Philosophe, agriculteur écologiste, écrivain, Pierre Rabhi est l'un des invités d'honneur du colloque "Comment construire une société avec nos fragilités ?" organisé les 10, 11 et 12 octobre à Toulouse par l'association "Une place pour chacun". Apprentis d'Auteuil est partenaire de l'événement. Interview.
Pourquoi vous êtes-vous, dès 1961, soucié de l'homme et de son environnement ?
J’avais décidé de faire un retour à la terre pour me soustraire à la civilisation “hors sol” que commençaient à dessiner, sous mes yeux, ce que l’on nommera plus tard les Trente Glorieuses. L’agroécologie me semblait concilier approche de la nature et activité vivrière. J’entends l’agroécologie comme l’ensemble des pratiques agricoles préservant, voire améliorant, les ressources naturelles, et favorisant l’autonomie alimentaire des populations. Vingt ans plus tard, je suis allé au Burkina Faso en Afrique pour transmettre aux paysans ce que j’avais appris et compris : prendre soin de la nature et l’honorer, c’est prendre soin de l’être humain et l’honorer. Je suis devenu le fils, le responsable, l’amant de la Terre.
Vous avez créé des structures (1) dans le cadre d’un projet de société écologique et humaniste. Pourquoi ?
Les êtres humains doivent comprendre une réalité : Avons-nous besoin de la nature ? Oui ! La nature a-t-elle besoin de nous ? Non ! Nous devons sortir de cette agriculture qui produit et détruit en même temps. 60 % du patrimoine nourricier de l’humanité représenté par la semence transmise de génération en génération depuis 10 000-12 000 ans, a déjà disparu. Je parle d’un crime contre l’humanité, car nous confisquons graduellement aux êtres humains la capacité de se nourrir par les ressources dont ils ont hérité de l’histoire de l’humanité et de la nature.
(1) Le monastère de Solan, Terre & Humanisme, La Ferme des enfants, Le Hameau des Buis, Oasis en tous lieux, Les Amanins, Colibris
Est-il encore temps d’interpeller l’être humain ?
Je proclame et j'écris inlassablement que la Terre n'est pas un gisement de ressources à épuiser mais une magnifique oasis de vie à aimer. Plutôt que de se réjouir, de prendre soin, d’organiser un vivre ensemble harmonieux sur cette planète magnifique qui offre absolument tout, l’humanité la massacre, en fait un champ de bataille, une banque, un casino… Quand le dernier arbre aura été coupé, que la dernière rivière aura été empoisonnée, que le dernier poisson aura été capturé, alors seulement, l’humanité découvrira que l’argent ne se mange pas. Par ailleurs, sans en être pleinement consciente, l’humanité se détruit avec des maladies générées par une nourriture toxique, une eau impure, un air pollué…
N’oublions jamais, que sur les 24 heures de formation de la planète, l’Homme est apparu dans les deux dernières minutes ! Je n’ai pas peur de la destruction de la planète, j’ai peur de la disparition de l’homme.
N’oublions jamais, que sur les 24 heures de formation de la planète, l’Homme est apparu dans les deux dernières minutes ! Je n’ai pas peur de la destruction de la planète, j’ai peur de la disparition de l’homme.
Comment préserver « cette magnifique oasis de vie » ?
J’ai intitulé un de mes livres Vers la sobriété heureuse. Nous sommes dans un système où la publicité nous harcèle avec des : « Achetez, achetez, achetez ! ». Or,les ressources de la planète sont limitées. C’est la raison pour laquelle je remets en question la notion de croissance économique. Pour favoriser la croissance, nous détruisons les forêts, écumons les mers, saccageons la planète sans pour autant générer une prospérité équitablement partagée.
Aujourd’hui, sur notre planète, des femmes et des hommes sont dans l’incapacité de donner un bol de riz à leurs enfants ! Des frères humains vivent dans la détresse la plus absolue et d’autres consomment des anxiolytiques dans une société repue !
L’argument selon lequel nous sommes trop nombreux est un alibi facile. Sans prêcher pour la prolifération humaine indéfinie, j’affirme que la planète peut nourrir énormément de monde, à condition de ne pas gaspiller, de cultiver correctement et de donner à la survie biologique plus d’importance qu’à l’armement, par exemple. C’est une question de responsabilité de l’humanité.
Aujourd’hui, sur notre planète, des femmes et des hommes sont dans l’incapacité de donner un bol de riz à leurs enfants ! Des frères humains vivent dans la détresse la plus absolue et d’autres consomment des anxiolytiques dans une société repue !
L’argument selon lequel nous sommes trop nombreux est un alibi facile. Sans prêcher pour la prolifération humaine indéfinie, j’affirme que la planète peut nourrir énormément de monde, à condition de ne pas gaspiller, de cultiver correctement et de donner à la survie biologique plus d’importance qu’à l’armement, par exemple. C’est une question de responsabilité de l’humanité.
