TV5MONDE 4 octobre 2014
Qui est vraiment Mohammed VI et comment fonctionne son
appareil politique ? Quinze ans après l'accession au pouvoir de celui
que la presse surnommait le "Roi des pauvres", le journaliste marocain
Omar Brouksy apporte son éclairage. Dans son livre "Mohammed VI,
derrière les masques" il brosse un portrait qui n'a rien d'une jolie
carte postale...
Ali baba
En feuilletant la table des matières, difficile de ne pas froncer les sourcils. Tout d'abord, il y a les titres de chapitres : "Itinéraire d'un roi muet", "Petit Pape musulman", "Le roi des pauvres ?" "Le potentat et ses potes"... Tout indique un ouvrage règlement-de-compte, un pamphlet assassin. Alors, en guise d'apéritif, avant de s'immerger totalement dans le livre, on picore ça et là, quelques phrases. Le doute nous prend. Et si ce n'était rien moins qu'un catalogue de sujets tabous dans le royaume ? Omar Brouksy évoque en effet le Roi, sa santé, ses humeurs, son argent, son pouvoir, ses obligés. Il est aussi question de religion, du Sahara occidental, de cannabis...
Puis on lorgne la préface. Gilles Perrault en est l'auteur. Un gage de sérieux. L'écrivain qui publia en 1990 "Notre ami le roi ", ouvrage-choc qui révéla au monde la face cachée de Hassan II, avec les bagnards de Tazmamart et les emmurés de Kelaât M'gouna écrit : "Le royaume de Hassan II, c'était le château de Barbe-Bleue. En comparaison, celui de "M6" serait plutôt celui de la Belle au bois dormant avec au sous-sol, la caverne d'Ali Baba, même si les vieux réflexes répressifs sont prompts à resurgir".
Alors, tout à fait intrigué, on plonge dans l'ouvrage. Et, contre toute attente, au fil des pages, c'est un royaume nouveau qui apparait, ou, plus exactement, la photographie d'un royaume... sans cliché.
La machine à découdre
Omar Brouksy s'appuie sur les faits et met en branle une étonnante machine à découdre. Résultat corrosif. Il nous offre une autre image du souverain, de son pouvoir absolu et de ses courtisans-prédateurs qui restent avant tout, il le rappelle, des "sujets de Sa Majesté".
Il dépeint l'image d'un pays qui ne ressemble en rien à celle que les médias occidentaux continuent de véhiculer et où, souvent, la complaisance le dispute à la flagornerie.
Alors Omar Brouksy reprend tout depuis le début. Il évoque les rapports "difficiles" avec son père, Hassan II , et démonte la légende du "jeune roi moderne" surnommé de "roi des pauvres" lors de son accession au trône.
Le "roi des pauvres ?" Omar Brouksy rappelle que selon la loi de finances de cette année "la monarchie coûte au contribuable marocain, toutes rubriques confondues, près de 250 millions d'euros", que le budget "Personnel" a même été doublé "passant de 21 millions en 2010 à 40 millions d'euros en 2012", sans parler de l'entretien d'une trentaine de palais et de résidences royales. Et de rappeler que la pauvreté dans le royaume ne recule pas, qu'elle tue parfois (comme en 2007, à Anfgou où périrent vingt cinq nourrissons à cause d'une vague de froid). Cet "autre Maroc", que les brochures publicitaires n'évoquent guère, avec ses déserts médicaux et où l'analphabétisme touche 40 % de la population.
Pour le journaliste et universitaire, qui aime appuyer là où c'est douloureux, TOUT au Maroc est sujet à caution. La liberté de la presse ? On asphyxie les journaux trop critiques en les privant de la manne publicitaire. Son statut de "Commandeur des croyants" ? Un statut religieux "octroyé unilatéralement depuis 1962" précise Omar Brouksy qui préfère évoquer une "prétendue filiation directe du roi avec le prophète Mahomet." Il écrit : "Cette "légende" ne repose cependant sur aucun argument historique fiable. Elle est utilisée par la propagande officielle pour renforcer le statut du "chef religieux suprême" sur la communauté des musulmans marocains".
Calme et précis
Cependant, au Maroc, n'y a t-il eu aucun progrès de réalisé ? On pense à l'électrification du royaume, à "la Moudawana", ce nouveau code de la famille adopté par le Parlement en février 2004 et qui est une importante réforme du statut de la femme marocaine, sans oublier l’Instance Equité et Réconciliation (IER), première commission vérité établie en Afrique du nord pour (re)connaitre les violations graves des droits de l’homme commises et indemniser les victimes.
Nous rencontrons Omar Brouksy lors de son passage à Paris. Il n'a en rien le profil de l'illuminé, anti-monarchie, satisfait d'avoir (peut-être) réussi un joli coup d'édition. Non, ce n'est pas la vengeance qui semble avoir guidé sa plume mais plutôt un sentiment de déception, 15 ans après l'accession au trône de Mohammed VI.Omar Brouksy à Paris, septembre 2014. - F.V.
Qu'est ce qui motive l'écriture d'un tel ouvrage ?D'abord, au Maroc, il n'y a pas de tradition très développée de ce type d'ouvrage, à dimension politique. C'est assez récent que des journalistes marocains ayant travaillé pendant longtemps dans le domaine politique traduisent leur expérience par des ouvrages. Il n'y a eu qu'un seul auteur marocain, Ali Amar, qui a écrit un livre politique sur le Maroc, il y a quelques années. Je pense que c'est une tradition qui doit être non seulement maintenue mais encouragée. Regardez ce qui se passe en France, il y a des dizaines et des dizaines d'ouvrages qui sortent chaque année ! Ce n'est pas quelque chose qui doit susciter l'étonnement.
