- Par Naima Cherii, 10/12/2015
La colère gronde contre les exploitants de la mine
d’or de Tiouite, dans la province de Tinghir. Des traces de cyanure
pourraient être trouvées dans la source qui alimente la région.
Du cyanure dans la rivière «Tighassa» qui fournit de l’eau aux
populations de la commune rurale deTikniouine dans la province de
Tinghir ? Inquiets, les habitants ne boivent l’eau de cet oued qui va
jusqu’au barrage Al Mansour Eddahbi dans la province de Ouarzazate.
Après la forte explosion qui s’est produite, mercredi 25 novembre, au
niveau d’une digue sur le site d’exploitation de la mine d’or «Tiouite»,
la crainte était que l’eau soit contaminée par du cyanure, matière que
les exploitants de cette mine utilisent pour traiter l’ or, le cuivre et
l’argent . Par précaution, les autorités locales ont demandé aux
populations de ne plus boire cette eau en attendant le résultat des
analyses.
Les ÉCO y étaient…
Dix jours après l’incident,
Les ÉCO s’est rendu sur les lieux, samedi 5 décembre, après 13 heures de
route. La colère des gens était palpable parmi les villageois du douar
Tighassa, relevant de la commune de Takniouine. «Amane Illa Guissane
asame» ! («L’eau est empoisonnée !»). Pour éviter la contamination, les
femmes et les filles parcourent des dizaines de km pour chercher de
l’eau à une source se trouvant sur la montagne de Bouchelif, à plus de
2.000 m d’altitude, suite à «l’état d’urgence» décrété le jeudi 26
novembre. Si la collecte de l’eau est interdite, la société Co-Company
qui exploite la mine a décidé de ne pas suspendre ses activités.
Néanmoins, face à la colère des populations, elle a entamé des travaux
pour cerner l’étendue de la propagation des produits chimiques, lesquels
se sont déversés depuis la digue à problème. Ce samedi, les machines et
les équipes de l’entreprise étaient d’ailleurs sur le site
d’exploitation.
Elles étaient à l’œuvre pour finaliser les travaux de curage afin
d'empêcher l’étendue de ces produits dans l'oued. Chaux, eau de javel et
sulfate de fer étaient utilisés dans le cadre de cette opération de
curage et de décapage. «Des rejets liquides de la digue s'étaient étalés
sur 600 m dans la rivière. Le but de cette opération dans la zone
suspecte était justement de faire en sorte que ces matières ne puissent
pas continuer leur avancée», explique-t-on. Non loin des équipes de
Co-Company, un groupe de villageois suivaient ces opérations. «Un jour
ou l’autre, nous serons contraints de partir d’ici», lance Mohamed, l’un
des habitants. Celui-ci tenait à nous montrer du doigt sa maison,
laquelle était perchée juste à quelques mètres de l’usine
d’exploitation. Le jeune homme, qui ne décolérait pas, insistait :
«Depuis l’installation de cette usine minière dans notre localité, notre
quotidien rime avec bruits. Nous continuons d’avaler la poussière et
d’être contraints de supporter les machines de la société qui sont juste
à nos portes».
Dans cette ambiance tendue, les autorités locales, qui se trouvaient
aussi sur le site au moment de notre arrivée sur le lieu pour le suivi
de l’exécution des travaux, se voulaient rassurantes. «La situation est
sous contrôle», soulignait le représentant des autorités locales,
Zouhair Tabyaoui. Interrogé sur l’affaire, celui-ci, qui n'était autre
que le caïd s’empressait d’apaiser les inquiétudes. Selon lui, les
habitants peuvent se tranquilliser. «Des analyses ont été effectuées
dans l’oued pour savoir si oui ou non l’eau est contaminée, mais pour
l’heure il n’y a pas lieu de s’inquiéter», rassurait-il. Un comité de
suivi de la situation a donc été mis en place et toutes les mesures sont
prises pour protéger les habitants et la faune, poursuivait-il. D’après
lui, les résultats des analyses n'étaient pas encore révélés. Les
villageois ne sont pas encore autorisés à boire l'eau, ni de la rivière
ni celle de leurs puits. «Tant que l’on n’est pas sûr que tout va bien,
nous ne conseillons pas encore les riverains de boire cette eau». De son
côté, la société exploitante de la mine «Tiouite» avait diffusé un
communiqué dans lequel ses responsables disaient se coordonner avec les
autorités locales pour suivre l’évolution de la situation. Pour en
savoir plus sur ce projet minier, nous nous sommes rendus à l'usine
d'exploitation de Co-Company, mais le directeur d'exploitation,
Abdellatif Yahyaoui, qui s'y trouvait ce matin-là avec des membres du
comité de suivi de la situation, a refusé de nous recevoir. Ceci dit,
dans son communiqué, la société, qui réfute tout impact environnemental
de la part de son usine d’exploitation, soutient que son projet est
conforme à toutes les exigences fixées par la loi.
