pays respectifs… Alors pourquoi n’aurions-nous pas les mêmes libertés que ces gens-là sur leurs terres ? Au nom de la laïcité, nous édifions des mosquées sur les Ancien et Nouveau Continents, mais accepterions-nous de voir ériger des églises dans notre pays (hors celles qui y existent déjà) ? Imaginons encore une fois que les démocraties occidentales décident un jour d’appliquer la réciprocité en considérant que leurs sociétés sont d’abord et avant tout chrétiennes et qu’il n’est pas souhaitable, ni toléré, que l’on y ébranle la foi des chrétiens… On y interdirait alors la construction de nouvelles mosquées et on interdira aux non musulmans de le devenir, et chaque chrétien ou juif qui se convertirait à l’islam serait jeté en prison, de même que chaque imam qui aurait veillé à le convertir serait à son tour embastillé pour avoir ébranlé la foi juive et chrétienne…
Les sociétés occidentales, laïques, estiment que leurs citoyens sont des gens mûrs et matures. Elles ne leur apprennent pas, dans les écoles, les cultes, rites et pratiques de religions particulières, dans une logique discriminatoire, mais bien au contraire, elles leur donnent des leçons sur l’ensemble des religions, elles leur inculquent les principes de la citoyenneté, puis elles les laissent opérer leurs choix à leurs convenances. Elles les laissent chercher leurs propres vérités et choisir ce qu’ils veulent, selon leurs propres convictions. Les gens choisissent l’islam, ou un autre culte qui leur siérait. Ils choisissent d’embrasser une religion, ou non, le principal étant qu’ils puissent choisir et choisir en toute liberté… Et ensuite, il n’y a pas un seul responsable gouvernemental qui vient leur chercher querelle, les juger sur le degré de leur piété et sur le nombre de fois où ils se rendent à l’église, et leur distribuer de bons et de mauvais points en fonction de leurs bonnes, ou mauvaises, actions.
Madame la Ministre… il existe dans ce pays bien des problèmes, et des problèmes encore qui attendent qu’on leur trouve des solutions ; il existe tant de rêves que nous voudrions voir un jour concrétisés ; il existe tant de déceptions et de désillusions dont nous aimerions nous défaire. Il existe une génération montante qui attend d’être éduquée et formée… Laissez-nous donc la religion, nous nous en occupons en la pratiquant, comme vous, avec maturité, après réflexion et non sous l’emprise et la pression d’une tutelle, quelle qu’elle soit. Ayez pitié de cette nation qui appartient aussi bien aux pratiquants qu’aux non pratiquants, et laissez le Créateur décider de notre religiosité…

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