Par Rida Benotmane
Opinion. Freedom Now, une
association marocaine constituée en avril 2014 vient de publier un
rapport accablant sur la situation de la liberté de la presse au
Maroc. L’étude recense une vingtaine de cas de violations entre avril et
décembre 2014 et qui visent des formes d’expression diverses. 70% de
ces atteintes concernent la presse électronique.
Il est alors intéressant de se pencher sur les causes d’un tel constat.
Internet constitue aujourd’hui pour les journalistes web marocains un
espace idéal d’expression dans lequel ils peuvent commenter librement
les dérives du système et informer le public d’une multitude
d’informations impossibles de couvrir sur les supports traditionnels.
Toutefois, il convient de signaler que les violations et autres
atteintes enregistrées dans l’étude ne visent pas l’ensemble des
journalistes web mais une catégorie d’entre eux qui a choisi de
s’intéresser aux véritables centres de pouvoir, à savoir le roi et son
entourage.
Cette évolution s’inscrit dans l’ordre normal des mutations que traversent les sociétés en soif de démocratie et de liberté.
Hassan II aimait à rappeler à la presse occidentale qu’il recevait
dans ces fastueux palais que la monarchie ne peut être mise en équation
dans les conflits politiques et que par ricochet, elle ne pouvait faire
l’objet de critique dans son exercice du pouvoir. Une idée pleinement
intégrée durant son règne par l’ensemble du corps journalistique qui
évitait de se hasarder sur des sujets mettant en cause Hassan II et sa
politique. Ceux qui s’y sont essayés ont subi les foudres de l’appareil
sécuritaire du régime. Les exemples de feu Mehdi El Menjra et d’autres journalistes sont là pour nous le rappeler.
Aujourd’hui, le pouvoir tolère une certaine libre expression mais
réprime celle qui vise le roi et son entourage. Le chef du gouvernement,
Abdelillah Benkirane fait alors office de punching
ball pour la presse politique « mainstream ». C’est lui qui essuie les
critiques les plus acerbes et semble se complaire dans ce rôle.
Les institutions médiatiques privées, soucieuses de leur pérennité et
de leurs rapports avec l’entourage royal qui contrôle le secteur des
médias, jouent le jeu et tentent de présenter à l’opinion publique un
gouvernement Benkirane autonome dans la prise de décision quand bien
même ce dernier ne cesse de rappeler publiquement qu’il n’est qu’un
fonctionnaire de Sa Majesté !
Une telle situation semble aujourd’hui insupportable pour une partie
de la presse indépendante marocaine. Il faut dire que le ton avait été
donné quelques mois avant le décès de Hassan II où de
jeunes journalistes osèrent les premières analyses dévoilant à l’opinion
publique le rapport entre l’autoritarisme et la prédation économique de
l’entourage royal.
Avec le déclenchement du Mouvement du 20 février en
2011 et la révolution du web participatif, un nombre croissant de Marocains, et non plus seulement les intellectuels comme ce fut le cas
par le passé, comprennent que l’institution monarchique est au centre du
pouvoir et qu’elle peut être responsable de scandales économiques comme
l’a révélé l’affaire SWISSLEALKS sur les avoirs du roi et ses proches à l’étranger, ou d’autres affaires d’ordre sociétal et politique.
Une nouvelle génération de journalistes s’émancipent donc de la
fausse déontologie docile établie par ses prédécesseurs et ne trouve
plus aucun complexe à s’intéresser directement aux affaires royales et
dont la dimension sécuritaire et politique n’est jamais loin. Cette
tendance est d’autant plus fascinante qu’elle ne freine pas ces nouveaux
chercheurs de la vérité malgré tous les risques auxquels ils peuvent
s’exposer.
Dans une période où la mutation démocratique au Maroc semble devenir
l’aspiration d’un ensemble d’acteurs, libéraux et progressistes opposés à
l’offre politique proposée par la caste au pouvoir parce que archaïque
et inadaptée à l’évolution vers une société de la connaissance et du
savoir, le journalisme web participe aujourd’hui à la diffusion d’idées
et de positions nouvelles dans une société commandée par une pensée
politique rentière et médiévale.
Cette nouvelle fonction de la presse électronique marocaine l’expose à
des réactions parfois violentes des défenseurs du statu quo, comme l’a
été la presse d’opinion au temps de la Révolution française face à
l’aristocratie. C’est dire toutes les difficultés auxquelles doivent
résister à l’avenir les journalistes web indépendants.
Réussiront-ils à transformer la société contre la volonté des ses maîtres ? On l’espère en tous cas !
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