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lundi 18 janvier 2010

Egypte : Les dessous du mur de fer


Par Uri Avnery , publié le vendredi 15/1/2010


QUELQUE CHOSE de curieux, presque bizarre, se passe ces jours-ci en Egypte.



Quelque 1400 militants du monde entier s’y sont rassemblés, en route vers la Bande de Gaza. Pour l’anniversaire de la guerre “plomb durci”, ils projetaient de prendre part à une manifestation non-violente contre la poursuite du blocus qui rend insupportable la vie d’un million et demi d’habitants de la Bande.
Au même moment, des manifestations de protestation devaient se dérouler dans de nombreux pays. À Tel-Aviv aussi, une importante protestation était prévue. Le “comité de pilotage” des citoyens arabes d’Israël devait organiser une manifestation à la frontière de Gaza.
Lorsque les militants internationaux sont arrivés en Égypte, une surprise les attendait. Le gouvernement égyptien interdit leur voyage à Gaza. Leurs bus furent arrêtés dans les faubourgs du Caire et durent rebrousser chemin. Des protestataires individuels qui avaient réussi à gagner le Sinaï dans des bus réguliers en furent extraits. Les forces de sécurité égyptiennes menèrent une véritable chasse aux militants.
Les militants en colère firent le siège de leurs ambassades au Caire. Sur la rue en face de l’ambassade de France, un camp de tentes surgit et fut bientôt encerclé par la police égyptienne. Des protestataires américains se rassemblèrent devant leur ambassade et exigèrent de voir l’ambassadeur. Plusieurs protestataires de plus de 70 ans entamèrent une grève de la faim. Partout, les protestataires furent stoppés par des unités d’élite égyptiennes en tenue anti émeute complète, tandis que des camions rouges équipés de canons à eau se tenaient en embuscade derrière eux. Les protestataires qui essayèrent de se rassembler dans le Square Tahrir (libération) furent traités sans ménagement.
À la fin, après une rencontre avec l’épouse du président, on trouva une solution typiquement égyptienne : cent militants furent autorisés à se rendre à Gaza. Les autres restèrent au Caire déconcertés et frustrés.
PENDANT QUE LES manifestants faisaient le pied de grue dans la capitale égyptienne en essayant de trouver le moyen d’exprimer leur colère, Benjamin Netanyahou était reçu dans le palais présidentiel au cœur de la ville. Ses hôtes ne lésinèrent pas pour louer et célébrer sa contribution à la paix, spécialement le “gel” de l’activité de colonisation en Cisjordanie, un geste bidon qui ne concerne pas Jérusalem-Est.
Hosni Moubarak et Netanyahou se sont rencontrés dans le passé – mais pas au Caire. Le président égyptien avait toujours insisté pour que la rencontre ait lieu à Charm-el-Sheikh, aussi loin que possible des centre de population égyptienne. L’invitation au Caire était donc la marque significative de relations de plus en plus proches.
