24 juillet 2015 | Par Omar Brouksy
Sa phrase sonne encore à l'intérieur de mes oreilles. Elle était lapidaire, concise, d'un seul trait. C'était lors d'une soirée à Rabat à l'occasion d'une fête de mariage. Pour être franc, c'était une discussion de salon. Je n'ai jamais aimé cette personne et on s'est croisés lors de cette soirée tout à fait par hasard.
On était tous les deux à la faculté de droit de Rabat, il y a longtemps bien sûr. Après la licence (à l'époque il fallait quatre ans pour l'avoir), il a passé un concours du ministère de l'Intérieur et est devenu, aujourd'hui, un cadre dit supérieur dans ce département autrefois tentaculaire. Deux ou trois ans avant la sortie de mon livre (Mohammed VI derrière les masques. Le fils de notre ami. Préface de Gilles Perrault. Ed. Nouveau Monde, Paris, 2014), je le croise donc lors de cette fête de mariage. Son sourire à la fois factice et figé n'a pas changé, ses formules toute faites non plus, ses fausses politesses, aussi... Bref, l'immobilisme dans toute sa "splendeur". Il commence par ces phrases que j'entends souvent :"Je lis tes écrits, j'aime beaucoup même si je ne suis pas toujours d'accord"... Blablabla. Il poursuit et, au détour d'une phrase, il lance : "Tu sais, l’État doit préserver sa ''hiba" (un terme difficile à traduire en français, il renvoie à un mélange de crainte et de prestige, voire de mystère)". Vieille rengaine qui cristallise toujours, semble-t-il, l'état d'esprit de l'entourage royal et d'une bonne partie de ces fonctionnaires "supérieurs" bêtes et disciplinés. Mais à quel prix?
Trop indépendant
Aujourd'hui, un citoyen marocain, journaliste de profession, mène une grève de la faim depuis un mois à Genève et risque la mort d'un jour à l'autre. Il s'appelle Ali Lmrabet, 56 ans. Ses écrits n'ont pas toujours plu à tout le monde mais un journaliste n'est pas là pour "plaire à tout le monde". Un journaliste ne fait pas de streap-tease, faut-il le rappeler. Le crime d'Ali Lmrabet est qu'il est indépendant, un peu trop indépendant. Il réclame depuis des mois... un certificat de résidence. Non, ce n'est pas une blague : un certificat de résidence, tout simplement. Mais le roi et son entourage sont persuadés que ce document n'est qu'un préalable, car le journaliste a l'intention de relancer un nouveau journal satirique, véritable danger pour la stabilité du pays. Non, ce n'est pas non plus une blague.
Pleurer de rire
Un mois après le début de sa grève de la faim, la campagne de solidarité et de soutien au journaliste a pris de l'ampleur, aussi bien à l'étranger qu'à l'intérieur du Maroc. Une énième bourde royale est en train de se dessiner à l'horizon, après tant d'autres : le pédophile espagnol gracié, l'affaire de l'île du Persil, l'affaire Aminatou Haidar (une autre histoire de grève de la faim), etc. Que va faire maintenant le "vrai pouvoir" pour préserver "l'hiba" de l'Etat? Laisser mourir Ali Lmrabet, plus que jamais déterminé? Donner les "hautes instructions" pour que le certificat de résidence lui soit donné? Pourquoi en est-on arrivé là? Qui a pris la décision de priver Ali Lmrabet de ses droits civiques et administratifs? Le roi? Son vizir Fouad Ali El Himma? Qui conseille le roi? Que fait le gouvernement? Où est Abdelilah Benkirane, le chef du gouvernement "issu" du Printemps marocain? Où est Mustapha Ramid, le ministre de la Justice et des... libertés? Que dit le fameux Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication? Tout cela porte un nom: tragicomédie. Une tragicomédie collective, celle d'un système mais celle aussi d'un pays qui fait... pleurer de rire.
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