Par Ismaël El Manouzi, Almounadil-a, 6/10/2009
Ouarzazate, le 17 septembre 2009, Ismail nous attend á la terrasse d’un café, il vient de faire une nuit de bus depuis Agadir pour faire cet entretien. J’avais plein de questions, connaissant si peu le pays, il les a devancées, en nous faisant une radioscopie précise et organisée de la situation politique marocaine. Voici la retranscription de notre entretien.
Ismail Manouzi est directeur du journal Almounadil-a, revue regroupant depuis 2005 des articles et analyses politiques sur l’actualité politique et les luttes sociales au Maroc.
Propos recueillis par Julien Terrié (Bellaciao)
Le roi du Maroc Mohamed VI, jouit d’une bonne image à l’échelle internationale, il est même surnommé le “Roi des pauvres”, qu’en est-il en réalité ?
C’est vrai que le régime marocain apparaît comme une exception parmi les pays arabes. Hassan II a laissé l’image d’un régime autocratique et moyenâgeux mais qui juste avant sa mort a su se donner un nouveau visage en convoquant un gouvernement, dit « d’alternance », présidé par le secrétaire général de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), le plus grand parti d’opposition reconnu mais aujourd’hui totalement converti au libéralisme et … à la monarchie.
L’actuel roi a continué à travailler la “communication” par des mesures n’ayant aucun coût politique ou économique mais une forte charge symbolique : révision mineure du code de la famille, création de la structure dite « Instance Équité et Réconciliation » pour tourner la page de la répression, permission à la presse de fouiller le passé dictatorial et d’évoquer quelques tabous. Ces mesures, dont la portée a été gonflée par les médias locaux et internationaux constituent, je pense, la base de cette bonne image.
Il est vrai que l’héritage lourd du régime d’Hassan II en matière d’atteinte aux libertés fondamentales, de répression, de paupérisation, mais aussi d’analphabétisme est une raison suffisante pour expliquer les efforts de communication du nouveau roi pour tenter d’absorber le mécontentement populaire grandissant, tout en préservant, malheureusement, son essence autocratique et poursuivant la mise en œuvre des politiques libérales.
Quel est aujourd’hui le rôle de la monarchie ?
La monarchie doit aujourd’hui garantir et renforcer les intérêts des sociétés multinationales et des pays créanciers de la dette externe marocaine grâce aux privatisations et à l’exploitation des ressources naturelles agricoles et minières, notamment bien sûr, le phosphate (le Maroc est le premier producteur mondial de phosphate).
Tout ceci est en lien avec le renforcement de la présence économique de la France avec environ 60 % du total des investissements étrangers au Maroc. L’Espagne est au deuxième rang avec 15 %. Les accords de libre échange doivent permettre l’extension des marchés des multinationales et le démantèlement du tissu économique local. Les risques sont important de voir rapidement exploser le chômage et s’accélérer l’exode rural.
Socialement, la politique de Mohamed VI est comparable à celle de Sarkozy, avec la casse systématique des systèmes de solidarité notamment la CNSS, Caisse Nationale de Sécurité Sociale, la privatisation du système de santé, du système universitaire…
Le rôle du régime marocain au service de la politique de lutte contre le terrorisme s’est accru, principalement à cause de la place importante des Marocains dans les réseaux d’Al Qaïda. D’où, le renforcement de la présence militaire impérialiste dans la région (des exercices militaires de l’OTAN et une base militaire près de Tan-Tan) et l’attribution à la monarchie d’un nouveau rôle de garde-frontières face aux vagues d’immigration des victimes des politiques libérales en Afrique.
Quel impact a, selon toi, la crise au Maroc ?
Pour l’instant, les effets sont indirects : la première ressource financière du pays étant les Marocains Résidants à l’Etranger (MRE), les licenciements en Europe vont certainement avoir un impact sur les chiffres de cette année. En ce qui concerne les sources de revenus internes au pays, dans le textile, 50.000 emplois ont déjà disparu. L’agriculture ne souffre pas trop grâce aux pluies particulièrement exceptionnelles de ces deux dernières années, mais elle reste fragile et dépendante du pluviomètre. L’exportation de Phosphate reste stable. Le chômage des jeunes risque de s’aggraver mais c’est un problème systémique et de longue date, qui est d’ailleurs à l’origine du Mouvement des Jeunes Diplômés au Chômage, véritable bête noire de la monarchie.