Cette prise de conscience débute-t-elle, dès l’enfance, par l’éducation ?
En matière d’éducation, je déplore deux énormes erreurs : les enfants vivent dans un système de compétitivité - dominant-dominé - et non de coopération, et les établissements éducatifs donnent l’impression d’être des manufactures qui préparent un être humain formaté en occultant complètement la personnalité de chaque élève. Il est indispensable d’abolir ce terrible climat de compétition qui donne à l’enfant l’impression que le monde est une arène physique et psychique, produisant l’angoisse d’échouer au détriment de l’enthousiasme d’apprendre. Les établissements éducatifs devraient tous proposer de la terre à cultiver, des ateliers d’initiation manuelle, artistique…
Éduquer ne signifie-t-il pas faire naître l’enfant à lui-même ?
L’aider à révéler sa personnalité unique, être attentif à sa vraie vocation, à ses talents propres, à ses réelles compétences, l’accompagner dans son apprentissage de la vie, dans son devenir, et non l’obliger à suivre à tout prix un programme pour lequel il n’est pas fait ? Prenons l’enfant dans l’ensemble de ses dimensions, y compris émotionnelles, pour en faire un être humain accompli, capable de penser, de critiquer, de créer, de maîtriser et de gérer ses émotions, au lieu d’en faire un citoyen utile au système, avec la hiérarchie de l’excellence, de la beauté… Une logique totalement inhumaine. Il ne suffit pas de se demander : « Quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? » Il faut également se poser la question : « Quels enfants laisserons-nous à notre planète ? »
La société doit, dès l’enfance, attirer l’attention sur la vie, le respect de la vie et le respect des autres… des femmes notamment. Pourquoi sont-elles subordonnées aux hommes ? Pourquoi le masculin domine-t-il tout ? Il n’y a aucune raison. Le masculin et le féminin sont complémentaires. Ce sont les deux énergies qui font la vie ! À partir de là, tout est possible : éduquer autrement, cultiver autrement, vivre autrement !
Est-ce votre père, forgeron, poète et musicien, qui vous a transmis cette sagesse ?
Cet homme simple, habitant une petite oasis du Sud algérien, travaillant le métal pour réparer les modestes objets du quotidien et vaquant, chaque jour, à ses occupations de père nourricier, m’a transmis de belles choses. Il était libre jusqu’au jour où la mine de charbon et son nouveau métier de conducteur de locotracteur, l’ont aliéné. Le soir, il rentrait le visage souillé. Souverain dans sa forge, il s’était mis à l’heure de la civilisation nouvelle. Cette exploitation de l’homme par l’homme m’a profondément blessé.
Plus tard, avec ma double culture franco-algérienne, je me suis retrouvé entre le marteau et l’enclume et je me suis passionné pour la philosophie et les philosophes. En quête de vérité, Socrate conclut : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ! »
Plus tard, avec ma double culture franco-algérienne, je me suis retrouvé entre le marteau et l’enclume et je me suis passionné pour la philosophie et les philosophes. En quête de vérité, Socrate conclut : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ! »
Né dans une famille musulmane, vous vous êtes converti au christianisme, à l’âge de 16 ans. Et aujourd’hui ?
Je suis dans le divin. Je retiens deux lignes fortes : « Je ne sais rien » de Socrate et « Aimez-vous les uns les autres » de Jésus de Nazareth. Ce qui m’invite à plus de modestie et m’incite à comprendre et agir.
La vie est une belle aventure lorsqu’elle est jalonnée de petits ou de grands défis à surmonter. Ils entretiennent la vigilance, suscitent la créativité, stimulent l’imagination et, pour tout dire, déclenchent l’enthousiasme, à savoir, le divin en nous.
La vie est une belle aventure lorsqu’elle est jalonnée de petits ou de grands défis à surmonter. Ils entretiennent la vigilance, suscitent la créativité, stimulent l’imagination et, pour tout dire, déclenchent l’enthousiasme, à savoir, le divin en nous.
Votre vrai nom Rabah Rabhi, le “vainqueur” en arabe, vous incite-t-il à toujours vouloir mieux ?
Il m’est très difficile de répondre à cette question. J’essaie de servir, par amour, mes convictions. J’essaie d’honorer le don que la vie m’a fait et d’être cohérent avec moi-même. J’aime m’impliquer dans ce qui construit et non dans ce qui détruit. Et je reprends, à ma manière, la légende amérindienne du colibri. Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activa, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou (mammifère d’Amérique tropicale, ndlr), agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri de lui répondre : « Je le sais, mais je fais ma part. » Faire sa part modestement, honnêtement, avec beaucoup de ferveur, c’est participer au changement du monde.
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