Dans le Maroc de 2014, les mères célibataires risquent l’amande
ou la prison. Dans un pays où les relations sexuelles hors mariage sont
punies par la loi, ces femmes sont destinées à vivre en marge de la
société. Selon une étude menée par l’INSAF (Institution nationale de
solidarité avec les femmes en détresse) et l’ONU, on recense près de
30’000 naissances illégitimes par an. Ce même rapport dit que ces femmes
« sont amenées à vivre l’exclusion, le rejet, la discrimination voire l’exploitation ».
dessin de femme |
L’article 490 du code pénal puni d’une peine d’emprisonnement, variant d’un mois à un an de prison, « toutes personnes de sexe différent qui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles ».
Une mère célibataire sera nécessairement soumise à cette loi puisque la
naissance d’un enfant illégitime est une preuve de relation sexuelle
antérieure. Mais, c’est là que réside le paradoxe, le père biologique
ne sera pas automatiquement, voire jamais, soumis à cette loi : le
géniteur peut tout simplement nier sa participation à la conception de
l’enfant (et donc nier la relation sexuelle hors mariage), pour échapper
à la condamnation pénale et à sa responsabilité à l’égard de l’enfant
conçu.
Il apparait donc évident que lors de l’application de l’article 490
du code pénal, l’homme et la femme ne sont pas sur le même pied
d’égalité. Cette loi, qui donne l’avantage à la gente masculine, est
totalement contraire à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, que le Maroc a pourtant ratifié le 21 Juin 1993. C’est tout dire.
Pire encore, les enfants nés hors mariage ne bénéficient d’aucune
existence juridique et civile : il leurs est impossible de s’inscrire
dans un établissement scolaire public, et une fois arrivés à la majorité
ils n’ont pas de CIN (carte d’identité nationale). Ces individus sont
dans une certaine mesure des « apatrides » et se retrouvent à vivre en marge de la société de manière forcée.
Il est vrai que depuis la réforme de la Moudawana (code de la
famille) en 2004 la situation a relativement évolué : l’article 156 sur
l’enfant conçu pendant la période des fiançailles, prévoit que « cette grossesse est imputée au fiancé pour rapports sexuels par erreur ».
Mais, parce qu’il y a toujours un mais, ceci n’est possible que si les
fiancés concluent leur contrat de mariage au plus tard trois mois avant
la naissance de l’enfant. De plus si le fiancé refuse de se marier et
conteste sa paternité, même en présence d’un test ADN confirmant la
filiation du père et de l’enfant, les tribunaux ne considèrent pas cette
expertise comme étant un moyen suffisant de preuve de la légitimité de
l’enfant. La mère reste donc célibataire et l’enfant n’a aucun lien de
filiation juridique avec son père, et nous revoilà à la case départ.
On est face à une aberration : ces lois sont en totale contradiction avec l’article 19 de la Constitution marocaine, « L’homme
et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère
civil, politique, économique, social, culturel et environnemental,
énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la
Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux
dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions
de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L’État
marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les
femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la
lutte contre toutes formes de discrimination. ».
Le fossé entre la théorie et la réalité
Malgré la volonté du Maroc de lutter contre la discrimination des
femmes, et les injustices qu’elles subissent, le quotidien est tout
autre. Le phénomène des mères célibataires devient une réalité qu’il est
impossible d’ignorer et à laquelle il est urgent de faire face.
L’Association « Solidarité féminine », fondée par Aicha Ech-Chenna en
1985 est pionnière dans le cadre de l’aide aux mères célibataires. Elle
a pour but d’accueillir, former et aider les mères célibataires à
réintégrer la société par le biais du travail et leur permettre
d’accéder à une certaine autonomie financière. Cette lutte est certes
louable, mais l’association ne peut pas venir en aide à toutes les mères
célibataires du Royaume chérifien.
Le remède réside en deux points : la réforme judiciaire et l’éducation, en particulier l’éducation sexuelle.
Il est important que le système juridique et le code de la famille
soient réajustés et rééquilibrés en faveur d’une plus grande équité
envers les femmes. Le fait de pénaliser les relations sexuelles hors
mariage (différent de l’adultère) en 2014 est une aberration compte tenu
de la réalité et de l’évolution évidente des mœurs.
L’autre point important à souligner est celui de l’éducation
sexuelle. Il est essentiel d’informer les jeunes adolescents sur les
moyens de contraception ainsi que les risques liés à la pratique de
relations sexuelles régulières (MST, IST, grossesses non désirées,
etc…).
Mère célibataire, un combat au quotidien
Ces mères célibataires se retrouvent seules avec leur enfant face à
un système juridique qui les condamne, et face à une société qui les
juge et les rejette.
Ces femmes qui manquent d’éducation viennent souvent de milieux
citadins défavorisés et de milieux ruraux, elles sont à 80% rejetées par
leurs familles et sont chassées du domicile familial. Elles se
retrouvent seules dans une société qui ne veut ni les voir ni entendre
leurs cris de détresse.
Celles qui ont de la chance réussissent à trouver un travail comme
femmes de ménage ou encore comme ouvrières en usine. Mais la plupart
n’ont pas cette possibilité : ces femmes le plus souvent ont recours à
l’avortement clandestin ou à l’abandon de l’enfant à la naissance. Pire
encore on assiste de plus en plus à une marchandisation de ces nouveaux
nés : ils sont vendus à des familles entre 1200 et 5000 MAD à l’entrée
des hôpitaux publics.
C’est donc un phénomène très complexe qui induit des conséquences
désastreuses. La situation est plus qu’alarmante et doit devenir une
priorité pour le gouvernement marocain : il s’agit de l’avenir d’une
nation.
R.D.
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