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lundi 16 avril 2012

J’étais au procès d’Ali Aarrass…

Par Abdellah Boudami, 16/4/2012 
J’ai beaucoup attendu ce moment. Le moment où mes yeux croiseraient ceux d’Ali. Après tant d’années. Des manifestations, des pétitions, des rassemblements, des conférences, des documentaires. Et même un livre. Après tant de temps, me tenir à quelques mètres de lui, lui parler peut-être. Et j’étais plein d’appréhensions.
  J’ai connu Ali lorsque, adolescent, j’accompagnais mon père à sa librairie-papeterie bruxelloise. J’ai appris à mieux le connaître lorsque j’ai eu l’occasion de tenir un étal de marchandises pas loin du sien. Et ce que je peux dire de lui, ce que j’ai retenu de lui, ne diffère pas de ce que rapportent bien des gens qui l’ont connu. Un homme formidable, dévoué, altruiste, généreux et souriant.
 Mis en prison. En prison et en appel du verdict de son procès : 15 ans, sur base d’aveux extorqués, comme nous le savons tous, par la torture. Le 9 avril se tient donc l’énième audience, et c’est la première fois que je fais le déplacement. C’est même la première fois que je vais à Rabat. Le Tribunal de première instance est un grand bâtiment, dont l’apparente beauté extérieure ne parvient pas à masquer la terrible réalité qui se loge en son sein. La matinée passée là le confirme : la manière dont sont appelés à la barre les inculpés pour des délits de petite criminalité, la façon dont les juges les toisent, l’absence d’avocats pour une majeure partie d’entre eux, leur extrême jeune âge, tout cela donne déjà le ton de cette justice de façade. Des affaires traitées en vitesse, des voix qui glapissent, un juge qui peine à masquer son ennui et une salle remplie de proches et d’amis résignés et abattus.

 C’est alors qu’il rentre. Ali. Il n’a pas changé. Pas beaucoup en tout cas. C’est vrai, ses tempes grisonnent, ses yeux paraissent creusés, mais il a toujours cette carrure et cette prestance qui le caractérisent depuis toujours. Il scrute les membres de la délégation venue le soutenir : une vingtaine de membres de la famille et des amis venus de Melilla, et huit proches et membres de la campagne Free Ali venus de Bruxelles. A chacun, il fait un signe, un sourire, un geste sur le cœur, ou un doigt levé vers le ciel, en signe de confiance et de sérénité. Lorsque ses yeux croisent les miens, j’essaie de retenir mes larmes. A quoi bon ? Le moment est si fort, l’émotion tellement à son combe. L’innocence de cet homme se lit presque sur son visage paisible et grave à la fois. A cet instant, le sentiment d’injustice crée une boule dans le ventre, il lacère les tripes, il donne envie de se lever, de crier, de hurler la rage contenue. 
 Ali. Tellement serein mais tellement atteint. Happé par un système injuste, inique. Pris dans l’engrenage que font tourner des juges corrompus, des politiques insensibles, des journalistes absents, des citoyens passifs. Torturé a été son corps, torturé est son esprit. Il m’a directement reconnu. Je suis très touché. A travers cette vitre qui délimite le box des accusés, je lis sur ces lèvres. D’abord, il me fait un signe du pouce, tourné vers le haut. Il apprécie ce que nous faisons. Puis il prend des nouvelles de mon père, mon frère et ma famille. Il me fait comprendre qu’il a lu le livre, qu’il ne faut rien lâcher. La suite du procès, la manière dont cela s’est déroulé, la rage du Procureur, l’incohérence de la machine judiciaire et le bon travail de la défense, tout cela est déjà bien expliqué par le communiqué du cabinet d’avocats. 
Quelles sont mes impressions plus personnelles ? Elles sont au nombre de deux. 
 La première, c’est la dureté et la cruauté du sort réservé à cet innocent, aux prises avec des individus particulièrement ignobles et un procès inique, kafkaïen. C’est le caractère surréaliste du déroulé de l’audience, les contorsions du juge et les vociférations du Procureur. L’impression que la machine à laquelle on s’attaque est puissante et particulièrement vicieuse. Et que la Belgique a abandonné un de ces citoyens qui est, sans n’avoir jamais rien fait de mal, aux prises avec ce système sans foi ni loi. (Photo : les avocats d’Ali : Maitre Dadsi à gauche et Maitre Nayim à droite.) Mais ma deuxième impression est la plus importante et la plus décisive. C’est le poids qu’on peut faire peser sur cette machine qui se veut invincible mais qui craquèle de partout. C’est les fissures qu’on peut créer dans les murs de ces prisons et de ce système. La rage des juges devant le nombre de la délégation et la pertinence des arguments, les contradictions entre le ministère et le procureur, la manière dont les agents de la Sûreté nationale essaient de nous ménager durant l’audience, tout cela montre que notre présence sert à quelque chose. Cette impression se renforce encore plus lorsque l’on sort du tribunal, en ayant décroché le report de l’audience : une manifestation se tient, sans complexe et avec bruit, devant le bâtiment de l’Injustice. En sillonnant les rues de Rabat, on s’aperçoit que nombre de sit in et de manifestations se tiennent. Les choses changent, les cris pour plus de justice et d’équité ne manquent pas de faire vaciller le régime, ce Makhzen qui n’est plus qu’un colosse aux pieds d’argile. Peut-on conclure ? Il reste tant de choses à écrire, à dire, à faire. Ce qui est certain, c’est que les impressions qui restent gravées dans ma chair après cette audience, me font prendre conscience de l’importance d’être là. Pour aider Ali à s’accrocher. Pour faire prendre conscience aux autorités belges ou espagnoles que nous ne lâcherons pas. Pour signifier aux autorités carcérales et judiciaires que, plus que jamais, nous serons solidaires de notre frère innocent. Ali, Ali, reste fort comme tu l’as toujours été. On ne cède pas un pouce de terrain. Et on se battra jusqu’au jour de ta libération, insha Allah. La prochaine audience se tiendra le 7 mai. Soyez présents.

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