Tribune
Il y a quelques jours, la préfecture de police de Paris est encore une fois intervenue dans le cursus universitaire d'une étudiante, en prenant une décision brutale et inadmissible.
Émilie, doctorante en sciences sociales et canadienne doit renouveler chaque année son titre de séjour ; début novembre 2011, elle s'est vue notifier un refus de renouvellement assorti d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sous trente jours, au motif de « progression [in]suffisante » dans ses études depuis son entrée en France.
C'est donc un agent préfectoral qui juge de la pertinence du travail mené par nos étudiant-e-s, en licence, en master comme en doctorat. C'est pourtant là l'une de nos missions. Comment cet agent pourrait-il connaître les conditions objectives de réalisation d'un doctorat en sciences humaines et sociales (SHS), particulièrement en sociologie ?
Que sait l'agent préfectoral des exigences d'un doctorat ?
Nous, enseignants-chercheurs qui avons effectué nous-mêmes un doctorat, savons que la durée des thèses en sciences sociales excède très souvent les trois années prévues par la réforme du LMD (micence-master-doctorat).
Les études s'allongent encore plus lorsque l'on doit trouver des revenus pour les financer et vivre ; or, le nombre d'allocations et de contrats doctoraux ne cesse de diminuer, dans le secteur SHS en particulier, tandis que les exigences pour ceux et celles qui veulent poursuivre une carrière académique en termes d'investissement scientifique collectif et de publication augmentent.
Cet agent qui a refusé la présence d’Émilie sur le territoire, et parmi nous comme collègue, sait-il que sa participation à des contrats de recherche comme à la vie de son laboratoire et de son université, ainsi que la rédaction de ses communications et publications prennent du temps et font partie de ce que l'on attend désormais d'un-e doctorant-e ?
Un objectif quantitatif à atteindre
Certainement pas, cela n'est pas son métier ; par ailleurs, cet agent répond aux exigences de son ministère : faire diminuer le nombre d'étrangers sur le territoire national. Afin d'atteindre cet objectif quantitatif, les conditions de vie et d'études des migrant-e-s en général, sont aggravées, le contrôle et la répression à leur égard durcis.
Aussi, le cas d’Émilie n'est ni unique ni exemplaire ; il s'ajoute à la longue liste de nos étudiant-e-s et de nos collègues malmené-e-s par les services de l'Intérieur français. Nos étudiant-e-s sont de plus en plus nombreux, à être sommés de quitter le territoire français, placés en centre de rétention, expulsés, alors qu'ils devraient travailler leur exposé, réviser en vue de leur partiel, rédiger leur mémoire ou encore accomplir leur stage.
En amont, des prétendant-e-s (hors Union européenne) aux études en France voient leurs demandes de visa déboutées par des services consulaires français, voire des agences privées (à qui cette tâche a été externalisée) : ainsi, des étudiants acceptés par les enseignants chargés de sélectionner des candidats dans certaines formations, ne rejoignent pas leurs camarades en septembre.
Désormais, avec la circulaire Guéant, nos étudiant-e-s diplômé-e-s de l'enseignement supérieur français pourront se voir refuser un emploi, au nom d'une odieuse priorité nationale.
De plus en plus difficile de faire venir nos collègues
Enfin, il est de plus en plus difficile de faire venir nos collègues étrangers (professeurs, chercheurs) invités : certains sont refoulés à l'aéroport ! Dans le même temps, certain-e-s de nos collègues, titulaires mais étrangers, sont l'objet de tracasseries administratives.
Ces traitements inégalitaires entre étudiant-e-s et enseignant-e-s français et étrangers sont contraires aux exigences de notre mission d'enseignement et de recherche publique. En outre, ils interviennent massivement au moment même où les pressions et injonctions au « rayonnement scientifique » de la France, à l'excellence de ses formations et de ses recherches, au développement de partenariats avec l'étranger n'ont jamais été aussi fortes !
Mais comment tisser des relations avec des universités et centres de recherche étrangers, quand leurs étudiants, leurs enseignants sont maltraités en France ? Comment poursuivre la tradition intellectuelle française, nécessairement ouverte et en lien avec le reste du monde, dans ce climat hostile et délétère ?
Laurent Wauquiez doit agir
Nous dénonçons vigoureusement la politique de lutte contre l'immigration menée par le gouvernement ! Nous refusons de déléguer à des agents préfectoraux consulaires, le suivi et l'évaluation de nos étudiant-e-s ! Nous voulons l'égalité de traitement pour tous nos étudiant-e-s et collègues étrangers et nationaux ! Nous voulons exercer notre métier avec nos collègues et étudiant-e-s étrangers, comme nous l'avons toujours fait.
Nous demandons à notre ministre de tutelle Laurent Wauquiez d'interpeller le gouvernement sur la politique de lutte contre l'immigration, qui entraîne des situations insupportables au sein de nos établissements.
L'Association des sociologues enseignants du supérieur (Ases)
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