Par Marie-Jo
Fressard
Préface de Gilles
Perrault
Postface de
Khadija Ryadi
Éditions Antidote
« J’arrive
difficilement à trouver le sommeil en pensant à la visite du lendemain. De cette
prison d’Oukacha, de sinistre réputation, je n’avais vu que la cour. Je vais
donc découvrir un peu ce qui se cache derrière ces murs. Me reviennent en
mémoire des récits lus dans les « carnets du colonel Rémi », collection
de témoignages pour adolescents, vrais ou fictifs, que nous pouvions emprunter à
la bibliothèque du collège. Depuis ces lectures, il me reste une fascination
pour ce monde caché, parfois terrifiant de haine et de misère, mais aussi
admirable d’ingéniosité, d’astuce, de chaleur humaine et d'amitié. Et
je garde en mémoire ma jubilation pour une évasion réussie…»
Le
lendemain matin, 4 novembre 2005, je suis très émue quand, avec Aïcha, Souad et
Oumaïma, nous franchissons sans problème les portes des différentes cours de la
prison d’Oukacha. Aïcha et ses deux filles sont connues, les gardiens
plaisantent avec la petite Oumaïma.
Et nous
pénétrons dans le bâtiment. Tout est gris, sombre et bruyant. Direction «
parloirs hommes ». En passant, j’aperçois par une porte ouverte un parloir
équipé d’une grille qui sépare prisonniers de droit commun et visiteurs. Tout le
monde hurle pour se faire comprendre. Les visites ne durent que quelques
minutes.
Nous
attendons un peu plus loin. Un gardien vient ouvrir la porte du parloir des
prisonniers politiques. Grande pièce vide, ce parloir est réservé aux détenus
politiques de cette prison, dont le nombre a baissé au fur et à mesure des
libérations. Une large ouverture est découpée dans le
grillage.
C’est par là
qu’arrivent nos amis, après une attente pleine d’interrogations pour moi. Très
grands tous les deux. Je reconnais Ahmed Chahid que j’ai vu en photo. Avec un
immense sourire plein de bonté. Mais les 23 années d’incarcération ont laissé
des traces : mauvaise mine, dents abimées. L’autre Ahmed, que j’appelle Chaïb
(pour éviter les confusions), plus jeune (41 ans), beau garçon au regard
intelligent chez qui on ne peut pas deviner ces années de
souffrances.
Ils
apportent quelques fruits secs, mais n’y touchent pas. C’est le
ramadan.
Après les
embrassades, Chaïb me dit : « Laissons-les en famille, on va se mettre à
l’autre bout ». Il parle couramment le français. Il me raconte leur vécu, de
prison en prison. Vingt-trois ans, il y a de quoi raconter ! Je veux prendre des
notes. Il me fait signe : il y a des caméras qui fonctionnent par intermittence.
J’essaie donc de mémoriser.
Il me
raconte l’évasion.
«À ton
avis, pourquoi avons-nous cherché à nous évader ?
- Pour
être libres, non ?
- Non, ne
crois pas que c’était du « sauve qui peut » ! Nous devions surtout
chercher l’asile politique pour dénoncer les maltraitances, les tortures, les
traitements dégradants et humiliants qui sont la règle dans toutes les prisons
du Maroc. Et surtout les détentions politiques dont Hassan II nie officiellement
l’existence dans ses discours. Nous étions désignés pour cela. L’évasion est un
droit d’après l’article 14 de la déclaration universelle des droits de l’homme,
qui stipule que « devant la persécution, toute personne a le droit de
chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». Il était
urgent de trouver cet asile politique dans des ambassades de pays démocratiques,
tant que le pouvoir despotique ne renonce pas à sa politique de détention
arbitraire et à ses sentences mensongères prononcées lors des procès
inéquitables.»
L’évasion
devait aussi servir de preuve qu’il existe toujours des prisonniers politiques,
quoi qu’en dise Hassan II, et que les puissances étrangères comme la France le
soutiennent dans ce mensonge, au lieu de défendre activement les droits de
l’homme.
Cette
évasion avait été minutieusement préparée. Ils ont réussi à désarmer un gardien
- sans lui faire le moindre mal - puisque tel n’était pas leur but. À ce moment
arrive un autre gardien qui avait quitté son poste. Il les met en joue… Eux ou
lui… Le coup du fusil de Chaïb part, le gardien est blessé, mais pas
mortellement. Alerte ! On s’occupe des fugitifs, et on néglige le blessé. Il
n’est même pas amené à l’infirmerie de la prison pour être soigné, alors qu’il
perd son sang pendant de longues heures avant d’être évacué à l’hôpital de Rabat
à 40 km de Kénitra. Il ne survivra pas. Les deux prisonniers sont pénalement
responsables de ce décès involontaire, mais ils sont aussitôt traités comme des
criminels. Chaïb m’écrira : « Ce gardien avait quitté illégalement son poste
et n’a jamais été visé ou ciblé dans notre plan, pas plus que les autres
gardiens qui sont toujours en vie ; en plus, nous n’avons pas empêché que les
secours lui soient apportés ».
Nous bavardons
pendant plus de deux heures. Il me pose aussi des questions inattendues. Tu es
Alsacienne. Est-ce que ton père était un« malgré nous ? ». Je devine en
lui une grande curiosité et de solides connaissances dans tous les domaines.
Personne ne m’avait jamais posé cette question sur les Alsaciens enrôlés de
force dans l’armée allemande. Il me raconte que son père a participé à la
campagne de libération de l’Alsace. « C’est un nom que je connais depuis mon
enfance quand mon père nous racontait ses souvenirs de guerre que j’ai fini par
connaitre par cœur. J’ai été agréablement surpris quand tu m’as dit que tu étais
de ce coin ! »
Je repars
contente d’avoir enfin réussi à rencontrer Ahmed et d’avoir également fait la
connaissance du « traducteur ». Chaïb se nomme lui-même ainsi, il vient
parfois au téléphone « traduire » de sa voix nette ce que dit Ahmed, que
je ne comprends pas toujours très bien. Les liaisons téléphoniques sont souvent
déplorables. Je vais rester en relation avec Chaïb durant les dernières années
d’incarcération, pendant les périodes où il sera possible de se téléphoner,
devenant ainsi peu à peu, aussi « sa marraine » (même si cette
dénomination l’agace !). »
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Prix du livre : 10€ + participation aux
frais de port, pour la France : 1 livre 2,50 ; 2 et 3 livres 3,70(vendu au profit d'Antidote)
Solidarité Maroc 05
17 rue Jean Eymas
05000 GAP
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