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samedi 12 mars 2016

Mustapha Ramid: «Le Maroc n'est pas un enfer des droits de l'homme, ni un paradis»

Alors que de nombreuses ONG tirent la sonnette d'alarme sur une nouvelle vague de détentions, le ministre de la justice et des libertés marocain, issu de l'aile dure du parti islamiste PJD, réfute les accusations tout en admettant que la torture existe dans son pays.
  De notre correspondante à Rabat (Maroc). 
Il y a dix ans, Mustapha Ramid recevait avec plaisir les journalistes. L'ancien avocat, qui défendait les salafistes incarcérés dans la foulée des attentats du 16 mai 2003, accordait de longues interviews pour défendre les idées de son parti, alors décrié, le Parti islamiste de la justice et du développement (PJD). Depuis qu'il est devenu ministre de la justice et des libertés, il se fait plus rare dans les médias.
À la tête de ce ministère depuis quatre ans, Mustapha Ramid a traversé non sans habileté plusieurs zones de turbulences : la gestion politique du mouvement de protestation du 20-Février, la libération des détenus salafistes, la grâce royale contestée du pédophile Daniel Galvan et plus récemment la crise franco-marocaine née au lendemain de la convocation de Abdellatif Hammouchi, le directeur général de la sûreté nationale, à la suite de plaintes pour torture en France. Et ce d’autant plus qu'il a souvent dû jouer un rôle éloigné, opposé même, à celui qu'il tenait juste avant l'arrivée aux affaires de son parti, en janvier 2012.
Ramid est issu de l'aile dure du Parti islamiste de la justice et du développement (PJD). Il a passé sa jeunesse à la Chabiba Islamiya, la jeunesse islamique, et sera par la suite élu député. Les principes qu'il défend – comme ceux qu'il refuse de défendre (dépénalisation de l'homosexualité, liberté de conscience) – font régulièrement bondir la frange moderniste de l'élite marocaine. Il est d'ailleurs polygame et l'assume publiquement. L'été dernier, son avant-projet de code pénal avait suscité une vive polémique, essentiellement les articles liés aux libertés individuelles.
Mais ce ne sont pas uniquement ces sujets qui nourrissent les griefs de ses détracteurs. C'est surtout son bilan – ainsi que celui du gouvernement auquel il appartient – dans le domaine des droits humains qui suscite de nombreuses critiques. Ramid le défend avec fermeté. Il justifie notamment l'incarcération de militants du Mouvement 20-Février comme le rappeur Mouad Lhaqed, condamnés officiellement pour des faits de droit commun, et prétend qu'aucun détenu n'est actuellement condamné pour ses opinions. Pourtant, il avait répondu à l'appel des jeunes du 20-Février dès leur première manifestation, le 20 février 2011, en tenant une banderole régulièrement rappelée par ses détracteurs : « Pas de réelle démocratie sans monarchie parlementaire. » Son parti s'est approprié l'une des revendications principales du mouvement : la lutte contre la corruption.
Depuis l'affaiblissement du mouvement, les défenseurs des droits humains tirent la sonnette d'alarme quant à une nouvelle vague de détentions. Plusieurs rapports d'ONG internationales (Amnesty International, Association marocaine des droits humains, Human Rights Watch) affirment que la détention politique persiste et que des procès inéquitables ont encore lieu. Le mois dernier, la représentante d'Avocats sans frontières a d'ailleurs été expulsée, et ce après la publication d'un rapport sur le procès d'un activiste.
Ramid réfute catégoriquement ces accusations. Les rapports de l’ONG Amnesty International, qui n'est plus en odeur de sainteté depuis qu'elle a ciblé le Maroc dans une campagne contre la torture, sont « manipulés », d’après lui. « Il n'y a pas de régression, il y a des problèmes », dit-il. Le Maroc « n'est ni l'enfer ni le paradis des droits de l'homme ». Il admet toutefois que la torture persiste, mais « plus de façon systématique » comme par le passé.
Mercredi 24 février 2016, Mustapha Ramid a accepté – difficilement – de répondre à nos questions. L'entretien, très bref, était tendu. Il s’est déroulé en la présence de son directeur de cabinet, son conseiller, et son conseiller chargé des droits de l’homme.
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Mustapha Ramid © Radio Orient

Aujourd'hui a lieu une grève générale (avec un taux de participation de 84 pour cent, d’après les syndicats). Que pouvez-vous nous dire de la situation sociale au Maroc ?
 Mustapha Ramid. La grève est un droit légitime garanti pour tous les citoyens. Nous n'avons pas de problème avec ça, mais nous ne comprenons pas les motivations de la grève. Ce qui a été présenté n'a rien à voir avec la réalité. Il y a un dialogue social entre les syndicats et le gouvernement et il n'y a pas de rupture. Les syndicats veulent montrer qu'ils existent. Surtout qu'il y a un projet de loi concernant les retraites. Ils veulent montrer leur opposition.