Où en est ce mouvement ?
Tout d’abord, il est bon de rappeler que depuis la naissance du mouvement en 1991, Les jeunes n’ont toujours aucune reconnaissance légale ne serait-ce qu’associative, ce qui ne leur permet toujours pas, par exemple, d’avoir de locaux.
Ce mouvement a eu la grande vertu d’éduquer le mouvement social marocain paralysé par la répression et une crise profonde du syndicalisme : ses militants ont été les premiers à ressortir dans la rue, surtout dans les petites villes. Ils ont ainsi réussi à maintenir la pression sur la monarchie pour l’embauche de 35.000 à 40.000 jeunes par an dans la fonction publique. L’apogée du mouvement a été la plus grande manifestation de jeunes à Rabbat en 1999. Ceci a fonctionné jusqu’en 2004. Depuis, le gouvernement et les collectivités locales stoppent les recrutements en divisant les embauches par cinq : ceci a énormément affecté le mouvement et réduit sa base. On assiste depuis à un changement de stratégie en lien avec leur affaiblissement, avec des mobilisations plus locales et parfois plus radicales.
Comme à Sidi Ifni ?
Par exemple. L’énorme mobilisation des jeunes et des habitants d’Ifni a montré une forte détermination de la population. Ifni a cette particularité d’être une petite ville (20.000 habitants) sans activité économique principale. A la suite d’un forum social local, les habitants ont élaborées une plate-forme de revendication et élu un “secrétariat de suivi de la situation” avec des représentants des associations, partis politiques et syndicats.
En 2005, la population a bravé l’interdiction de manifester et l’aile modérée a quitté le secrétariat ce qui a laissé la place à une autogestion salutaire qui a permis le développement de la mobilisation. Les autorités n’ont pas laissé faire, la répression s’est abattue pendant 3h sur la ville, mais les manifestants ont tenu bon, la police s’est retirée et la manifestation a continué pour finir devant le commissariat.
La population a fait preuve d’un immense courage et de dignité. Politiquement, ce fût une nouvelle preuve de l’utilité d’une force politique qui a pris beaucoup d’importance et dans laquelle beaucoup de camarades se sont organisés : ATTAC Maroc.
Il y a eu une nouvelle mobilisation en 2008, l’”intifada d’Ifni”…
Oui, cette fois le mouvement est parti des jeunes non diplômés. La municipalité devait embaucher 8 balayeurs, mais ce sont 800 jeunes qui se sont présentés ! Les 792 non embauchés sont allé bloquer la route entre le port et le village, 12 sont restés par un sit-in improvisé, ils ont tout de suite reçu le soutien de la population, des milliers de gens sont venus aider à bloquer la sortie des camions du port.
Ce qui est surprenant c’est que, d’une part, les autorités n’ont pas réprimé d’emblée et surtout, d’autre part, que les jeunes ont voulu parler directement avec les autorités nationales refusant la légitimité des négociateurs prévus.
Le pouvoir a fini par réagir de façon militaire en encerclant par la mer et par la terre les manifestants. Le 8 juin 2008, la répression a rarement été si violente, les habitants d’ifni ont été victimes de viols et de vols, de pillage d’ordinateurs, de téléphones portables, de bijoux et d’argent. Les forces publiques ont usé de bombes lacrymogènes, de balles de caoutchouc, de pierres et de bâtons contre des manifestations pacifiques. Quatre manifestants sont morts pendant les 3h d’assaut, la police a procédé à 300 arrestations. Les détenus ont été torturés. Tout ces faits ont été listés et dénoncés par l’AMDH : Association Marocaine des Droits Humains, et une campagne nationale et internationale a bien fonctionné notamment sous la forme d’une caravane de solidarité, mais malheureusement le mouvement ne s’est pas étendu.
Et aujourd’hui ?
Une campagne du CADTM a été menée pour la libération de Bara Brahim, un de nos camarade, et de tous les détenus d’Ifni. Brahim est sorti de prison en mai dernier après un an alors qu’il avait été condamné à 10 ans ! Trois autres militants ont été libérés avec lui Azeddine Amahil, Mohamed Lamrani, Mustapha Akesbi, Tous grâce à la campagne de solidarité.
