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lundi 29 juin 2009

Adieu l'ami

par Khalid Jamai
Le dernier adieu
Des voix s’élèvent tout d’un coup dans cette après midi où le temps semblait s’être figé.
Des voix qui entonnent un chant jailli du fond des cellules de Derb Moulay Chrif, du fond des celles de la prison central de Kénitra.
Un chant pétri de mots forgés dans la douleur, dans la souffrance, dans l’espoir au plus fort des années de plomb, écrit par des militants venus d’Azrou, dans les années 70.

« Camarades, nous avons rendez-vous,
Rendez-vous que nous ne raterons pas.
Dans nos rangs, les masses se tiennent à nos côtés.
Et la main tendue de la lutte qui nous invite.
Nous l’allumerons révolution dans les collines, dans les montagnes.
Révolution que nous ferons éclore sur chaque pouce de terrain.
Rien ne peut venir à bout de la volonté d’un peuple.
Ni la prison, ni les dangers ne nous font peur.
Les tyrans du régime ont fait leur temps.
Et, déjà pointe leur crépuscule ».

Chant clamé par les militants d’ « Ila Al Amam » et de « 23 Mars », victimes de la répression sauvage des années 70 et 80, venus rendre un dernier hommage à un des leurs. Un homme d’une rigueur, d’une rectitude, d’une honnêteté sans faille. Un homme nommé Abdel Fettah Fakihani.
1949 fut l’année qui le vit naître, celle de 1972, celle où il fut enlevé et torturé une première fois.
Il n’avait que 23 printemps, âge où il fut condamné à perpétuité… plus deux années pour outrage à magistrat !
Leurs mémoires remontent le temps : déjà prés de quarante années. Ils étaient jeunes et rêvaient d’une révolution qui enfanterait un monde meilleur et un Maroc où régneraient la justice, l’égalité, la démocratie, la liberté, la dignité.
Et qu’importait le prix à payer.


Et le prix fut des plus exorbitants.
Fakahani et ses camarades subirent les pires tortures, les pires humiliations par un même tortionnaire en chef, Youssfi Kaddour, aujourd’hui libre comme le vent, jouissant d’une impunité totale et d’une retraite confortable pour " sévices rendus."
Abdel Fattah faillit perdre l’usage de ses deux pieds, résultat d’infections purulentes causées par de terribles séances de falaka.
Il en emportera les stigmates jusqu’à la fin de ses jours.
Il mena, toujours, avec ses camarades, pour arracher quelques droits élémentaires et le statut de prisonniers politiques, de longues grèves de la faim.
Saida Mnbhi naquit, elle aussi, à Marrakech, en 1952 et fut arrêtée, pour appartenance à « Il Al Amam » en 1976.
24 ans, presque le même âge que Fakahani, Elle « séjourna » au centre de Derb Moulay Chrif où elle subit , elle aussi, les pires tortures, par les sbires du même Youssfi Kaddour et fut condamnée à cinq ans …plus deux ans pour…outrage à magistrat !
Avec tous ses compagnons, elle observa une première grève de faim pour que le procès ait lieu .La seconde, durant le procès, pour protester contre les violations des droits de la défense et des inculpés, et la dernière, entamée le 8 novembre 1977, dura 40 jours pour réclamer le statut de prisonnier politique et des conditions humaines de détention. Le 11 décembre 1977, elle meurt à l’âge de 25 ans.
Du fond de son calvaire, avec des mots-pierres, elle écrivit


« La prison, c’est laid
Tu la dessines, mon enfant
Avec des traits noirs
Des barreaux et des grilles
Tu imagines que c’est un lieu sans lumière
Qui fait peur aux petits
Aussi pour t’indiquer
Tu dis que c’est là-bas
Et tu montres avec ton petit doigt
Un point, un coin perdu
Que tu ne vois pas
Peut être, la maîtresse t’a parlé
De prison hideuse
Que tu ne vois pas
Peut-être la maîtresse t’a parlé
De maison de correction
Où l’on met les méchants
Qui volent les enfants
Dans ta petite tête
S’est alors posée une question
Comment et pourquoi
Moi qui suis pleine d’amour pour toi
Et tous les autres enfants
Suis-je là-bas ?
Pour que demain
La prison ne soit plus là »


Comme Fakahani, Saida, Zahra Boudkour, née un 28 novembre 1987 à Zagora, mena une grève de plus de 40 jours pour réclamer le statut du prisonnier politique et des conditions humaines de détention.
Un même combat. Un même adversaire.
Aujourd’hui, elle souffre de toutes sortes de maladies, conséquences des tortures subies et des conditions moyennes âgeuses de son incarcération.
« Ce n’est pas le système qui nous juge, ce sont nous qui le jugeons», ne cesse t-elle pas de répéter.
Il est 18 h. Nous sommes au cimetière des « chouhadas ». La tombe est béante. Elle attend notre ami, elle attend une partie de nous même.
L’épopée se poursuivra, se poursuit ; ses héros avaient, hier, pour noms : Mohamed Bennouna, Fakahani, Saida Mnbhi et de centaines d’autres.
Aujourd’hui, elle a pour nom Zahra Boudkour et ses amis.
Dans une lettre adressée à ses amies, du fond de sa cellule elle écrit : « Nous forgerons un chemin pour des lendemains meilleurs. Le chemin de la victoire sera long, périlleux, mais, nous l’emprunterons car telle est la loi de l’Histoire. L’arbre que nous avons planté donne déjà ses fruits… », Et de citer ces vers de Mahmoud Darwich : « Nous sommes ceux qui naissent sous les arbres, sous la pluie, de la pierre, des défaites. Toujours des nouveaux nés. Depuis le début, nous naissons et renaissons sans fin ».Un cri d’espoir qui rejoint celui Fakahani, près de 40 années plus tard.
Adieu l’ami, nous hériterons de ton livre testament : « Le couloir ». Et d’un sous titre : « Des bribes de vérités sur les années de plomb ».
Des bribes, car ces années perdurent. Et la lutte aussi.

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