Alors que de
nombreuses ONG tirent la sonnette d'alarme sur une nouvelle vague de
détentions, le ministre de la justice et des libertés marocain, issu de
l'aile dure du parti islamiste PJD, réfute les accusations tout en
admettant que la torture existe dans son pays.
De notre correspondante à Rabat (Maroc).
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Il y a dix ans, Mustapha Ramid recevait avec plaisir les journalistes. L'ancien
avocat, qui défendait les salafistes incarcérés dans la foulée des attentats du
16 mai 2003, accordait de longues interviews pour défendre les idées de son
parti, alors décrié, le Parti islamiste de la justice et du développement
(PJD). Depuis qu'il est devenu ministre de la justice et des libertés, il se
fait plus rare dans les médias.
À la tête de ce
ministère depuis quatre ans, Mustapha Ramid a traversé non sans habileté
plusieurs zones de turbulences : la gestion politique du mouvement de
protestation du 20-Février, la libération des détenus salafistes, la grâce
royale contestée du pédophile Daniel Galvan et plus récemment la
crise franco-marocaine née au lendemain de la convocation de Abdellatif
Hammouchi, le directeur général de la sûreté nationale, à la suite de
plaintes pour torture en France. Et ce d’autant plus qu'il a souvent dû jouer
un rôle éloigné, opposé même, à celui qu'il tenait juste avant l'arrivée
aux affaires de son parti, en janvier 2012.
Ramid est issu de
l'aile dure du Parti islamiste de la justice et du développement (PJD). Il
a passé sa jeunesse à la Chabiba
Islamiya, la jeunesse islamique, et sera par la suite élu député. Les
principes qu'il défend – comme ceux qu'il refuse de défendre
(dépénalisation de l'homosexualité, liberté de conscience) – font
régulièrement bondir la frange moderniste de l'élite marocaine. Il est
d'ailleurs polygame et l'assume publiquement. L'été dernier, son
avant-projet de code pénal avait suscité une vive polémique, essentiellement
les articles liés aux libertés individuelles.
Mais ce ne sont pas
uniquement ces sujets qui nourrissent les griefs de ses détracteurs.
C'est surtout son bilan – ainsi que celui du gouvernement auquel il
appartient – dans le domaine des droits humains qui suscite de
nombreuses critiques. Ramid le défend avec fermeté. Il justifie
notamment l'incarcération de militants du Mouvement 20-Février comme le
rappeur Mouad Lhaqed, condamnés officiellement pour des faits de droit commun,
et prétend qu'aucun détenu n'est actuellement condamné pour ses opinions.
Pourtant, il avait répondu à l'appel des jeunes du 20-Février dès leur première
manifestation, le 20 février 2011, en tenant une banderole régulièrement
rappelée par ses détracteurs : « Pas de réelle démocratie sans
monarchie parlementaire. » Son parti s'est approprié l'une des
revendications principales du mouvement : la lutte contre la corruption.
Depuis
l'affaiblissement du mouvement, les défenseurs des droits humains tirent la
sonnette d'alarme quant à une nouvelle vague de détentions. Plusieurs rapports
d'ONG internationales (Amnesty International, Association marocaine des droits
humains, Human Rights Watch) affirment que la détention politique persiste
et que des procès inéquitables ont encore lieu. Le mois dernier, la
représentante d'Avocats sans frontières a d'ailleurs été expulsée, et
ce après la publication d'un rapport sur le procès d'un activiste.
Ramid réfute catégoriquement ces accusations. Les rapports de l’ONG Amnesty International, qui n'est plus en
odeur de sainteté depuis qu'elle a ciblé le Maroc dans une campagne
contre la torture, sont « manipulés », d’après lui. « Il
n'y a pas de régression, il y a des problèmes », dit-il. Le Maroc « n'est
ni l'enfer ni le paradis des droits de l'homme ». Il admet toutefois
que la torture persiste, mais « plus de façon systématique »
comme par le passé.
Mercredi 24 février
2016, Mustapha Ramid a accepté – difficilement – de
répondre à nos questions. L'entretien, très bref, était tendu. Il s’est
déroulé en la présence de son directeur de cabinet, son conseiller, et son
conseiller chargé des droits de l’homme.
Mustapha Ramid © Radio Orient
Aujourd'hui
a lieu une grève générale (avec un taux de participation de 84 pour cent,
d’après les syndicats). Que pouvez-vous nous dire de la situation
sociale au Maroc ?
Mustapha Ramid. La grève est un droit
légitime garanti pour tous les citoyens. Nous n'avons pas de problème
avec ça, mais nous ne comprenons pas les motivations de la grève. Ce qui a
été présenté n'a rien à voir avec la réalité. Il y a un dialogue social entre
les syndicats et le gouvernement et il n'y a pas de rupture. Les syndicats
veulent montrer qu'ils existent. Surtout qu'il y a un projet de loi concernant
les retraites. Ils veulent montrer leur opposition.
Mustapha Ramid © Radio Orient |
L'ONG Human
Rights Watch vient de lancer une campagne contre la violence
domestique au Maroc et appelle les autorités à adopter des lois qui
protégeraient efficacement les victimes. Un projet de loi est bloqué
depuis trois ans. Pouvez-vous nous donner une date pour ce projet de loi ?