ATTAC Maroc se restructure avec les derniers sortis de prisons et recommence à accumuler des forces. Un “comité du Sit-in” a vu le jour.
Une frange du “secrétariat de suivi de la situation”, la plus proche du pouvoir a proposé une issue politique à la situation et a constitué une liste pour les dernières municipales sous l’étiquette du Parti Socialiste, coquille vide qui a servi de vitrine légale à la liste. Ils viennent de gagner la majorité des sièges. La majorité des élus ne sont malheureusement pas mus par de bonnes intentions, il a parmi eux beaucoup d’arrivistes, mais la population reste sur la position de “donner du temps à nos élus”. Les camarades plus radicaux poussent la population à créer des comités de contrôle des élus.
Ce type de mobilisation populaire paraît de plus en plus fréquente, la ville de Tan Tan avait connu de fortes mobilisations pour la gratuité des soins médicaux mais la monarchie a étouffé l’affaire en octroyant des certificats d’indigence à toute la population.
On a beaucoup parlé de la montée des fondamentalistes religieux sur l’échiquier politique Marocain, où en est-on après le scrutin municipal de 2009 ?
L’existence du Parti de la Justice et du Développement (PJD), le parti représentant la mouvance salafiste, a été longtemps une aubaine pour la monarchie. Ce parti acceptant sans problème les politiques libérales de la Banque Mondiale et du FMI, il a permis à la monarchie de lutter contre la gauche sur leur terrain, par exemple sur les luttes féministes, les courants salafistes mobilisèrent autour de 500.000 personnes contre la lutte du collectif associatif féministe et ses propositions de réforme pour inscrire le droit au divorce, à la garde d’enfant en cas de séparation et à la juste répartition de l’héritage entre hommes et femmes (contraire au Coran) dans la loi.
Le PJD possède une très forte capacité de mobilisation qui en fait la première force politique du pays. Elle est due notamment à une forte implantation parmi les communautés pratiquantes, grâce aux confréries religieuses.
Cela s’est vu clairement dans les mobilisations contre la guerre en Irak et dans le soutien à la Palestine pendant l’attaque sur Gaza (les salafistes représentaient 2/3 du cortège avec beaucoup de femmes et de jeunes contre 1/3 pour la gauche). Pourtant, après les législatives de 2007 et leur défaite, en ayant pourtant obtenu le plus grand nombre de voix avec 10.7%, les salafistes ont du mal à rebondir.
Ils ne représentent plus une force alternative après les expériences désastreuses de leurs élus (un cas de corruption avéré à Meknes, par exemple), et la population les considère de plus en plus comme un parti dans la lignée des autres partis marocains, menteur et corrompu. C’est ce qu’a confirmé le dernier scrutin municipal où le nouveau parti proche du pouvoir PAM (Parti authenticité et modernité) est passé en tête. Il faut préciser que ce scrutin est très difficile à analyser : la participation est tout juste montée à 50% des inscrits, ce qui veut dire, entre les inscrits abstentionnistes et les non-inscrits : environ 80% d’abstention !
Le PJD a refait parler de lui en mobilisant contre un mariage homosexuel, prononcé au Maroc.
Oui, c’est un épiphénomène mais ils en ont fait des tonnes, ils font de même contre la vente d’alcool dans les supermarchés. Ils s’accrochent à des petits événements pour faire parler d’eux, mais leur lutte contre les pratiques “déviantes” de l’islam fatigue beaucoup les marocains. Par ailleurs, pour faire contrepoids aux intégristes, la monarchie promeut depuis peu des pratiques plus souples comme le soufisme. Mais le poids de la religion reste bien présent, et rompre le jeûne du ramadan publiquement est par exemple puni d’emprisonnement selon l’article 222 du code pénal. Les avancées sur les droits de femmes en terme de contraception par exemple se heurtent à la réalité des familles. Etre laïque ici ce n’est pas neutre : c’est s’affronter au quotidien aux textes.
Comment traitez vous la question du Sahara occidental dans votre journal ?