Les ONG préparent leur contre-attaque…
Ce n’est
pas ce que pensent les associatifs de la région. Selon eux,
l’exploitation minière n’aurait pas été précédée par une étude d’impact
environnemental. Pour Abderrahmane Benomar, vice-président de
l’association «Akensso», «cet incident est l’occasion pour tirer au
clair un certain nombre de questions qui restent posées au sujet de ce
projet». Et d’ajouter : «la situation dans la localité a amené plusieurs
associations à se mobiliser. Au moment où nous mettions sous presse,
près d’une vingtaine d’associations s’apprêtaient à adresser une lettre
au chef de gouvernement et aux ministres concernés (ministre de
l'Énergie, des mines, de l’environnement et de l’eau). Objet : demander
l’indemnisation des populations pour les préjudices subis via
l’exploitation de la mine d’or «Tiouite».
Ces associatifs comptent manifester leur colère contre la société
qu’ils soupçonnent de dégradations éventuelles de leur environnement. Et
pas seulement. «Il n’y a pas de dialogue avec les responsables de la
société minière», martèle des associatifs de la région. «Cela fait plus
de deux ans que des infrastructures devaient être réalisées par la
société dans la région, mais rien n’a été fait. Non, les engagements
pris par cette société dans le cadre d’un contrat avec les autorités
locales n’ont pas été respectés», explique Ben Omar. Selon nos sources
associatives, une guerre pointe à l’horizon entre la société minière et
les habitants riverains.
À en croire nos sources, cette mobilisation marque la reprise d’un
bras de fer qui promet d’être rude entre les deux parties. Les
populations assurent que jusqu’ici, la société semble ne pas se
préoccuper du respect de sa part de contrat avec les habitants. Et c’est
là l’origine de cette atmosphère tendue. Pour rappel, en 2012,
rappelle-t-on, les populations avaient haussé le ton allant jusqu’à
demander une rencontre avec les autorités locales. Pour faire baisser la
tension, celles-ci avaient alors initié une rencontre avec l’ensemble
des populations. Lors de cette rencontre, les responsables de la société
minière avaient promis de faire des investissements directs au profit
des populations riveraines et ceci avant d’entamer la production. Plus
de deux ans après, les populations sont toujours dans l'attente de ces
engagements, qui ne viennent toujours pas. La commune Tikniouine reste
toujours privée d’infrastructures, notamment routières et sanitaires.
Le PJD s’en mêle…
Monté au créneau, le député
PJDiste, Ahmed Sadki, s’est dit révolté et préoccupé par la situation :
«Une évaluation des dommages doit être menée pour estimer les
conséquences que cet accident aura sur les nappes phréatiques de la
région». Inquiet pour l’eau de sa commune, le député attire l’attention
contre ces matières dangereuses utilisées pour le traitement des
minerais telles que le cyanure qui met, selon lui, en danger les
ressources hydriques de la région. Dans ce cadre, le PJDiste, qui est
également membre de la Commission des infrastructures, de l'énergie, des
mines et de l'environnement au Parlement, ne mâche pas ses mots. «Toute
la lumière doit être faite sur ce qui s’est passé dans cette usine
d’exploitation minière afin que cela ne se reproduise plus.
Il y va de la sécurité des populations, des animaux et de la faune»,
martèle Sadki. À ce propos, celui-ci fait savoir qu’une enquête est
actuellement en cours au niveau du département d’Abdelkader Amara pour
déterminer la responsabilité de la société dans cette affaire. «Si
responsabilité de la société il y a, celle-ci pourrait voir sa licence
d'exploitation retirée», dit-il. Autre zone d’ombre, aucune étude
d’impact n’aurait été faite, selon le député PJDiste. Pour celui-ci, les
lois organiques devant sortir d’ici 2016 devront remédier à ce
problème. «C'est dans le cadre de ces lois que des améliorations et des
modifications doivent être apportées pour l'impact environnemental dudit
projet. Un point de vue que partage aussi, le président du Conseil
provincial, Lahcen Daoudi. "C’est un dossier prioritaire que nous allons
prendre très au sérieux dans l’avenir. En tant que Conseil provincial,
nous allons interpeller tout les départements concernés par cette
question, de venir s’enquérir de la situation environnemental dans la
région", insiste-t-il. Car, outre ce problème de la mine de « Tiouite »,
il y aura toujours une menace sur les populations de la région,
laquelle est riche en minerai, tels l’or, le cuivre ou l’argent.
Pour lui, la priorité c’est d’améliorer les cahiers de charges et les
contrats liant les autorités locales à ces sociétés privés exploitantes
des mines. Une expertise a-t-elle été commandée par le gouvernement
pour savoir si le projet respecte les conditions techniques requises
pour son approbation ? Des associatifs n’y vont pas par quatre chemins :
«On doute fort bien que cette expertise ait été faite ni même une étude
d’impact sur les riverains et le site», estiment ces mêmes sources.
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