On a le sentiment que votre livre relève parfois d'une machine à découdre concernant le royaume...
C'est un travail que j'ai voulu, dès le début, descriptif sur ce qui se passe, ou s'est passé, en s’appuyant sur des faits avérés et recoupés. C'était ma priorité pour laisser le lecteur lui-même arriver à ses propres conclusions. Il y a beaucoup d'informations. Certaines paraissent pour la première fois.
L'expression "Roi des pauvres" relève selon vous d'une fumisterie ?
C'est un slogan, qui n'a aucune traduction dans la réalité. Le Roi du Maroc est l'une des personnes les plus fortunées de la planète ! Dans le livre, j'évoque toutes ses propriétés, tous les groupes financiers qu'il contrôle..
Mais vous allez plus loin, vous mettez en doute sa filiation avec le Prophète..
Mais il n'y a aucun travail scientifique qui le prouve ! Là aussi, c'est une légende parce qu'elle ne repose sur aucun fait historique avéré. Cela rentre dans toute cette stratégie de légitimation du pouvoir politique par la dimension religieuse. C'est quelque chose de très connue au Maroc et dans les pays arabo-musulmans. Par exemple, en Arabie Saoudite, la famille régnante se présente comme la protectrice de la Mecque. C'est ce qui fait le problème du monde arabe et qui pose un problème à toute dynamique de démocratisation de cette région.
Vous brossez le portrait d'un homme soumis à des problèmes de santé, particulièrement colérique et un peu hâtif quand il faut prendre d'importantes décisions diplomatiques...
Concernant son état de santé, je me pose des questions mais ce sont des questions que se posent tous les marocains chaque fois qu'ils le voient en train de tenir un discours à la nation, où l' on voit son visage gonflé, bouffi etc. C'est une question qui est tout à fait légitime. La santé des chefs d’États ne relève pas de la vie privée des chefs d’États. Il faut une certaine transparence pour que les citoyens soient au courant. Tout de même, il décide du sort de 34 millions de personnes.
On a parfois le sentiment d'un brûlot, d'un règlement de compte, d'une provocation avec une préface signée Gilles Perrault, qui avait écrit "Notre ami le Roi" et dont la parution du livre avait provoqué une crise diplomatique gravissime entre la France et le Maroc ?
Au Maroc, chaque fois que l'on appelle un chat un chat, cela parait comme de la provocation ! On dit : "il va trop loin". C'est parce qu'on n'a pas l'habitude au Maroc d'évoquer les véritables détenteurs du pouvoir. Ils sont entourés de tabous. Le fait que mon livre soit préfacé par Gilles Perrault est pour moi une source de très grande fierté. J'admire cet auteur et son honnêteté intellectuelle. Et puis, aussi, il y a beaucoup d'éléments de continuité par apport à son livre : le pouvoir politique est monopolisé par la monarchie. Il n'y a qu'à lire la constitution, vous le constaterez. La détention politique continue, notamment contre les militants du 20 février, le mouvement qui est apparu dans le sillage du Printemps arabe, les inégalités sociales sont là, avec le chômage...Vous dépeignez un roi installé dans une situation de rente, avec une "stratégie clientéliste"..TV5MONDE
Personne ne pourra nier que le Roi est un acteur politique, un acteur religieux (Commandeur des croyants), l'homme des armées mais aussi un homme d'affaire. Il contrôle plusieurs groupes financiers, banquiers, etc. Je n'apporte rien de nouveau, sauf les détails. Il y a des traitements de faveur, l'octroi de licences en haute mer, les carrières de sable etc. Le Sahara occidental qui est un territoire contesté est aussi un territoire où il y a des avantages fiscaux. Mais il y a aussi une économie informelle, très présente qui est aussi une réalité. Mon travail est plus un travail de description qu'un travail de jugement de valeur.
Vous évoquez aussi ce centre de détention, qui fonctionnerait en collaboration avec les américains, et où l'on pratiquerai la torture
Cela émane de rapports qui ont été élaborés après les évènements du 11 septembre 2001 (rapport du 25 octobre 2010 de l'ONG Human Right Watch ndlr). Il y avait ce centre de détention de Témara , le "Tasmamar des temps moderne", où des islamistes et non-islamistes ont été torturés comme Zakaria Moumni. Oui, la torture a bien été pratiqué au Maroc et le roi lui-même l'a reconnu dans l'un de ses discours. Il a dit qu'il y avait eu "des excès" et que ""ces excès" seront sanctionnés". Est-ce que la torture est toujours pratiqué ? Amnesty International le dit dans son dernier rapport , notamment dans les commissariats de police mais il faut reconnaitre que la torture a été pratiquée de manière quasi-systématique après 2001 et après les attentats de 2003 où plusieurs centaines de militants, surtout des islamistes, ont été torturés.
Les marocains pourront se procurer votre ouvrage ?
Je ne sais pas. Mon éditeur a fait la procédure nécessaire pour que le livre soit commercialisé au Maroc et nous attendons la réponse et la réaction des (autorités ndlr) marocaines même si je suis un peu sceptique
Vous êtes un journaliste courageux ?
Je ne sais pas. On me le dit parfois. Moi, je suis un journaliste indépendant, qui ne dépend de rien ni de personne. Je suis quelqu'un de responsable aussi. J'assume la responsabilité de ce que je fais.À lire aussi
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