Par Tahar Abou El Farah. La Vie éco, 15/9/2014
Pour la première fois, le volontariat, bénévole ou rémunéré, sera codifié. Les associations peuvent ester en justice et faire appel à la générosité publique sans avoir le statut d’utilité publique. Les dossiers de création d’associations seront désormais déposés auprès du ministère public.
Pour la première fois, le volontariat, bénévole ou rémunéré, sera codifié. Les associations peuvent ester en justice et faire appel à la générosité publique sans avoir le statut d’utilité publique. Les dossiers de création d’associations seront désormais déposés auprès du ministère public.
Une nouvelle réforme pour
les associations. Le ministère chargé des relations avec le Parlement
s’y attelle. Le milieu associatif suit avec attention, tout en préparant
sa propre alternative. De toutes les manières, c’est une réforme très
attendue. En effet, depuis le premier toilettage de 2002 du fameux dahir
des libertés publiques de 1958, la législature en le domaine n’a pas
changé. Une nouvelle loi attendue, donc, pour plusieurs raisons, la plus
importante étant la nécessité d’encadrer et de réglementer la nouvelle
mission de la société civile qu’est la participation effective à la
législation et à la gestion de la chose locale. Il s’agit de son nouveau
rôle d’acteur de la démocratie participative et locale, à côté des
acteurs que sont l’État, les partis politiques et les syndicats.
Le nouveau texte relatif à l’action
associative est également attendu parce que le secteur est devenu un
employeur à plein temps pour des dizaines de milliers, voire des
centaines de milliers, de jeunes et moins jeunes. Les derniers chiffres
officiels du HCP, qui remontent tout de même à 2007, parlent de 27919
salariés à temps plein et 35 409 à temps partiel totalisant 10 066 000
heures de travail. Aussi faut-il mettre en place un nouvel encadrement
juridique pour réguler le volontariat, bénévole ou rémunéré.
Un nouveau
texte est attendu aussi pour revoir les rapports entre l’État et le
milieu associatif, en tant que contre-pouvoir. Cette loi est enfin
attendue parce que, quelque part, c’est la finalité du dialogue national
sur la société civile organisé, pendant une année, par le ministère
chargé des relations avec le Parlement et la société civile.
C’est justement dans ce cadre que le
département a mis dans le circuit, de manière officieuse, une première
mouture d’un texte de loi sur les associations. Le texte a vite fait le
tour des différentes composantes de la société civile, sans pour autant
que cela soit une action officielle. «Pour le moment nous n’avons rien
reçu d’officiel. Ce texte nous est parvenu, néanmoins, par internet.
Nous en prenons acte», affirme Youssef Laaraj, membre du bureau exécutif
de l’association «Azetta amazigh», signataire de l’appel de Rabat. Pour
sa part Kamal Lahbib, vice-président du Forum des alternatives Maroc
(FMAS), affirme que la «dynamique de l’appel de Rabat» va se réunir dans
les jours à venir pour se pencher, entre autres, sur cet aspect
juridique de l’action associative. Concernant ce texte de loi, il
affirme qu’«en réalité, c’en n’est pas vraiment un. Il n’a ni la forme,
ni la structure d’un texte de loi. C’est une compilation de déclarations
de principes, souvent empreintes d’un caractère idéologique prononcé,
qui laisse la porte ouverte à beaucoup d’interprétations».
Le ministère de l’intérieur sur la touche
Les incitateurs du texte, eux,
affirment que c’est le fruit d’un débat national qui a duré plus d’une
année (du 13 mars 2013 au 22 mars 2014) au cours duquel ont été tenues
18 rencontres régionales et plusieurs conférences. Un débat
représentatif auquel ont participé près de 10 000 associations. Ce qui
de l’avis de plusieurs observateurs laisse planer des doutes sur cette
représentativité, sachant que le tissu associatif compte, selon les
statistiques officielles, plus de 93 000 associations. En fait, le
ministère en a consulté à peine 10%.
Cela
dit, qu’en est-il exactement de ce texte ? Il apporte certes beaucoup
de nouveautés mais reste, toutefois, en deçà des attentes. Ainsi, la
plus importante réforme qu’il apporte concerne la création de
l’association. D’abord le dossier constitutif (art. 25), qui ne comporte
plus d’extrait de casier judiciaire ou de fiche anthropométrique, est
déposé non plus auprès de l’autorité locale, mais au tribunal.
L’intervention de l’autorité locale se limite à émettre un avis, en cas
de besoin, sur demande du parquet. Un récépissé est remis sur le champ
aux concernés si le dossier est complet (art. 26). Autrement, selon
l’article 96, tout fonctionnaire refusant de recevoir le dossier ou de
délivrer le récépissé est puni d’une amende de 20000 DH. Bien plus,
toute atteinte à la liberté associative est considérée comme un acte
criminel. Le texte prévoit également la déclaration électronique de
création d’associations. Un registre de créations d’associations sera
ouvert par le pouvoir judiciaire et chaque association se voit accorder
un numéro d’identification unique. Donc la création, comme la
dissolution ou l’interdiction, relève du seul pouvoir judiciaire.
