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vendredi 22 janvier 2010

Le racisme en Italie : Un programme de gouvernement


par le Pr Chems Eddine CHITOUR, Ecole Polytechnique, Alger, 22/1/2010
« Le racisme, le manque de tolérance caché sous l’arrogance, les guerres et leurs conséquences, marquent l’histoire de nos pays. »
Günter Grass, (Prix Nobel de Littérature)

Il ne se passe pas de jours sans que l’on apprenne le destin tragique d’Africains tentés par l’eldorado européen. Comme on le sait, l’une des « réussites » de l’Union européenne c’est de déclarer une guerre sans merci aux candidats malheureux à l’immigration dite « clandestine » dans le jargon occidental. Chacun se rappelle les centaines de morts sans sépulture et les épaves humaines échouées sur les plages de Lampedusa et les plages espagnoles après avoir déjoué les radars sophistiqués du Sive et pu passer dans des « pateras » de fortune. Les rares survivants qui arrivent à accoster rasent les murs et rentrent dans la clandestinité. Pour survivre, ils acceptent de travailler au noir, pour un salaire de misère pour les propriétaires sans état d’âme, sous l’oeil complice des autorités. Cela rappelle l’achat d’esclaves sur les places publiques, ce que faisait un certain Mora le Négrier qui venait enrôler au Maroc des travailleurs pour les mines de charbon du Nord de la France, un tampon vert était synonyme d’acceptation, un rouge de refus.
C’est donc une banalité voire on lasse à force de ressasser une détresse ordinaire, une souffrance muette. La nouveauté nous vient d’Italie, où on nous parle de la chasse à l’homme dans un petit village « tranquille ». Ecoutons Sakho Jimbira en parler : « Après nous avoir une fois de plus gratifié d’un piètre spectacle de racisme, hélas ! devenu ordinaire, à l’encontre d’ouvriers agricoles originaires d’Afrique, l’Italie de Silvio Berlusconi semble persister dans son mépris, désormais assumé, et son racisme, quasi institutionnalisé, contre les immigrés africains. A l’origine de ces nouveaux incidents, des travailleurs immigrés, qui rentraient tranquillement de leur travail, se sont faits sauvagement canarder à la carabine par de jeunes Italiens en voiture. Sérieusement commotionnés, ces ouvriers agricoles ont manifesté leur dépit en brûlant des voitures pour dénoncer les actes racistes dont ils sont régulièrement les cibles. C’est en représailles à cette réaction que la population elle-même a mené de véritables expéditions punitives dans leurs rangs, faisant de nombreux blessés graves. »(1)
L’Italie aussi
« En vérité, pour bien apprécier l’ironie de cette situation, il faut avoir à l’idée les grandes vagues d’immigration de travailleurs italiens tout au long de l’histoire du siècle dernier. Déjà en 1931 la France était l’un des premiers pays d’immigration du monde, avec 2,7 millions d’étrangers pour 42 millions d’habitants, on recensait 808.000 Italiens. La première vague d’immigrants avait quitté l’Italie entre 1871 et la fin du XXe siècle, pour fuir la pauvreté, comme beaucoup d’immigrés africains actuellement. 5 millions d’Italiens immigrèrent dans le Nord de la France et surtout à Marseille, pour y trouver du travail. Cette première vague connut des conditions de vie extrêmement difficiles et la ségrégation dans des ghettos en périphérie des grandes villes comme Paris ou Marseille, sans parler de la promiscuité dans les baraques ouvrières des villes industrielles du Nord, à l’image du sort de beaucoup d’émigrés africains d’aujourd’hui. Ces travailleurs étaient surexploités, acceptant les tâches les plus rudes et des salaires dérisoires, ce qui ne les mettait pas à l’abri de rixes parfois très violentes avec les ouvriers français. (...) Ce racisme anti-italien atteindra son point culminant avec la tragédie d’Aigues-Mortes, le 17 août 1893, qui vit des altercations entre travailleurs italiens et français dégénérer en véritable émeute, durant laquelle la foule excitée poursuivit les Italiens, armée de fourches et de pioches, provoquant un véritable massacre. Mais, ce qui est inquiétant aujourd’hui en 2010, c’est le silence assourdissant des dirigeants européens, notamment de la Cour européenne des Droits de l’homme et des institutions de l’Union, dont l’Italie fait partie. (...) Les gouvernements africains, pourtant bien au fait de la situation de leurs ressortissants en Italie, sont quant à eux restés muets face à ces incidents répétitifs. Or, l’on sait tout le tollé que susciterait ce type de traitement, infligé à des ressortissants européens en terre d’Afrique ! »(1)