Notre journal et surtout la section politique a laquelle nous appartenons, avons choisi de réagir toujours contre la répression, contre les injustices commises contre les militants du Front Polisario. Par contre, nous n’avons pas une position tranchée sur la question du Sahara. Nous nous positionnons pour l’autodétermination du peuples sahraoui, bien sûr, mais ceci reste très vague.
Au début de notre journal, nous avons évité volontairement la question pour ne pas subir la répression réservée à tous ceux qui évoquent le sujet, nous avons préféré nous consolider avant tout et éviter de finir tous en prison…
Il y a des problèmes politiques que nous discutons, et des questions que nous nous posons comme par exemple : Est-ce une solution de militer pour un état “phosphatier” avec tous les problèmes que cela implique ? (le Sahara occidental abrite les plus grosses réserves de phosphates du monde). Mais nous avons acquis assez de maturité aujourd’hui pour entamer un débat sérieux sur la question.
La situation du Sahara aujourd’hui s’est compliquée, il y a un fossé qui se créé entre les réfugiés de Tildouf qui ont passé 33 ans en camp et les élites du Sahara occidental qui profitent de “privilèges” cédés par le gouvernement, notamment de l’exportation de sable ! Ceci exerce une forte pression sur la base du polissario qui n’a plus de repères clairs après 18 ans de cesser le feu. Il y a encore des actions radicales ciblées contre la police et la répression reste très forte.
Subissez vous une forme de censure dans votre journal ?
Jusqu’à présent nous écrivons ce que nous voulons, la censure ne nous est pas tombée dessus à proprement parler, nous donnons l’actualité très précise et fine du mouvement syndical et social marocain. Nous ne nommons pas expressément le roi pour ne pas tomber sous le coup de la loi, mais nous parlons du “gouvernement” ou de la “monarchie” … On s’adapte.
Nous tirons à 3000 exemplaires et nous faisons essentiellement une vente militante évidemment sans subvention. Notre site est aussi un des sites politiques marocains les plus visités et nous mettons en ligne des oeuvres classiques en arabe, nous fournissons notamment le site marxisme.org en traductions.
La diffusion de certains de nos articles traduits se font en France dans le magazine Inprecor ou sur le site Europe Solidaire Sans Frontière, on l’espère rapidement dans la nouvelle revue “Contretemps”.
Votre groupe politique est-il constitué officiellement ?
Non, pas réellement, nous nous organisons autour du journal. Pour nous déclarer en tant que force politique il faudrait accepter officiellement les trois piliers du régime : La monarchie, l’islam et l’unité nationale… 3 choses qui nous posent problème ! Quand nous serons plus costauds, nous aurons le rapport de force suffisant pour que ces formalités ne nous coûtent rien politiquement.
Tentez-vous des alliances avec d’autres groupes de gauche radicale pour peser plus sur la situation?
Oui, nous avons entamé un débat avec une organisation nommée Voix Démocratique qui se classe elle même dans le camp de la gauche radicale. Ce parti est issu d’une scission du parti de Serfaty ‘Ila Al Amame’ (“en avant” en arabe), mais en a gardé les pratiques internes peu enclines à la contradiction, nous avons toujours eu un rapport très tendu avec eux politiquement et dans les luttes.
Nous souhaitons discuter avec eux car, malgré tout, beaucoup de choses nous rassemblent. Nous devons clarifier avec eux des thèmes importants notamment notre stratégie dans les organisations syndicales. Alors que nous tentons d’organiser les syndicalistes “luttes de classe” dans les syndicats, les cadres de VD prennent les postes à responsabilité en faisant d’énormes concessions aux bureaucrates. Ceci pose problème très souvent et nous pensons qu’il faut que l’on ait une discussion franche avec eux.
VD a souvent eu une stratégie d’alliance de toute la gauche mais commence à se positionner pour l‘union de la gauche radicale, alors nous disons “chiche” !
Nous voulons sincèrement avoir le débat avec eux pour, qui sait, avancer sur une alliance sérieuse et solide dans les luttes et sur des événements politiques concrets. Nous avons été déçus par l’inefficacité d’une alliance qui a eu lieu entre VD et le Parti d’Avant-garde Démocratique et Socialiste PADS qui n’a rien donné de concret… Les luttes courageuses du peuple marocain méritent mieux que ça
Source : Rien n’est à eux
Ouarzazate, le 17 septembre 2009, Ismail nous attend á la terrasse d’un café, il vient de faire une nuit de bus depuis Agadir pour faire cet entretien. J’avais plein de questions, connaissant si peu le pays, il les a devancées, en nous faisant une radioscopie précise et organisée de la situation politique marocaine. Voici la retranscription de notre entretien.