Globalement, la création
d’associations répond aux mêmes critères que celle des partis
politiques. L’atteinte aux constantes de la nation, la discrimination
sur la base de sexe, de religion, de race, de langue ou à cause d’un
handicap est un motif pour l’interdiction ou la dissolution de
l’association. Selon le nouveau texte, les associations peuvent
désormais exercer une action en justice, alors que ce droit leur a
toujours été dénié. Elles peuvent entrer en propriété des biens
immobiliers, bénéficier des aides publiques, mais aussi d’un espace
médiatique, ce dont seuls les partis, et accessoirement les syndicats,
pouvaient bénéficier. Cela en plus de pouvoir disposer, elles-mêmes, de
leurs propres médias et organes de presse. Elles ont également le droit à
contribuer à la diplomatie civile et parallèle et donc bénéficier des
fonds nécessaires pour exercer ce droit à l’instar des partis
politiques. Il leur sera accordé le droit d’accès à l’information
(publique) et jouissent, de facto, de la liberté d’opinion, d’expression
et de rassemblement pacifique. Le droit d’utiliser les espaces,
édifices et équipements publics destinés aux activités associatives,
éducatives, culturelles, artistiques et sportives leur est également
garanti.
Une agence pour réguler le milieu associatif
A cela s’ajoutent les droits
constitutionnels qui leur sont expressément dévolus par la Constitution
(art. 12, 13 et 139, entre autres). En contrepartie, les associations
doivent s’engager à adopter des statuts qui comportent des règles de
gestion démocratique, l’alternance aux postes de responsabilités, le
règlement des différends, la transparence de la gestion financière.
Elles sont également tenues de respecter des principes constitutionnels,
des constantes de la Nation et des valeurs démocratiques du pays. De
même, les associations ne peuvent pas exercer des activités commerciales
à des fins de distribution d’argent aux membres. Les associations
peuvent toutefois bénéficier du financement public, en toute
transparence, selon des conditions et dans le cadre d’un partenariat,
privé et étranger. Elles peuvent même faire appel à la générosité
publique, quelle que soit sa nature, sans même avoir bénéficié du statut
d’utilité publique, à condition d’en informer préalablement le
ministère des finances (art. 88). Bien sûr, au même titre que les
partis, les associations qui bénéficient de financement qu’il soit
public, privé ou autre, doivent obligatoirement tenir une comptabilité
dans des conditions qui seront précisées par décret ministériel.
Autre nouveauté de ce texte, la
réglementation du volontariat qui fera désormais l’objet d’un contrat,
avec déclaration à la CNSS et assurance contre les accidents de travail,
qu’il soit temporaire ou à durée indéterminée. Les associations
peuvent, en plus, continuer à faire appel aux fonctionnaires de l’État,
mis en situation de détachement, pour assurer leur gestion
administrative. Le texte prévoit en outre, et c’est une autre nouveauté,
la création d’une Agence nationale de promotion de l’action associative
sous la tutelle du chef du gouvernement. Elle aura pour missions, la
promotion de l’action associative et de la culture civile, la formation
et la formation continue au profit des cadres associatifs, l’information
et la communication associative et l’amélioration des équipements
administratifs et logistiques pour les activités associatives... Elle
sera également chargée de réaliser des études et des recherches sur le
domaine associatif et de doter les associations en ressources humaines.
L’agence sera financée par l’État avec la contribution du secteur privé
et des donateurs internationaux. N’empêche que le texte reste incomplet.
Des imperfections, déjà
Même une fois adopté au Parlement, ce
texte ne sera pas immédiatement mis en œuvre. Il faudra encore attendre
au moins une année, le temps de promulguer les nombreux textes de loi
et les décrets nécessaires à son entrée en vigueur. Ce qui fait dire à
Kamal Lahbib que «c’est un texte élaboré à la va-vite. Au meilleur des
cas, on peut s’en servir comme cadre d’orientation pour mettre en place
un vrai texte de loi». On ne pouvait pas attendre plus d’un gouvernement
qui fait montre de beaucoup de cohérences en la matière, laisse
entendre Youssef Laaraj. «Il existe aujourd’hui deux démarches au sein
du gouvernement qui portent sur le même sujet, le dialogue national sur
la société civile lancé par le ministère chargé des relations avec le
Parlement, et une autre initiative portant sur le Conseil national de la
jeunesse et de l’action associative portée par le ministère de la
jeunesse et des sports».
Pour revenir au texte, Kamal Lahbib
estime que le Maroc d’aujourd’hui a besoin non pas d’un seul texte, mais
d’un corpus de textes. Un premier texte portant amendement du dahir de
1958, un autre relatif aux nouvelles missions dont la Constitution a
investi la société civile, un troisième texte portant sur le
volontariat, un autre réglementant la dimension budgétaire et le
partenariat entre associations et pouvoirs publics. De même que dans ce
texte on parle de renforcement des capacités des associations alors que
pour cela, «ce n’est pas un texte de loi qu’il nous faut, tranche M.
