Depuis plus de 10 ans, un des humoristes les plus populaires de France, Dieudonné M’Bala M’Bala, fait l’objet d’attaques répétées. En cause ? Les prises de positions et les provocations répétées de l’humoriste qui ont pris un contenu de plus en plus politique et controversé. Ces trois dernières semaines, la répression qu’il subit a pris un caractère extrêmement grave du point de e démocratique.
Le
président de la République française, le socialiste François Hollande,
et son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, sont prêts à tout pour
interdire ses spectacles. Y compris bafouer leurs propres lois. Un
avocat renommé et ardent partisan de la politique israélienne, Me
Klarsfeld, appelle à créer des troubles à l’ordre public pour justifier
leur interdiction. On menace d’utiliser des alertes à la bombe. Des
patrons de grands groupes de presse appellent explicitement à « censurer
internet » et faire pression sur les directeurs de salle pour qu’ils
décident de ne plus mettre l’humoriste à l’affiche. Il existe
aujourd’hui un consensus politique en France parmi les partis politiques
traditionnels pour lutter contre Dieudonné au travers de la censure,
des peines judiciaires ou d’interdictions administratives.
Censure inacceptable
Ces attaques et appels à la censure sont à combattre avec la plus grande fermeté pour deux raisons essentielles.
Tout
d’abord, il ne fait aucun doute que de telles mesures constitueront un
dangereux précédent pour justifier la censure de toute idée considérée
comme dérangeante par l’establishment. Le capitalisme (où une petite
minorité continue à s’enrichir pendant que la majorité est en train de
se serrer la ceinture) ne peut donner lieu qu’à des critiques et des
réactions de plus en plus virulentes. Est-ce que ces critiques seront
elles aussi interdites, réprimées ou censurées ?
Ensuite,
l’affaire Dieudonné n’est plus l’affaire d’une personne. « La
quenelle », geste inventé par Dieudonné, est reprise par des milliers de
jeunes pour exprimer un espèce de « fuck » moderne, un geste « anti »
pour faire part d’un ras-le-bol général. Aujourd’hui, par des attaques
disproportionnées contre Dieudonné et contre la quenelle, ces jeunes
sont traités comme des parias mais aussi comme des « antisémites ». Un
député français annonce le dépôt d’une proposition de loi en vue
d’interdire ce geste. Des groupes ultra radicaux n’ont aucun problème en
France à s’attaquer physiquement à ceux qui ont fait le signe de la
quenelle. Sans susciter beaucoup d’indignation.
Considérer
tous ceux qui font une quenelle comme des gens dangereux ou des
antisémites, c’est ne rien comprendre à la diversité d’expression que ce
geste symbolise pour ces auteurs. Il y a de toute évidence une série de
personnes qui y ont mis un contenu antisémite et raciste (des photos
circulant sur internet sont explicites) mais généraliser et stigmatiser
l’ensemble des auteurs de quenelles, c’est ne rien comprendre à ce que
cela exprime vraiment : un dégout extrêmement divers vis-à-vis d’un
système ou d’une élite politique, médiatique et économique qui veut
imposer sa pensée unique. « C’est même très contreproductif, rajoute
Michel Staszewski de l’UPJB (Union Progressiste des Juifs de Belgique).
Que celles et ceux qui veulent réellement combattre l’antisémitisme, se
concentrent sur ses véritables manifestations sans voir de
l’antisémitisme partout. »
L’acharnement
contre Dieudonné et la stigmatisation de cette jeunesse qui fait la
quenelle a un message précis : « vous n’avez pas le droit de penser
différemment. »
En
réalité, l’acharnement contre Dieudonné et la stigmatisation de cette
jeunesse qui fait la quenelle a un message précis : « vous n’avez pas le
droit de penser différemment. » Et ceux qui dévient seront considérés
comme des parias, des gens à faire taire, même violemment.
Quenelle, pour aller vers où ?
La
quenelle est donc l’expression d’une rupture de la jeunesse avec la
pensée unique. Il y a un sens positif à cela. Le système du tout au
profit qu’est le capitalisme, les profondes inégalités sociales qu’il
crée, le racisme et les discriminations quotidiennes qu’il génère mérite
bien un geste de rejet. Mais est-ce le sens que ses deux propagateurs
actuels, Dieudonné et Alain Soral (cet ancien cadre du FN français),
veulent réellement lui donner ? Certainement pas. L’évolution politique
de Dieudonné le démontre.
Dieudonné
n’est plus un simple humoriste attaqué par le système, qui cible les
événements de l’actualité, qui mène un combat pour le droit de rire de
tout, y compris des juifs. Le point de départ des attaques fut un sketch
réalisé en direct sur France 3, où Dieudonné s’était déguisé en colon
extrémiste israélien et avait mimé un salut hitlérien. Une hystérie
totalement injustifiée s’en est suivie : interdiction de télé, de
promotions, annulations de spectacles, menaces de mort, procès. Il s’est
défendu à l’époque comme il pouvait, en refusant à raison de présenter
ses excuses.