Ismail Manouzi est directeur du journal Almounadil-a, revue regroupant depuis 2005 des articles et analyses politiques sur l’actualité politique et les luttes sociales au Maroc.
Propos recueillis par Julien Terrié (Bellaciao)
Le roi du Maroc Mohamed VI, jouit d’une bonne image à l’échelle internationale, il est même surnommé le “Roi des pauvres”, qu’en est-il en réalité ?
C’est vrai que le régime marocain apparaît comme une exception parmi les pays arabes. Hassan II a laissé l’image d’un régime autocratique et moyenâgeux mais qui juste avant sa mort a su se donner un nouveau visage en convoquant un gouvernement, dit « d’alternance », présidé par le secrétaire général de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), le plus grand parti d’opposition reconnu mais aujourd’hui totalement converti au libéralisme et … à la monarchie.
L’actuel roi a continué à travailler la “communication” par des mesures n’ayant aucun coût politique ou économique mais une forte charge symbolique : révision mineure du code de la famille, création de la structure dite « Instance Équité et Réconciliation » pour tourner la page de la répression, permission à la presse de fouiller le passé dictatorial et d’évoquer quelques tabous. Ces mesures, dont la portée a été gonflée par les médias locaux et internationaux constituent, je pense, la base de cette bonne image.
Il est vrai que l’héritage lourd du régime d’Hassan II en matière d’atteinte aux libertés fondamentales, de répression, de paupérisation, mais aussi d’analphabétisme est une raison suffisante pour expliquer les efforts de communication du nouveau roi pour tenter d’absorber le mécontentement populaire grandissant, tout en préservant, malheureusement, son essence autocratique et poursuivant la mise en œuvre des politiques libérales.
Quel est aujourd’hui le rôle de la monarchie ?
La monarchie doit aujourd’hui garantir et renforcer les intérêts des sociétés multinationales et des pays créanciers de la dette externe marocaine grâce aux privatisations et à l’exploitation des ressources naturelles agricoles et minières, notamment bien sûr, le phosphate (le Maroc est le premier producteur mondial de phosphate).
Tout ceci est en lien avec le renforcement de la présence économique de la France avec environ 60 % du total des investissements étrangers au Maroc. L’Espagne est au deuxième rang avec 15 %. Les accords de libre échange doivent permettre l’extension des marchés des multinationales et le démantèlement du tissu économique local. Les risques sont important de voir rapidement exploser le chômage et s’accélérer l’exode rural.
Socialement, la politique de Mohamed VI est comparable à celle de Sarkozy, avec la casse systématique des systèmes de solidarité notamment la CNSS, Caisse Nationale de Sécurité Sociale, la privatisation du système de santé, du système universitaire…
Le rôle du régime marocain au service de la politique de lutte contre le terrorisme s’est accru, principalement à cause de la place importante des Marocains dans les réseaux d’Al Qaïda. D’où, le renforcement de la présence militaire impérialiste dans la région (des exercices militaires de l’OTAN et une base militaire près de Tan-Tan) et l’attribution à la monarchie d’un nouveau rôle de garde-frontières face aux vagues d’immigration des victimes des politiques libérales en Afrique.
Quel impact a, selon toi, la crise au Maroc ?
Pour l’instant, les effets sont indirects : la première ressource financière du pays étant les Marocains Résidants à l’Etranger (MRE), les licenciements en Europe vont certainement avoir un impact sur les chiffres de cette année. En ce qui concerne les sources de revenus internes au pays, dans le textile, 50.000 emplois ont déjà disparu. L’agriculture ne souffre pas trop grâce aux pluies particulièrement exceptionnelles de ces deux dernières années, mais elle reste fragile et dépendante du pluviomètre. L’exportation de Phosphate reste stable. Le chômage des jeunes risque de s’aggraver mais c’est un problème systémique et de longue date, qui est d’ailleurs à l’origine du Mouvement des Jeunes Diplômés au Chômage, véritable bête noire de la monarchie.
Où en est ce mouvement ?
Tout d’abord, il est bon de rappeler que depuis la naissance du mouvement en 1991, Les jeunes n’ont toujours aucune reconnaissance légale ne serait-ce qu’associative, ce qui ne leur permet toujours pas, par exemple, d’avoir de locaux.
Ce mouvement a eu la grande vertu d’éduquer le mouvement social marocain paralysé par la répression et une crise profonde du syndicalisme : ses militants ont été les premiers à ressortir dans la rue, surtout dans les petites villes. Ils ont ainsi réussi à maintenir la pression sur la monarchie pour l’embauche de 35.000 à 40.000 jeunes par an dans la fonction publique. L’apogée du mouvement a été la plus grande manifestation de jeunes à Rabbat en 1999. Ceci a fonctionné jusqu’en 2004. Depuis, le gouvernement et les collectivités locales stoppent les recrutements en divisant les embauches par cinq : ceci a énormément affecté le mouvement et réduit sa base. On assiste depuis à un changement de stratégie en lien avec leur affaiblissement, avec des mobilisations plus locales et parfois plus radicales.
Comme à Sidi Ifni ?
Par exemple. L’énorme mobilisation des jeunes et des habitants d’Ifni a montré une forte détermination de la population. Ifni a cette particularité d’être une petite ville (20.000 habitants) sans activité économique principale. A la suite d’un forum social local, les habitants ont élaborées une plate-forme de revendication et élu un “secrétariat de suivi de la situation” avec des représentants des associations, partis politiques et syndicats.
En 2005, la population a bravé l’interdiction de manifester et l’aile modérée a quitté le secrétariat ce qui a laissé la place à une autogestion salutaire qui a permis le développement de la mobilisation. Les autorités n’ont pas laissé faire, la répression s’est abattue pendant 3h sur la ville, mais les manifestants ont tenu bon, la police s’est retirée et la manifestation a continué pour finir devant le commissariat.
La population a fait preuve d’un immense courage et de dignité. Politiquement, ce fût une nouvelle preuve de l’utilité d’une force politique qui a pris beaucoup d’importance et dans laquelle beaucoup de camarades se sont organisés : ATTAC Maroc.
Il y a eu une nouvelle mobilisation en 2008, l’”intifada d’Ifni”…
Oui, cette fois le mouvement est parti des jeunes non diplômés. La municipalité devait embaucher 8 balayeurs, mais ce sont 800 jeunes qui se sont présentés ! Les 792 non embauchés sont allé bloquer la route entre le port et le village, 12 sont restés par un sit-in improvisé, ils ont tout de suite reçu le soutien de la population, des milliers de gens sont venus aider à bloquer la sortie des camions du port.
Ce qui est surprenant c’est que, d’une part, les autorités n’ont pas réprimé d’emblée et surtout, d’autre part, que les jeunes ont voulu parler directement avec les autorités nationales refusant la légitimité des négociateurs prévus.
Le pouvoir a fini par réagir de façon militaire en encerclant par la mer et par la terre les manifestants. Le 8 juin 2008, la répression a rarement été si violente, les habitants d’ifni ont été victimes de viols et de vols, de pillage d’ordinateurs, de téléphones portables, de bijoux et d’argent. Les forces publiques ont usé de bombes lacrymogènes, de balles de caoutchouc, de pierres et de bâtons contre des manifestations pacifiques. Quatre manifestants sont morts pendant les 3h d’assaut, la police a procédé à 300 arrestations. Les détenus ont été torturés. Tout ces faits ont été listés et dénoncés par l’AMDH : Association Marocaine des Droits Humains, et une campagne nationale et internationale a bien fonctionné notamment sous la forme d’une caravane de solidarité, mais malheureusement le mouvement ne s’est pas étendu.
Et aujourd’hui ?
Une campagne du CADTM a été menée pour la libération de Bara Brahim, un de nos camarade, et de tous les détenus d’Ifni. Brahim est sorti de prison en mai dernier après un an alors qu’il avait été condamné à 10 ans ! Trois autres militants ont été libérés avec lui Azeddine Amahil, Mohamed Lamrani, Mustapha Akesbi, Tous grâce à la campagne de solidarité.
ATTAC Maroc se restructure avec les derniers sortis de prisons et recommence à accumuler des forces. Un “comité du Sit-in” a vu le jour.
Une frange du “secrétariat de suivi de la situation”, la plus proche du pouvoir a proposé une issue politique à la situation et a constitué une liste pour les dernières municipales sous l’étiquette du Parti Socialiste, coquille vide qui a servi de vitrine légale à la liste. Ils viennent de gagner la majorité des sièges. La majorité des élus ne sont malheureusement pas mus par de bonnes intentions, il a parmi eux beaucoup d’arrivistes, mais la population reste sur la position de “donner du temps à nos élus”. Les camarades plus radicaux poussent la population à créer des comités de contrôle des élus.
Ce type de mobilisation populaire paraît de plus en plus fréquente, la ville de Tan Tan avait connu de fortes mobilisations pour la gratuité des soins médicaux mais la monarchie a étouffé l’affaire en octroyant des certificats d’indigence à toute la population.
On a beaucoup parlé de la montée des fondamentalistes religieux sur l’échiquier politique Marocain, où en est-on après le scrutin municipal de 2009 ?
L’existence du Parti de la Justice et du Développement (PJD), le parti représentant la mouvance salafiste, a été longtemps une aubaine pour la monarchie. Ce parti acceptant sans problème les politiques libérales de la Banque Mondiale et du FMI, il a permis à la monarchie de lutter contre la gauche sur leur terrain, par exemple sur les luttes féministes, les courants salafistes mobilisèrent autour de 500.000 personnes contre la lutte du collectif associatif féministe et ses propositions de réforme pour inscrire le droit au divorce, à la garde d’enfant en cas de séparation et à la juste répartition de l’héritage entre hommes et femmes (contraire au Coran) dans la loi.
Le PJD possède une très forte capacité de mobilisation qui en fait la première force politique du pays. Elle est due notamment à une forte implantation parmi les communautés pratiquantes, grâce aux confréries religieuses.
Cela s’est vu clairement dans les mobilisations contre la guerre en Irak et dans le soutien à la Palestine pendant l’attaque sur Gaza (les salafistes représentaient 2/3 du cortège avec beaucoup de femmes et de jeunes contre 1/3 pour la gauche). Pourtant, après les législatives de 2007 et leur défaite, en ayant pourtant obtenu le plus grand nombre de voix avec 10.7%, les salafistes ont du mal à rebondir.
Ils ne représentent plus une force alternative après les expériences désastreuses de leurs élus (un cas de corruption avéré à Meknes, par exemple), et la population les considère de plus en plus comme un parti dans la lignée des autres partis marocains, menteur et corrompu. C’est ce qu’a confirmé le dernier scrutin municipal où le nouveau parti proche du pouvoir PAM (Parti authenticité et modernité) est passé en tête. Il faut préciser que ce scrutin est très difficile à analyser : la participation est tout juste montée à 50% des inscrits, ce qui veut dire, entre les inscrits abstentionnistes et les non-inscrits : environ 80% d’abstention !
Le PJD a refait parler de lui en mobilisant contre un mariage homosexuel, prononcé au Maroc.
Oui, c’est un épiphénomène mais ils en ont fait des tonnes, ils font de même contre la vente d’alcool dans les supermarchés. Ils s’accrochent à des petits événements pour faire parler d’eux, mais leur lutte contre les pratiques “déviantes” de l’islam fatigue beaucoup les marocains. Par ailleurs, pour faire contrepoids aux intégristes, la monarchie promeut depuis peu des pratiques plus souples comme le soufisme. Mais le poids de la religion reste bien présent, et rompre le jeûne du ramadan publiquement est par exemple puni d’emprisonnement selon l’article 222 du code pénal. Les avancées sur les droits de femmes en terme de contraception par exemple se heurtent à la réalité des familles. Etre laïque ici ce n’est pas neutre : c’est s’affronter au quotidien aux textes.
Comment traitez vous la question du Sahara occidental dans votre journal ?