Lahbib, ce dont nous avons besoin, c’est d’une véritable politique de
l’État en la matière». Pour lui, le texte ne répond toujours pas et de
manière claire et concrète à la question cruciale qu’est la liberté
d’association et de rassemblement. Au contraire, cette notion est noyée
dans des principes généraux et des considérations idéologiques.
Toutefois, cet acteur associatif de premier plan estime que le fait de
soustraire la création d’associations au ministère de l’intérieur est
une initiative louable, pour le principe. Dans les faits, cela revient à
alourdir davantage les procédures et priver donc un large pan de la
société, notamment dans les zones éloignées, de son droit de se
constituer en association. Car, il faut le reconnaître, ni le ministère
de la justice ni aucun autre département ou institution publique ne
possède une structure aussi étendue que celle du ministère de
l’intérieur.
Quelle place pour la société civile ?
Le fait de déposer le dossier
constitutif auprès du parquet ne fera que congestionner un système déjà
très sollicité. Du fait, le ministère de l’intérieur reste
incontournable, «mais son rôle ne doit pas dépasser celui de recevoir
les inscriptions des associations et délivrer, immédiatement, des
récépissés. Prolonger les délais (60 jours pour délivrer le récépissé),
ne sert pas la dynamique que l’on veut insuffler au milieu associatif».
De manière générale, il faut alléger les procédures, estime cet expert
dans le domaine associatif. Pour le reste, «nous ne sommes pas contre le
contrôle des associations, les coopter ne nous gêne pas non plus. Ce
que nous refusons, c’est de les interdire». Une fois cet aspect
procédural réglé, le législateur, estime notre interlocuteur, doit
plancher sur la question de la position de la société civile dans
l’architecture de l’État. Quelle sera sa place, au vu des nouvelles
dispositions constitutionnelle, entre les autres acteurs que sont
l’État, les partis politiques et les syndicats. Outre cette question
existentielle, le milieu associatif en soumet une autre au débat, celle
de la liberté d’association dans sa globalité. Autre point qui nécessite
une réglementation appropriée, le financement et la fiscalité des
associations.
Le bénévolat nécessite à lui seul un
texte spécifique qui confère au personnel bénévole protection et
sécurité corporelle, sociale et matérielle. L’accès aux infrastructures
est un autre aspect qu’il s’agit de codifier. «Parfois, un appel
téléphonique d’un responsable peut réduire à néant le travail de
plusieurs mois d’une association. Nous avons besoin des espaces publics
pour tenir nos réunions, les hôtels sont hors de la portée de la
majorité des associations», affirme Kamal Lahbib. «Ce qu’il nous faut,
c’est des espaces multifonctionnels pour associations», ajoute-t-il. La
formation fait également partie des priorités. «Il ne s’agit pas
seulement de l’aspect lié à la gestion des projets, de leur conception,
au financement, à la réalisation, mais de former les citoyens à
contrôler, gérer et analyser les politiques publiques à l’échelle
nationale, mais surtout au niveau local. Bref, les former à la
démocratie participative», précise la même source. Cela étant, le
mouvement associatif, inscrit dans le cadre de la dynamique de l’appel
de Rabat prépare déjà sa riposte. Une réunion est prévue dans les jours à
venir pour plancher sur une contre-proposition. En même temps,
apprend-on de sources associatives, les anciens membres de la commission
du débat national sont mobilisés, dans le cadre de leurs associations,
pour préparer une campagne de soutien de la proposition gouvernementale.
Quand le PJD s’y met...
Alors que le ministre chargé des relations avec le Parlement et la société civile, Lahbib Choubani (PJD), s’apprêtait à lancer un débat national sur la société civile, le 13 mars 2013, le groupe parlementaire de son parti s’était empressé de déposer une proposition de loi sur les associations. Un an plus tard, la mouture du projet élaboré à l’initiative du ministère porte des traces de ce projet. Certains points du texte sont même largement inspirés de cette proposition, à la différence près que la proposition du PJD ne s’est pas beaucoup écartée de l’amendement de 2002 du dahir de 1958. Le texte du PJD est noyé dans des considérations et des contraintes idéologiques à tel point que l’on imagine mal, avec ce texte, la création d’une association qui prône par exemple la liberté de conscience.Cependant, ce qui tient à cœur au parti au pouvoir, c’est surtout le financement, principalement étranger, des associations. Sa proposition visait une stricte codification de ce financement pour en contrôler les sources et les usages. Le PJD et ses associations savent très bien qu’ils ne peuvent pas bénéficier du financement étranger qui provient essentiellement de l’Union Européenne. Et ce, pour la simple raison que cette dernière rechigne à financer des projets «à caractère islamiste qui ne s’inscrivent pas souvent dans le cadre des droits de l’homme tels qu’universellement connus», explique Kamal Lahbib. Du coup, à défaut de bénéficier de cet argent destiné principalement à la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, le PJD tente d’en priver les autres, ou du moins à en durcir les conditions pour en bénéficier.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire