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mercredi 15 février 2012

« Lettre ouverte (déférente) à Mohammed VI »

Par Damien Glez (Slate Afrique), 15/2/2012

« Lettre ouverte (déférente) à Mohammed VI »
Le Marocain Walid Bahomane a comparu devant un tribunal de Rabat, le 7 février, pour avoir diffusé une caricature de Glez sur Facebook. Le dessinateur écrit à la «victime» du dessin
Votre Majesté,

Bon nombre de responsables politiques pestent de n’être pas crayonnés par les caricaturistes de leur pays. C’est un comportement tout aussi divertissant qu’incongru que vous avez dû observer à Bruxelles, capitale de la bande dessinée, lors de votre séjour en 1988 auprès de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne. Ne pas être «croqué» dans les vignettes d’actualité humoristiques, c’est manquer de notoriété, voire de popularité. Et ce n’est pas une analyse eurocentrée. Le plus aimé des chefs d’Etats africains, Nelson Mandela, s’amusait de ces croquis, au point de contacter au téléphone des auteurs comme Zapiro. Si votre image est considérée comme sacrée par la loi de votre pays, et donc proscrite aux crayons des dessinateurs, sachez que l’ancien leader de l’ANC, lui, est sacré dans le cœur de son peuple, notamment parce qu’il a accepté les critiques et les traits d’humour.

Des monarques aussi majestueux que votre majesté, à l’image de votre «voisin» Juan Carlos, affirment apprécier leurs représentations graphiques. Sincérité feinte? Qu’importe. Le roi d’Espagne serait sincère avec lui-même s’il s’avouait que les dessins de Kap ou Antoni Ortiz Fuster —même audacieux— consolident sa position sur le trône. S’en prendre à un amateur de caricatures est une erreur stratégique. Ceci d’autant plus que la diffusion d’un dessin est exponentielle dès sa censure. De désespérée à stérile, la colère noire des victimes de caricatures devient contreproductive.
Répondre à une serrure par une incarcération

Votre Majesté, c’est à l’occasion du dixième anniversaire de votre règne que notre misérable plume dessinait votre majestueuse silhouette en forme de trou de serrure, pour illustrer un article qui traitait de politique sécuritaire dans le quotidien français Le Monde. C’est cette serrure qui, via le réseau social Facebook, semble avoir attiré les foudres des forces de l’ordre du Royaume chérifien sur Walid Bahomane, 18 ans, arrêté dans le centre de détention pour mineurs de Salé, après comparution au tribunal de Rabat. Répondre à une serrure par une incarcération, voilà, Majesté, une drôle de maladresse. Drôlerie pour drôlerie, il n’est pas trop tard pour la faire passer pour un trait d’humour…

Votre Majesté, le début de votre règne avait suscité l’enthousiasme des observateurs, avisés ou non. La société civile, et tout particulièrement le monde des journalistes, a pourtant pris une douche froide lorsqu’en 2009, le caricaturiste marocain Khalid Gueddar a été condamné à trois ans de prison avec sursis et 270.000 euros d’amende pour avoir représenté, dans le quotidien Akhbar al Youm, votre cousin, le prince Moulay Ismaïl. Le «cartoonist», aujourd’hui, est libre de ses mouvements. Mais sa condamnation reste un sujet de déception dans ces murmures que votre régime considère sans doute comme insidieux; une cicatrice dans l’image de modernité que tentent de diffuser Casablanca ou Rabat; un écho iconoclaste de l’affaire des caricatures de Mahomet. De Mahomet à Mohammed.

Toutes les caricatures, Votre Majesté, ne sont pas de bonne qualité, même si elles sont souvent excusées par principe. Ou, même, admettons-le, par corporatisme. Certaines sont aussi impertinentes que peu pertinentes. Certaines sont crétines, injustes, confuses, injurieuses. Les œuvres de certains caricaturistes sont exceptionnellement ratées.

Les dessins d’autres sont systématiquement indigestes. L’association «Cartooning for peace», créée par l’ancien secrétaire général de l’ONU Koffi Annan et le dessinateur Plantu, tente d’en discuter. Elle n’ignore pas que le dessin caricatural alimenta, dans la première moitié du XXe siècle, une propagande nauséabonde. Mais elle se refuse, Votre Majesté, à imaginer qu’une autre propagande pourrait en réduire avantageusement les effets néfastes. La répression aveugle nourrit la provocation déplacée plus que la responsabilisation croustillante.

À l’heure où il est question d’amendement constitutionnel pour nuancer le caractère sacré de Votre Majesté (ce qui détournerait de fait les crayons), comme paraît bien anachronique l’arrestation d’un internaute adolescent pour diffusion potache de gribouillis! Il n’est pas question de mépriser la spécificité culturelle de tel ou tel pays. Il n’est pas question de juger, à 3.000 kilomètres de distance, la valeur de la dynastie alaouite qui régnait sur le Maroc avant le premier dessin de presse homologué. Il n’est pas question d’interdire le débat autour de dessins inspirés du nord ou réalisés au sud. C’est pour mieux découvrir les valeurs des uns et des autres que les caricatures titillent ces valeurs. Un dessin de presse ouvre les yeux. Il n’a guère d’autre prétention. Et surtout pas celle d’être la clef qui ouvrira la serrure de tel ou tel régime.

Pour autant, un régime qui déboucle le cachot d’un amateur de dessins, ça, c’est majestueux, Votre Majesté.


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