En guise de cadeau spécial à Netanyahou, Moubarak accepta de permettre à des centaines d’Israéliens de venir en Égypte prier sur la tombe de Rabbi Yaakov Abu-Atzeira qui mourut et fut enterré dans la ville égyptienne de Damanhur il y a 130 ans, alors qu’il se rendait du Maroc en Terre Sainte.
Il y a dans cela quelque chose de symbolique : le blocage des protestataires pro-Palestiniens en route vers Gaza au moment même où des Israéliens étaient invités à Damanhour.
ON POURRAIT bien se poser des questions sur la participation égyptienne au blocus de la Bande de Gaza.
Le blocus a commencé longtemps avant que la guerre de Gaza ait transformé la Bande en ce que l’on a décrit comme “la plus grande prison sur la terre”. Le blocus s’applique à tout sauf aux médicaments essentiels et aux denrées alimentaires les plus élémentaires. Le sénateur des États-Unis John Kerry, ancien candidat à la présidence, a été choqué d’entendre que le blocus s’appliquait aux pâtes alimentaires – l’armée israélienne dans sa sagesse a qualifié les nouilles de produit de luxe. Le blocus s’applique à tout – depuis les matériaux de construction jusqu’aux cahiers pour les écoliers. Sauf dans les cas humanitaires les plus extrêmes, personne ne peut se rendre de la bande de Gaza en Israël ou en Cisjordanie, et réciproquement.
Mais Israël ne contrôle que trois côtés de la Bande. Les frontières nord et est sont bloquées par l’armée israélienne, la frontière ouest par la marine israélienne. La quatrième frontière, celle du sud, est contrôlée par l’Égypte. Par conséquent, le blocus serait inefficace sans la participation égyptienne.
À l’évidence, cela n’a pas de sens. L’Égypte se considère comme le leader du monde arabe. C’est le pays arabe le plus peuplé, situé au centre du monde arabe. Il y a cinquante ans le président de l’Égypte, Gamal Abd-el-Nasser, était l’idole de tous les Arabes, en particulier des Palestiniens. Comment l’Égypte peut-elle collaborer avec “l’ennemi sioniste”, comme les Égyptiens appelaient alors Israël, en mettant un million et demi de frères arabes à genoux ?
Jusqu’à une époque récente, le gouvernement égyptien était resté attaché à une solution qui illustre le vieux sens politique égyptien six fois millénaire. Il participait au blocus mais fermait les yeux sur les centaines de tunnels creusés sous la frontière qui sépare l’Égypte de Gaza, par lesquels s’écoulaient les approvisionnements de la population de Gaza (à des prix exorbitants et avec de gros bénéfices pour les commerçants égyptiens), ainsi que le flux d’armes. Les gens aussi les empruntaient, depuis les militants du Hamas jusqu’aux futures mariées.
Ceci est sur le point de changer. L’Égypte a commencé à construire un mur de fer – littéralement – sur toute la longueur de la frontière avec Gaza, consistant en pieux d’acier enfoncés profondément dans le sol de façon à condamner tous les tunnels. Cela finira par étrangler les habitants.