« Ces incidents semblent symptomatiques d’un mal beaucoup plus profond, qui ronge l’Italie et que le régime de Berlusconi n’a cessé d’aggraver. Le pays semble véritablement renouer avec ses vieux démons, exhumant de sombres pages de son histoire et actualisant le sinistre legs du Duce. (...) Dirigeant le plus populiste que l’Italie ait connu depuis Mussolini, Berlusconi n’hésite d’ailleurs pas à recourir aux recettes jadis utilisées par son funeste maître, en faisant croire à son peuple que les immigrés sont responsables de tous leurs maux. Rien d’étonnant alors si aujourd’hui dans les rue italiennes, les propos racistes et les actes xénophobes soient entrés dans l’ordinaire du quotidien. » (1)
Qu’est-ce que le racisme qui semble justement sous-tendre toute l’action du gouvernement italien ? Le racisme justement est une idéologie consistant à classifier des groupes naturels humains, désignés souvent sous le terme de races, à partir d’attributs naturels, visibles ou non (physiques, psychiques, culturels, etc.), des caractéristiques morales ou intellectuelles s’appliquant à l’ensemble de ce groupe. Cette idéologie peut entraîner une attitude d’hostilité systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes. Ces actes d’hostilité se traduisent par la discrimination, une forme de xénophobie ou d’ethnocentrisme. Gaston Méry, collaborateur à La Libre Parole, le journal d’Édouard Drumont, est la première personne connue à avoir utilisé le mot « raciste » en 1894. Toutefois, l’adjectif « raciste » et le nom « racisme » s’installent dans le vocabulaire général dans les années 1930.
La question de l’antériorité ou de la postérité du racisme au développement de l’esclavage dans les colonies européennes fait l’objet de nombreux débats. Le consensus s’établit néanmoins au sujet du rôle joué par le développement de l’esclavage sur le durcissement et la diffusion de l’attitude raciale. Le « racisme scientifique », ou « racialisme » (ou « raciologie »), classifie les êtres humains d’après leurs différences morphologiques en application d’une méthode héritée de la zoologie. Les théoriciens du racialisme comptent des personnes tel que Arthur de Gobineau, célèbre pour son traité sur « l’inégalité des races ». La position mixophobe radicale est le corollaire de la construction du mythe de la pureté de la race qui affirme la supériorité des races pures sur les races dites métissées. Les promoteurs du mythe de la race aryenne - Vacher de Lapouge, Chamberlain, et plus tard Adolf Hitler- voient dans la « race germanique » la survivance à l’état pur de la « race indo-européenne ».
La suprématie de la race blanche ou caucasienne est un postulat sur lequel s’accordent très largement les scientifiques et hommes politiques du XIXe siècle. Combiné avec la mission civilisatrice, le suprématisme blanc est un élément fondamental de l’idéologie coloniale. Une fois opérée la conquête, il constitue aussi le principe justificatif des législations opérant des distinctions de droit sur une base raciale. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle les politiciens recourent à l’autorité des scientifiques, pour légitimer leurs décisions. Selon cette conception, la lutte que se livreraient depuis l’origine les différents groupes humains doit conduire à la domination des races les plus aptes et à la disparition inexorable des races inférieures. Après la conquête de l’Algérie par la France, les médecins français, constatant la baisse de la population « indigène », n’y verront que la confirmation d’une extinction prochaine et prévisible de la race arabe, qu’ils considèrent inadaptée aux nouvelles conditions de leur temps. (...) Le succès des zoos humains constitue pour Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, l’une des modalités de transmission du « racisme scientifique » à une large partie de la population.(2).