L'ONG Human Rights Watch vient de lancer une campagne contre la violence domestique au Maroc et appelle les autorités à adopter des lois qui protégeraient efficacement les victimes. Un projet de loi est bloqué depuis trois ans. Pouvez-vous nous donner une date pour ce projet de loi ?
Le projet de loi va voir le jour dans les semaines qui viennent. C'est ce que je crois…

Qu'est-ce qui vous permet d'avancer cela ?
Je suis quand même ministre ! Et puis j'ai participé à l'élaboration du projet de loi. Il doit être transféré au gouvernement depuis trois ans, mais parce qu'il y a des positions contradictoires entre ceux qui veulent une loi très progressiste allant jusqu'à la pénalisation de tous les actes commis par les hommes envers les femmes, et ceux qui soutiennent une position conservatrice et qui veulent le statu quo. Nous avons eu des difficultés à trouver un projet de loi équilibré.

Où vous situez-vous sur ce sujet ?
Je ne suis ni d'un côté, ni de l'autre. Je suis du juste milieu.

Oui, la torture existe mais de façon exceptionnelle et non systématique

Êtes-vous un ministre rétrograde ?
Je ne suis ni rétrograde, ni progressiste.

Pour poursuivre sur ce sujet, le viol conjugal n'est toujours pas pénalisé au Maroc.
Je ne vois pas comment pénaliser des actes intimes entre hommes et femmes qui ne peuvent pas être définis ou prouvés. Si cela prend l'image de la violence, c'est déjà pénalisé dans la loi actuelle. Si la femme n'accepte pas le désir de son mari, si elle ne l'aime pas, c'est plus facile pour elle de divorcer que d'aller porter plainte à la police. Pourquoi y a-t-il de la violence ? Un homme demande une relation, la femme ne veut pas, alors l'homme l'oblige. Pourquoi en arriver là ? Ou la femme accepte la façon de mener les choses de son mari, ou elle le quitte.

Plusieurs rapports critiques émanant d'ONG des droits de l'homme ont été récemment publiés. Le Maroc connaît-il une régression dans ce domaine ?
Pas du tout. J'ai rencontré le secrétaire général d'Amnesty International. J'ai démontré que le Maroc n'était pas un enfer des droits de l'homme, ni un paradis. Il n'y a pas de régression, il y a des problèmes.

Vous avez tout de même expulsé deux membres d'Amnesty International du Maroc.
Il faut savoir que c'était une réaction à la campagne d'Amnesty International contre la torture, parce que le Maroc n'est pas un pays qu'on va classer avec les autres pays ciblés [le Mexique, les Philippines, le Nigeria, l'Ouzbékistan – ndlr]. Nous avons tout de même pris l'initiative du dialogue. Nous avons voyagé à Londres avec une délégation importante. Nous avons convoqué le secrétaire général au Maroc et nous avons dit que les rapports d'Amnesty étaient manipulés.

Mais la torture persiste au Maroc…
Oui, elle existe mais de façon exceptionnelle et non systématique. Et nous essayons de l'éradiquer. Des dossiers pénaux ont été ouverts contre les fonctionnaires tortionnaires.  

Le Maroc est présenté comme une exception dans la région, en opposition aux pays devenus instables après le printemps arabe. Mais n'est-ce pas la Tunisie, plutôt, l'exception ?
Nous espérons que tout le monde arabe fasse l'exception, pas le Maroc ou la Tunisie. Par ailleurs, la Tunisie n'est pas sortie de la tourmente.

Le Maroc non plus, par certains aspects.
Nous sommes un pays très stable.

Il y a néanmoins une régression démocratique, d'après plusieurs ONG.
Ah bon ! Qui a dit ça ?! Les ONG ont raison de hausser la barre. Si j'étais activiste, je dirais la même chose.

Vous l'étiez, avant.
Oui, madame ! La réalité d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier. Nous avons progressé. Il y a zéro enlèvements arbitraires. Tous les actes de torture que nous pouvons détecter sont réprimés. Il n'y a pas un seul prisonnier d'opinion.

D'après plusieurs ONG, pourtant, plusieurs dizaines de détenus d'opinion seraient actuellement incarcérés.
Donnez-nous des exemples.

Ils citent les exemples du rappeur Mouad Lhaqed, Ali Anouzla, des militants du Mouvement 20-Février.
Et à cet instant, pouvez-vous me citer un exemple ?

Les détenus de l'Union nationale des étudiants marocains (UNEM), incarcérés dans plusieurs villes du Maroc.
Est-ce que Lhaqed était un détenu politique ? Dire que les policiers sont des chiens, est-ce la liberté d'opinion ? Soyez raisonnable !

Ils ont été victimes de procès décrits comme inéquitables par de nombreux observateurs. J'ai moi-même assisté à certains procès.
[Le déroulement des procès], c'est l'affaire de la justice.

Vous êtes le ministre de la justice.
Il y a l'intervention d'autres responsables, pas la mienne. Qu'est-ce que je peux y faire ? Je ne peux pas intervenir.

La coopération judiciaire franco-marocaine a repris après un an d'interruption, à la suite de plaintes pour torture contre Abdellatif Hammouchi. Pouvez-vous nous dire où en sont les plaintes ? Ont-elles été transmises au Maroc ?
 Des plaintes ont été transmises ici. Des enquêtes ont été ouvertes. En général, des enquêtes sur ce qui a été transmis par la France.



Des procès auront-ils lieu au Maroc ?
S'il le faut, il y aura des procès.

Des procès équitables ?
C'est ce que j'espère.

Une dernière question : allez-vous vous présenter à la tête du PJD ? Voulez-vous devenir chef de gouvernement ?
Non, je ne le veux pas.

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