Notre journal et surtout la section politique a laquelle nous appartenons, avons choisi de réagir toujours contre la répression, contre les injustices commises contre les militants du Front Polisario. Par contre, nous n’avons pas une position tranchée sur la question du Sahara. Nous nous positionnons pour l’autodétermination du peuples sahraoui, bien sûr, mais ceci reste très vague.
Au début de notre journal, nous avons évité volontairement la question pour ne pas subir la répression réservée à tous ceux qui évoquent le sujet, nous avons préféré nous consolider avant tout et éviter de finir tous en prison…
Il y a des problèmes politiques que nous discutons, et des questions que nous nous posons comme par exemple : Est-ce une solution de militer pour un état “phosphatier” avec tous les problèmes que cela implique ? (le Sahara occidental abrite les plus grosses réserves de phosphates du monde). Mais nous avons acquis assez de maturité aujourd’hui pour entamer un débat sérieux sur la question.
La situation du Sahara aujourd’hui s’est compliquée, il y a un fossé qui se créé entre les réfugiés de Tildouf qui ont passé 33 ans en camp et les élites du Sahara occidental qui profitent de “privilèges” cédés par le gouvernement, notamment de l’exportation de sable ! Ceci exerce une forte pression sur la base du polissario qui n’a plus de repères clairs après 18 ans de cesser le feu. Il y a encore des actions radicales ciblées contre la police et la répression reste très forte.
Subissez vous une forme de censure dans votre journal ?
Jusqu’à présent nous écrivons ce que nous voulons, la censure ne nous est pas tombée dessus à proprement parler, nous donnons l’actualité très précise et fine du mouvement syndical et social marocain. Nous ne nommons pas expressément le roi pour ne pas tomber sous le coup de la loi, mais nous parlons du “gouvernement” ou de la “monarchie” … On s’adapte.
Nous tirons à 3000 exemplaires et nous faisons essentiellement une vente militante évidemment sans subvention. Notre site est aussi un des sites politiques marocains les plus visités et nous mettons en ligne des oeuvres classiques en arabe, nous fournissons notamment le site marxisme.org en traductions.
La diffusion de certains de nos articles traduits se font en France dans le magazine Inprecor ou sur le site Europe Solidaire Sans Frontière, on l’espère rapidement dans la nouvelle revue “Contretemps”.
Votre groupe politique est-il constitué officiellement ?
Non, pas réellement, nous nous organisons autour du journal. Pour nous déclarer en tant que force politique il faudrait accepter officiellement les trois piliers du régime : La monarchie, l’islam et l’unité nationale… 3 choses qui nous posent problème ! Quand nous serons plus costauds, nous aurons le rapport de force suffisant pour que ces formalités ne nous coûtent rien politiquement.
Tentez-vous des alliances avec d’autres groupes de gauche radicale pour peser plus sur la situation?
Oui, nous avons entamé un débat avec une organisation nommée Voix Démocratique qui se classe elle même dans le camp de la gauche radicale. Ce parti est issu d’une scission du parti de Serfaty ‘Ila Al Amame’ (“en avant” en arabe), mais en a gardé les pratiques internes peu enclines à la contradiction, nous avons toujours eu un rapport très tendu avec eux politiquement et dans les luttes.
Nous souhaitons discuter avec eux car, malgré tout, beaucoup de choses nous rassemblent. Nous devons clarifier avec eux des thèmes importants notamment notre stratégie dans les organisations syndicales. Alors que nous tentons d’organiser les syndicalistes “luttes de classe” dans les syndicats, les cadres de VD prennent les postes à responsabilité en faisant d’énormes concessions aux bureaucrates. Ceci pose problème très souvent et nous pensons qu’il faut que l’on ait une discussion franche avec eux.
VD a souvent eu une stratégie d’alliance de toute la gauche mais commence à se positionner pour l‘union de la gauche radicale, alors nous disons “chiche” !
Nous voulons sincèrement avoir le débat avec eux pour, qui sait, avancer sur une alliance sérieuse et solide dans les luttes et sur des événements politiques concrets. Nous avons été déçus par l’inefficacité d’une alliance qui a eu lieu entre VD et le Parti d’Avant-garde Démocratique et Socialiste PADS qui n’a rien donné de concret… Les luttes courageuses du peuple marocain méritent mieux que ça
Source : Rien n’est à eux
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