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samedi 19 décembre 2015

Les Bonnes feuilles extraites de : « MARRAINE des deux plus anciens détenus politiques marocains »




Par Marie-Jo Fressard

Préface de Gilles Perrault

Postface de Khadija Ryadi

Éditions Antidote





« J’arrive difficilement à trouver le sommeil en pensant à la visite du lendemain. De cette pri­son d’Oukacha, de sinistre réputation, je n’avais vu que la cour. Je vais donc découvrir un peu ce qui se cache derrière ces murs. Me reviennent en mémoire des récits lus dans les « carnets du colonel Rémi », collection de témoignages pour adolescents, vrais ou fictifs, que nous pouvions emprunter à la bibliothèque du collège. Depuis ces lectures, il me reste une fascination pour ce monde caché, parfois terrifiant de haine et de misère, mais aussi admirable d’ingéniosité, d’astuce, de chaleur humaine et d'amitié. Et je garde en mémoire ma jubilation pour une évasion réussie…»

Le lendemain matin, 4 novembre 2005, je suis très émue quand, avec Aïcha, Souad et Oumaïma, nous franchissons sans problème les portes des différentes cours de la prison d’Oukacha. Aïcha et ses deux filles sont connues, les gardiens plaisantent avec la petite Oumaïma.

Et nous pénétrons dans le bâtiment. Tout est gris, sombre et bruyant. Direction « parloirs hommes ». En passant, j’aperçois par une porte ouverte un parloir équipé d’une grille qui sépare prisonniers de droit commun et visiteurs. Tout le monde hurle pour se faire comprendre. Les visites ne durent que quelques minutes.

Nous attendons un peu plus loin. Un gardien vient ouvrir la porte du parloir des prisonniers politiques. Grande pièce vide, ce parloir est réservé aux détenus politiques de cette prison, dont le nombre a baissé au fur et à mesure des libérations. Une large ouverture est découpée dans le grillage.

C’est par là qu’arrivent nos amis, après une attente pleine d’interrogations pour moi. Très grands tous les deux. Je reconnais Ahmed Chahid que j’ai vu en photo. Avec un immense sourire plein de bonté. Mais les 23 années d’incarcération ont laissé des traces : mauvaise mine, dents abimées. L’autre Ahmed, que j’appelle Chaïb (pour éviter les confusions), plus jeune (41 ans), beau garçon au regard intelligent chez qui on ne peut pas deviner ces années de souffrances.

Ils apportent quelques fruits secs, mais n’y touchent pas. C’est le ramadan.

Après les embrassades, Chaïb me dit : « Lais­sons-les en famille, on va se mettre à l’autre bout ». Il parle couramment le français. Il me raconte leur vécu, de prison en prison. Vingt-trois ans, il y a de quoi raconter ! Je veux prendre des notes. Il me fait signe : il y a des caméras qui fonctionnent par intermittence. J’essaie donc de mémoriser.

Il me raconte l’évasion.

«À ton avis, pourquoi avons-nous cherché à nous évader ?

- Pour être libres, non ?

- Non, ne crois pas que c’était du « sauve qui peut » ! Nous devions surtout chercher l’asile politique pour dénoncer les maltraitances, les tortures, les traitements dégradants et humi­liants qui sont la règle dans toutes les prisons du Maroc. Et surtout les détentions politiques dont Hassan II nie officiellement l’existence dans ses discours. Nous étions désignés pour cela. L’évasion est un droit d’après l’article 14 de la déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule que « devant la persécu­tion, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». Il était urgent de trouver cet asile politique dans des ambassades de pays démocratiques, tant que le pouvoir despotique ne renonce pas à sa politique de détention arbitraire et à ses sen­tences mensongères prononcées lors des pro­cès inéquitables.»

L’évasion devait aussi servir de preuve qu’il existe toujours des prisonniers politiques, quoi qu’en dise Hassan II, et que les puissances étrangères comme la France le soutiennent dans ce mensonge, au lieu de défendre active­ment les droits de l’homme.

Cette évasion avait été minutieusement prépa­rée. Ils ont réussi à désarmer un gardien - sans lui faire le moindre mal - puisque tel n’était pas leur but. À ce moment arrive un autre gar­dien qui avait quitté son poste. Il les met en joue… Eux ou lui… Le coup du fusil de Chaïb part, le gardien est blessé, mais pas mortelle­ment. Alerte ! On s’occupe des fugitifs, et on néglige le blessé. Il n’est même pas amené à l’infirmerie de la prison pour être soigné, alors qu’il perd son sang pendant de longues heures avant d’être évacué à l’hôpital de Rabat à 40 km de Kénitra. Il ne survivra pas. Les deux pri­sonniers sont pénalement responsables de ce décès involontaire, mais ils sont aussitôt trai­tés comme des criminels. Chaïb m’écrira : « Ce gardien avait quitté illégalement son poste et n’a jamais été visé ou ciblé dans notre plan, pas plus que les autres gardiens qui sont toujours en vie ; en plus, nous n’avons pas empêché que les secours lui soient apportés ».

Nous bavardons pendant plus de deux heures. Il me pose aussi des questions inattendues. Tu es Alsacienne. Est-ce que ton père était un« malgré nous ? ». Je devine en lui une grande curiosité et de solides connaissances dans tous les domaines. Personne ne m’avait jamais posé cette question sur les Alsaciens enrôlés de force dans l’armée allemande. Il me raconte que son père a participé à la campagne de libération de l’Alsace. « C’est un nom que je connais depuis mon enfance quand mon père nous racontait ses souvenirs de guerre que j’ai fini par connaitre par cœur. J’ai été agréablement surpris quand tu m’as dit que tu étais de ce coin ! »

Je repars contente d’avoir enfin réussi à ren­contrer Ahmed et d’avoir également fait la connaissance du « traducteur ». Chaïb se nomme lui-même ainsi, il vient parfois au téléphone « traduire » de sa voix nette ce que dit Ahmed, que je ne comprends pas toujours très bien. Les liaisons téléphoniques sont sou­vent déplorables. Je vais rester en relation avec Chaïb durant les dernières années d’incarcéra­tion, pendant les périodes où il sera possible de se téléphoner, devenant ainsi peu à peu, aussi « sa marraine » (même si cette dénomination l’agace !). »

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 Prix du livre : 10€ + participation aux frais de port, pour la France : 1 livre 2,50 ; 2 et 3 livres 3,70(vendu au profit d'Antidote)


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Solidarité Maroc 05
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