Le projet de loi va
voir le jour dans les semaines qui viennent. C'est ce que je crois…
Je suis quand même ministre ! Et puis j'ai participé à l'élaboration du projet de loi. Il doit être transféré au gouvernement depuis trois ans, mais parce qu'il y a des positions contradictoires entre ceux qui veulent une loi très progressiste allant jusqu'à la pénalisation de tous les actes commis par les hommes envers les femmes, et ceux qui soutiennent une position conservatrice et qui veulent le statu quo. Nous avons eu des difficultés à trouver un projet de loi équilibré.
Où vous situez-vous sur ce sujet ?
Je ne suis ni d'un côté, ni de l'autre. Je suis du juste milieu.
Oui, la torture existe mais de façon exceptionnelle et non systématique
Êtes-vous un ministre rétrograde ?Je ne suis ni rétrograde, ni progressiste.
Pour poursuivre sur ce sujet, le viol conjugal n'est toujours pas pénalisé au Maroc.
Je ne vois pas
comment pénaliser des actes intimes entre hommes et femmes qui ne peuvent pas
être définis ou prouvés. Si cela prend l'image de la violence, c'est déjà
pénalisé dans la loi actuelle. Si la femme n'accepte pas le désir de son mari,
si elle ne l'aime pas, c'est plus facile pour elle de divorcer que d'aller
porter plainte à la police. Pourquoi y a-t-il de la violence ? Un
homme demande une relation, la femme ne veut pas, alors l'homme l'oblige.
Pourquoi en arriver là ? Ou la femme accepte la façon de mener les
choses de son mari, ou elle le quitte.
Plusieurs
rapports critiques émanant d'ONG des droits de l'homme ont été récemment
publiés. Le Maroc connaît-il une régression dans ce domaine ?
Pas du tout. J'ai
rencontré le secrétaire général d'Amnesty International. J'ai démontré que le
Maroc n'était pas un enfer des droits de l'homme, ni un paradis. Il n'y a pas
de régression, il y a des problèmes.
Vous avez tout
de même expulsé deux membres d'Amnesty International du Maroc.
Il faut savoir que
c'était une réaction à la campagne d'Amnesty International contre la torture,
parce que le Maroc n'est pas un pays qu'on va classer avec les autres pays
ciblés [le Mexique, les Philippines, le Nigeria, l'Ouzbékistan – ndlr].
Nous avons tout de même pris l'initiative du dialogue. Nous avons voyagé à
Londres avec une délégation importante. Nous avons convoqué le secrétaire
général au Maroc et nous avons dit que les rapports d'Amnesty étaient
manipulés.
Mais la torture
persiste au Maroc…
Oui, elle existe
mais de façon exceptionnelle et non systématique. Et nous essayons de
l'éradiquer. Des dossiers pénaux ont été ouverts contre les fonctionnaires
tortionnaires.
Le Maroc est
présenté comme une exception dans la région, en opposition aux pays
devenus instables après le printemps arabe. Mais n'est-ce pas la Tunisie,
plutôt, l'exception ?
Nous espérons que
tout le monde arabe fasse l'exception, pas le Maroc ou
la Tunisie. Par ailleurs, la Tunisie n'est pas sortie de la
tourmente.
Le Maroc non
plus, par certains aspects.
Nous sommes un pays
très stable.
Il y
a néanmoins une régression démocratique, d'après plusieurs ONG.
Ah bon !
Qui a dit ça ?! Les ONG ont raison de hausser la barre. Si j'étais
activiste, je dirais la même chose.
Vous l'étiez,
avant.
Oui, madame !
La réalité d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier. Nous avons progressé. Il y a
zéro enlèvements arbitraires. Tous les actes de torture que nous pouvons
détecter sont réprimés. Il n'y a pas un seul prisonnier d'opinion.
D'après plusieurs
ONG, pourtant, plusieurs dizaines de détenus d'opinion seraient
actuellement incarcérés.
Donnez-nous des
exemples.
Ils citent les
exemples du rappeur Mouad Lhaqed, Ali Anouzla, des militants du Mouvement
20-Février.
Et à cet instant,
pouvez-vous me citer un exemple ?
Les détenus de
l'Union nationale des étudiants marocains (UNEM), incarcérés dans plusieurs
villes du Maroc.
Est-ce que Lhaqed
était un détenu politique ? Dire que les policiers sont des chiens,
est-ce la liberté d'opinion ? Soyez raisonnable !
Ils ont
été victimes de procès décrits comme inéquitables par de nombreux
observateurs. J'ai moi-même assisté à certains procès.
[Le déroulement des
procès], c'est l'affaire de la justice.
Vous êtes le
ministre de la justice.
Il y a
l'intervention d'autres responsables, pas la mienne. Qu'est-ce que je peux y
faire ? Je ne peux pas intervenir.
La coopération
judiciaire franco-marocaine a repris après un an d'interruption, à la suite de
plaintes pour torture contre Abdellatif Hammouchi. Pouvez-vous nous dire où en
sont les plaintes ? Ont-elles été transmises au Maroc ?
Des plaintes ont
été transmises ici. Des enquêtes ont été ouvertes. En général, des enquêtes sur
ce qui a été transmis par la France.Des procès auront-ils lieu au Maroc ?
S'il le faut, il y aura des procès.
Des procès équitables ?
C'est ce que j'espère.
Une dernière question : allez-vous vous présenter à la tête du PJD ? Voulez-vous devenir chef de gouvernement ?
Non, je ne le veux pas.
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