« Franchement racistes »
Juste retour des choses ; les Italiens font subir aux immigrés ce que leurs parents ou grands-parents ont subi. S’agissant des « ratonnades » anti-Noirs, pour Alain Morice, anthropologue, « on peut se demander si la mafia locale n’est pas derrière les premières exactions, qui ont déclenché une "chasse à l’immigré" dans le sud de l’Italie, faisant soixante-sept blessés Dans certains pays d’immigration ancienne, comme la France, on se souvient, notamment des Belges recrutés pour la récolte des betteraves dans le nord de la France, ou des Italiens dans la région marseillaise pour le maraîchage, ou encore des Espagnols pour les vendanges. (....) L’idée est toujours que ces étrangers ne doivent pas s’installer durablement car, disent les exploitants, s’ils séjournent à l’année, alors ils deviendront des ´´bras cassés´´ sans ardeur à la tâche et surtout soucieux de toucher les aides sociales. Le racisme est ici un levier de l’exploitation de ces saisonniers migrants. (...) En Italie du Sud, le recrutement se fait surtout de façon informelle, sous le contrôle des mafias locales (par exemple la Ndranghetta, en Calabre), qui ont la haute main sur le système administratif, ce qui garantit une impunité aux employeurs. Recrutés sur des mensonges ou, parce que sans papiers, par peur d’être arrêtés, des Africains et des ressortissants des pays de l’Est sont surexploités et pratiquement emprisonnés, sous la surveillance de capos ("chefs"). »(3)
Dans l’atmosphère délétère des années trente, souvenons-nous des lois raciales, en italien Leggi razziali, qui précisent les mesures prises en Italie vers la fin des années 1930 pendant la période du régime fasciste contre les personnes de religion juive mais aussi d’autres. Benito Mussolini en fait la proclamation le 18 septembre 1938 : « Il est temps que les Italiens se proclament franchement racistes. » Toute l’oeuvre qui jusqu’à présent a fait le régime en Italie est au fond le racisme. Dans les discours du Chef, la référence aux concepts de la race a toujours été très fréquente. Les fondements et les prémisses sont basés sur des considérations scientifiques erronées destinées à établir l’existence de la race italienne et son appartenance au groupe des races aryennes. Le décret royal, loi du 5 septembre 1938 - qui fixe les « mesures pour la défense de la race dans les écoles fascistes »(4).
On l’aura compris, s’agissant de la politique gouvernementale actuelle par rapport à celle de l’Italie fasciste, il n’y a pas de rupture, mais une continuité : l’Italie de 2010 est dans la lignée de celle de 1930. L’Italie n’aura, aucune gêne à adopter des lois drastiques contre les immigrés avec un catalogue des délits. Alain Hubler écrit : « Alors que le Cavaliere capte l’attention des médias grâce à ses frasques tout en slalomant entre les juges et la mafia, l’Italie a connu samedi dernier l’entrée en vigueur de la loi visant à lutter contre l’immigration clandestine et qui en fait un délit. Carrément. Dans le pays des belles et des bonnes choses, le decreto sicurezza met l’Italie à la pointe du racisme européen et la rejette au niveau des Leggi razziali de la fin des années 30. Et je n’exagère pas. Jugez plutôt de son contenu synthétisé par Celestissima. L’étranger qui, violant la loi, "entre ou séjourne sur le territoire italien" sera condamné à une amende allant de 5000 à 10.000 euros (délit de clandestinité). Celui qui louera un bien immobilier à un clandestin encourra une peine de prison allant de 6 mois à 3 ans. Le séjour des clandestins dans les Centres d’identification et d’expulsion (CIE) pourra désormais durer 6 mois. L’obtention du permis de séjour sera soumis à une taxe dont le montant n’est pas encore fixé mais il sera compris entre 80 et 200 euros. L’argent obtenu sera destiné à couvrir les frais de rapatriement des migrants irréguliers. Taxe aussi, de 200 euros, pour qui voudra obtenir la citoyenneté italienne. Mais il y a bien pire : les enfants nés en Italie d’une mère clandestine ne pourront pas être déclarés sur les registres d’état civil. Ils n’auront pas d’identité. Ils seront invisibles. Si la mère n’a pas de passeport elle ne pourra même pas reconnaître son enfant qui deviendra immédiatement adoptable. Ces effroyables mesures s’accompagnent du fichage des sans-abri par la création d’un registre national et de la légalisation des rondes de citoyens destinées à assurer la sécurité des quartiers, mais surtout à traquer et à dénoncer les clandestins. Il semblerait que 60% des Italiens applaudissent ces nouvelles dispositions qui semblent pourtant parfaitement satisfaire aux caractéristiques du fascisme. »(5)