Force
est de constater que trop peu de personnalités ont eu le courage de
prendre sa défense alors qu’il le méritait sans aucun doute. L’affaire
Dieudonné a mis en évidence l’existence d’un lobby qui défend de manière
acharnée les intérêts de l’État d’Israël et l’extrême complaisance des
autorités françaises à son égard. Pour beaucoup, il est alors devenu le
symbole du combat pour la liberté d’expression, un héros anti-système
qui montre l’hypocrisie du pouvoir et le deux poids-deux mesures des
autorités françaises.
On
pourrait trouver cela positif. Mais les choses ont largement dérapé
depuis. De provocation en provocation, le Dieudonné d’aujourd’hui fait
objectivement de la politique et, hélas, dans une perspective très
précise : semer la confusion parmi la jeunesse qui ne croit plus au
système, légitimer l’extrême-droite et communautariser les
contradictions de la société en propageant l’idée complètement fausse
qu’un complot judéo-maçonnique domine le monde.
La confusion au service de l’extrême-droite
Dieudonné
se profile comme un rebelle anti-système. Mais quel système ? Il n’a
aucune critique du capitalisme. Et être rebelle pour Dieudonné revient à
provoquer, faire des quenelles et faire du politiquement incorrect.
Dieudonné partage en fait avec Alain Soral, cet ancien cadre du Front
National avec lequel il est en alliance de fait, la même doctrine de
résistance : « Le politiquement incorrect n’est en rien un inutile jeu
de provocations. C’est même la doctrine de résistance au mondialisme.
[…] nous pouvons, nous nationaux, en tant que seuls critiques
efficients, devenir les maîtres à penser de demain et incarner, nous et
nous seuls, le renouveau du Génie français ! ».
En
pratique, cette doctrine du politiquement incorrect amène Dieudonné à
légitimer l’extrême-droite et ne légitimer que celle-ci. En s’affichant
auprès du négationniste Robert Faurisson, en faisant de Jean-Marie Le
Pen le parrain de sa fille, en serrant la main de Serge Ayoub, dirigeant
d’une milice d’extrême-droite responsable du décès d’un militant
anti-fasciste… Dieudonné réussit l’exploit de légitimer les fascistes
aux yeux de beaucoup de jeunes de milieu populaire, y compris les
enfants issus de l’immigration, qui n’auraient jamais pu se rapprocher
de l’extrême-droite autrement.
Le
confusionnisme de Dieudonné l’amène à soutenir en Belgique le
parlementaire ex-PP, ex-MLD, ex-Islam, Laurent Louis. Dans une réunion
publique, devant des centaines de jeunes surchauffés, Dieudonné
affirme : « Je te soutiens. Je suis 100 % derrière toi. Tu vas être
élu. » Dans sa dernière vidéo 2014, année de la quenelle, il en
fait encore la promotion. Laurent Louis en profite bien, lui qui a
décidé d’adopter le même style (la provocation et la victimisation comme
action politique), et qui est passé d’un discours ouvertement raciste
et d’extrême-droite « classique » quand il était au PP à un discours
plus Soralien sur le « complot des élites perverses soumises au lobby
juif ».
L’antisémitisme et le « complot des élites soumises au lobby sioniste »
Dieudonné
s’est toujours défendu d’être antisémite et beaucoup de ses sketchs ont
été accusés à tort d’antisémitisme, car ils n’exprimaient en réalité
qu’une critique du sionisme et de la politique d’Israël. Mais ce n’est
clairement plus le cas aujourd’hui. Dans ses vœux de 2014, il affirme :
« je ne suis pas antisémite. Aujourd’hui, je ne le suis pas. Mais je ne
dis pas que je ne pourrais pas le devenir un jour. »
Quand
Dieudonné prend des positions politiques, elles ne concernent plus que
la communauté juive. L’humoriste minimise le génocide juif et se mêle à
des personnalités qui estiment que le génocide est exagéré ou n’a pas eu
lieu (comme le négationniste Robert Faurisson). En 2009, il crée sa
liste « Anti-sioniste » avec des personnalités comme Alain Soral, qui
venait juste de quitter le FN. Depuis, ils sont deux compagnons de
route, unis sur une seule obsession : faire du sionisme la cause
fondamentale de toutes les injustices qui minent la société et l’idée
que les élites françaises sont complètement soumises au lobby sioniste.
Les divisions dans notre société ne seraient alors plus des
contradictions entre classes sociales ayant des intérêts opposés, le
clivage devient communautaire « sionistes-establishment » contre
« musulmans anti-système ». Et le déchaînement médiatique, la répression
de Dieudonné et le manque de réaction de la gauche ne fait que
renforcer l’extrême droite.
Aujourd’hui,
on ne peut plus être contre la répression que subit Dieudonné sans
également prendre ses distances avec ses idées. Et on ne peut plus
lutter contre ses idées sans s’opposer fermement à la répression qu’il
subit. Il ne faut céder ni sur l’un ni sur l’autre terrain.
Pour aller plus loin :
• « La pensée d’Alain Soral » par Maxence Staquet dans Études marxistes n° 97.
• « Au-delà des quenelles, il faut remettre du politique », interview de Julien Salingue, membre de l’observatoire des médias, Acrimed, et docteur en sciences politique à l’Université de Paris 8.
• « La Chronique du blédard : De la quenelle, de Dieudonné et de la liberté d’expression » par Akram Belkaïd.
http://www.michelcollon.info/Dieudonne-la-censure-et-la.html
Source : solidaire.org
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