- Par Salaheddine LEMAIZI -
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350 migrants ont été refoulés de Tanger vers Tiznit en deux mois. Les dessous d’une opération sécuritaire à hauts risques.
Fin de partie pour les migrants irréguliers au Maroc ! Il y a un an,
le Maroc a clôturé officiellement l’opération exceptionnelle de
régularisation des migrants (voir les chiffres ci-dessous). Aujourd’hui,
l’heure est au refoulement et aux déplacements forcés depuis le Nord
vers le Sud du pays.
Le retour des sécuritaires ?
Dernier acte de
cette escalade, le 30 novembre, les forces auxiliaires font une descente
dans le camp des migrants dans la forêt de Fnideq. «Ils ont brûlé et
détruit des tentes. Des migrants ont été embarqués vers Tiznit», avance
Camara Laye, coordinateur du Conseil des migrants subsahariens au Maroc
(CMSM). La veille, le 29 novembre, les forces auxiliaires arrêtent une
dizaine de migrants, en situation administrative irrégulière, vivant
dans la même forêt. L’opération se termine par la mort de deux migrants
camerounais. Des ONG marocaines et espagnoles accusent les autorités
d’être à l’origine de ce décès. «Les Subsahariens se réfugiaient dans
des grottes. Pour les faire sortir, les forces de l’ordre y ont mis le
feu. Ce qui a causé la mort des deux migrants», rapporte l’association
espagnole, Camiando Fronteras. Une version réfutée en bloc par les
autorités locales. La préfecture de Tétouan confirme la mort des deux
personnes, mais «à cause d'une asphyxie suite à un feu allumé durant
leur sommeil dans la grotte». Ce triste fait divers confirme-t-il le
retour de l’approche sécuritaire dans la gestion de la politique
migratoire ?
Conditions de vie difficiles à Tiznit
«Ces
actions sont inexplicables. Nous avons demandé des éclaircissements aux
responsables des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la sécurité
des frontières, sans recevoir de réponses à nos questions», regrette
Kamal Lahbib, acteur associatif et membre de la Commission nationale de
suivi et de recours de l’opération de régularisation des migrants. Pour
Camara Laye, «l’État veut chasser les migrants du Nord du Maroc»,
accuse-t-il. Entre octobre et fin novembre, plus de 350 migrants ont été
refoulés des quartiers de Boukhalef et Mesnan, à Tanger, vers Tizinit.
«Pourquoi aujourd’hui et pourquoi Tiznit ? », se demande Lahbib. Ce
dernier estime que «ces actions contredisent les principes de liberté de
circulation et la politique migratoire». À l’heure actuelle, 200
personnes vivent dans des conditions difficiles à Tiznit. Une personne
vivante sur place nous décrit leur situation : «Nous vivons dans un
immeuble abandonné de la ville. Nous n’avons rien à manger et nous
vivons de la mendicité et la solidarité des Marocains». Ce constat est
partagé par la section de l’Association marocaine des droits de l’Homme à
Tiznit.
Une politique migratoire «indécise»
Avant la
période de la politique migratoire, lancée en septembre 2013, les
migrants irréguliers se voyaient refouler d’Oujda vers l’Algérie. Ces
migrants étaient pris dans un jeu de ping-pong entre les Algériens et
les Marocains. Depuis, le modus operandi des autorités marocaines a
changé. Dès février 2015, une vague de refoulement s’est déroulée,
depuis Nador et Tanger. Les migrants ont été déplacés à El Jadida,
Youssoufia, Chichaoua, Tiznit et Agadir. «Plus de 800 migrants, dont des
mineurs, des femmes enceintes, demandeurs d’asile et des personnes qui
ont demandé leur régularisation et qui n’ont pas encore reçu de réponses
en première instance, ont été parmi les personnes déplacées», observent
le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et
migrants au Maroc (GADEM) et le Collectif des communautés subsahariennes
au Maroc (CCSM).
La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et le GADEM
ont décrit ces refoulements comme un signe «d’une politique migratoire
indécise», dans leur rapport, paru en mars 2015. Les deux ONG exigent de
«cesser immédiatement les rafles visant les migrants en situation
irrégulière» et «la fin des arrestations et détentions arbitraires ainsi
que les tentatives d’expulsions collectives et respecter en toute
circonstance le principe de non-refoulement, conformément à la loi
marocaine et aux obligations internationales de l’État». Les autorités
marocaines défendent leur action comme des mesures pour «démanteler les
réseaux de traite et de trafic des êtres humains». Une allégation qui ne
satisfait pas les associatifs. «Les migrants vivent dans les forêts
parce qu’ils ont de grandes difficultés à accéder au logement dans les
villes de Tanger, Nador et Oujda. Beaucoup de Marocains refusent de
louer aux Subsahariens», rappelle Camara Laye.
Et d’ajouter : «ces opérations de démantèlement de prétendus réseaux
ne s’accompagnent pas d’assistance des présumés victimes. Les personnes
sont refoulées sans argent ni nourriture près de Tiznit». Kamal Lahbib
appelle, pour sa part, l’État «à éviter de jouer la carte sécuritaire
car elle est contre-productive. Nous allons continuer à appeler à une
approche cohérente pour ne pas détruire ce que le Maroc a construit en
deux ans», conclue-t-il.
27.643 demandes de régularisation
25.432 demandes acceptées (92%)
31% sont des femmes
77% ont entre 20 et 40 ans
Taux de régularisation par nationalité :
Sénégal (27%), Syrie (18,4%), Nigeria (8%), Côte d’Ivoire (6,4%), Guinée (5,9%), RDC (5,8%), Mali (4,8%),
Cameroun (3,9%) et Philippines (3,4%).
Taux de régularisation par ville :
Rabat (27,4%), Casablanca (18,6%), Tanger (8,7%) Oujda (5,5%) Marrakech (4,6%), Laayoune (3%) et Salé (2,3%).
Source : CNDH
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