Lorsque le sioniste le plus extrémiste, Vladimir Ze’ev Jabotinsky, écrivait il y a 80 ans sur l’érection d’un “mur de fer” contre les Palestiniens, il n’imaginait pas que des Arabes feraient précisément cela.
POURQUOI les Égyptiens font-ils cela ?
Il y a plusieurs explications. Les cyniques observent que le gouvernement égyptien reçoit une subvention américaine considérable chaque année – presque deux milliards de dollars – avec la permission d’Israël. Cela a commencé en récompense du traité de paix égypto-israélien. Le lobby pro-israélien aux États-Unis peut y mettre fin à tout moment.
D’autres pensent que Moubarak a peur du Hamas. L’organisation a démarré comme la branche palestinienne des Frères Musulmans qui restent la principale opposition à son régime autocratique. L’axe Le Caire-Riyad-Amman-Ramallah fait contrepoids à l’axe Damas-Gaza allié lui-même à l’axe Téhéran-Hezbollah. Beaucoup pensent que Mahmoud Abbas trouve un intérêt au renforcement du blocus de Gaza pour affaiblir le Hamas.
Moubarak est en colère contre le Hamas qui refuse de faire ses quatre volontés. Comme ses prédécesseurs, il exige que les Palestiniens obéissent à ses ordres. Le président Abd-el-Nasser était fâché avec l’OLP (organisation qu’il avait créée pour assurer un contrôle égyptien sur les Palestiniens, contrôle qui lui échappa lorsque Yasser Arafat prit le pouvoir). Le Président Anouar el Sadate s’emporta contre l’OLP pour avoir refusé l’accord de Camp David qui promettait aux Palestiniens une simple “autonomie”. Comment les Palestiniens, un peuple petit et opprimé, ose-t-il refuser le “conseil” du Grand Frère ?
Toutes ces explications ont leur logique et pourtant l’attitude du gouvernement égyptien reste étonnante. Le blocus égyptien de Gaza détruit les vies d’un million et demi d’êtres humain, hommes et femmes, vieillards et enfants, qui pour la plupart ne sont pas des militants du Hamas. Cela se fait publiquement, aux yeux de centaines de millions d’Arabes, d’un milliard et deux cent cinquante millions de musulmans. En Égypte même, des millions de gens éprouvent de la honte en raison de la participation de leur pays à ce qui affame leurs amis arabes.
C’est une politique très dangereuse. Pourquoi Moubarak la mène-t-il ?
LA VÉRITABLE réponse est, probablement, qu’il n’a pas le choix.
L’Égypte est un pays très fier. Quiconque est allé en Égypte sait que même le plus pauvre des Égyptiens est rempli d’orgueil national et se sent facilement insulté lorsque l’on porte atteinte à sa dignité nationale. Cela est encore apparu il y a quelques semaines, lorsque l’Égypte a perdu un match de football contre l’Algérie et a réagi comme si elle avait perdu une guerre.
Soldats, du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent” déclara Napoléon à ses soldats à la veille de la bataille du Caire. Chaque Égyptien a conscience que 6000 – certains disent 8000 – années d’histoire les contemplent en permanence.
Ce profond sentiment se heurte à la réalité à un moment où la situation de l’Égypte devient de plus en plus misérable. L’Arabie Saoudite a plus d’influence, le petit Dubai est devenu un centre financier international, l’Iran est en train de devenir une puissance régionale beaucoup plus importante. Au contraire de l’Iran où les ayatollahs ont appelé les familles à limiter leur progéniture à deux enfants, le taux de natalité égyptien est en train de tout engloutir condamnant le pays à une pauvreté permanente.
Autrefois, l’Égypte réussissait à compenser ses faiblesses internes par des succès extérieurs. Le monde entier considérait l’Égypte comme le leader du monde arabe et la traitait en conséquence. Ce n’est plus le cas.
L’Égypte est dans une mauvaise situation. Voilà pourquoi Moubarak n’a pas d’autre choix que de suivre les injonctions des États-Unis – qui sont en fait des injonctions israéliennes. C’est la véritable explication de sa participation au blocus.
LORSQUE j’ai pris la parole aujourd’hui à la manifestation de Tel-Aviv, après que nous eussions défilé dans les rues pour protester contre le blocus, j’ai évité de faire état de la participation égyptienne à ce blocus.
J’avoue que j’ai beaucoup aimé les gens que j’ai rencontrés au cours de mes visites en Égypte. L’“homme de la rue” est très accueillant. Dans leur comportement les uns à l’égard des autres, il y a une ambiance de tranquillité, une absence d’agressivité, un sens de l’humour spécifique aux Égyptiens. Même les plus pauvres restent dignes dans des conditions de surpeuplement et de misère. Je ne les ai pas entendus se plaindre. Tout au long des milliers d’années de leur histoire, les Égyptiens ne se sont pas révoltés plus de trois ou quatre fois.
Cette patience légendaire comporte aussi son côté négatif. Lorsque les gens acceptent leur sort, cela peut aussi être un obstacle au progrès économique, social et politique.
Il semble que le peuple égyptien soit prêt à tout accepter. Depuis les pharaons des temps anciens jusqu’au pharaon actuel, leurs dirigeants ont rencontré peu d’opposition. Mais un jour peut arriver où l’orgueil national triomphera même de cette patience.
En tant qu’Israélien, je proteste contre le blocus israélien. Si j’étais égyptien, je protesterais contre le blocus égyptien. Comme citoyen de cette planète, je proteste contre les deux.
Article écrit en hébreu et en anglais le 2 janvier 2010, publié sur le site de Gush ShalomTraduit de l’anglais “The Iron Wall” pour l’AFPS : FLPHL

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