Autre trait marquant de monsieur Berlusconi, son crédo de la supériorité de la civilisation occidentale. On se souvient que le 26 septembre 2001, à Berlin, Silvio Berlusconi a à la fois exalté la « supériorité » du modèle occidental, réclamé que « l’Europe se reconstitue sur la base du christianisme ». Dans Le Figaro du 28 septembre 2001, on rapporte les propos suivants du président du Conseil italien : « On ne peut pas mettre sur le même plan toutes les civilisations. Il faut être conscient de notre supériorité, de la supériorité de la civilisation occidentale. L’Occident continuera à occidentaliser et à s’imposer aux peuples. » On croirait entendre Jules Ferry un autre chantre des races supérieures, « qui ne sont cependant pas valables dans nos colonies (sic) » « A peine, est-il rapporté dans un éditorial du Monde du 29 septembre 2001, commençait-on à oublier la malheureuse formule de George W.Bush appelant à la "croisade" contre le terrorisme qu’un autre dirigeant occidental, Silvio Berlusconi, tenait à son tour des propos inacceptables en affirmant la "supériorité" de la civilisation occidentale, qui tendent à idéaliser les valeurs de l’Occident tout en démonisant celles du reste du monde ; et qui relancent l’idée dangereuse d’un "choc des civilisations" dont le christianisme et l’Islam seraient deux des protagonistes. »
Est-ce que tous les Italiens sont racistes et aussi sûrs qu’ils appartiennent à une civilisation supérieure ? Non !! Cependant, on peut comprendre que la situation sociale se dégradant, les sociétés occidentales se sentant fragilisées, elles se tournent vers le maillon faible, l’allogène, l’étranger qui « mange le pain des Français », aurait dit Fernand Reynaud dans son fameux sketch du "douanier". De ce fait, justement, l’étranger sert de « variable d’ajustement » des politiques sociales du gouvernement pour gagner du temps, garder le pouvoir tout en flattant les pulsions les plus basses de la population. La responsabilité des gouvernants est totale.

1.Sakho Jimbira : Immigration en Italie : Agoravox 14 janvier 2010
2.Racisme : Wikipédia, l’encyclopédie libre.
3.Alain Morice : En Italie, « le racisme est un levier » interview. Claire Ané. Le Monde.fr 11.01.10
4.Lois raciales fascistes. Un article de Wikipédia, l’encyclopédie libre.
5.A. Hubler : Le gouvernement italien et le racisme http://www.paperblog.fr/2199860/
L'auteur
Chems Eddine Chitour est professeur de thermodynamique à l’Ecole Polytechnique d’Alger . Il est ingénieur en génie chimique de la même école, ingénieur de l’Institut Algérien et de l’Institut Français du pétrole. Il est titulaire d’un Doctorat-Ingénieur de l’Université d’Alger et d’un Doctorat es-Sciences de l’Université Jean Monnet de l’Académie de Lyon (France). Il a été professeur associé à l’Ecole d’Ingénieurs de génie chimique de Toulouse. Le professeur Chitour a fait soutenir plusieurs dizaines de thèses de magister et de doctorat es sciences. Il est l'auteur d’une centaine de publications et de communications scientifiques. Il a, enfin, rédigé plusieurs ouvrages dans le cadre de ses enseignements de chimie physique et de raffinage. Par ailleurs, le professeur Chitour a publié des ouvrages sur l’Energie et les enjeux géostratégiques. Enfin, en pédagogue, il tente d’expliquer l’histoire et les mutations du monde. A ce titre, il a écrit plusieurs essais sur l’histoire de l’Algérie, l’éducation et la culture, la mondialisation, les défis de l’Islam et l’émigration.
Bibliographie :
 1- Algérie, le passé revisité (Essai) - Casbah Editions, Alger, ISBN : 9961641000, 1998 || 2- L'islam et l’Occident chrétien, pour une quête de la tolérance (Histoire) - Casbah Editions, Alger, 2001 || 3- Mondialisation, l’espérance ou le chaos (Essai) - Editions ANEP, Alger, 2002 || 4- Sciences, foi et désenchantement du monde (Essai) - Editions OPU, Alger, 2003


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