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lundi 19 octobre 2015

La Belgique laissera-t-elle mourir Ali Aarrass dans sa prison marocaine ?

Exclusif : Une lettre adressée par Didier Reynders à son homologue marocain contredit les affirmations du ministre MR selon qui les Affaires étrangères belges feraient tout leur possible pour venir en aide à notre compatriote.
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« Symbole vivant d’une injustice », voilà bien le genre d’étiquette dont tout un chacun se passerait volontiers. Surtout quand cette injustice met directement en cause l’Etat dans lequel vous êtes incarcéré. C’est le cas d’Ali Aarrass, Belgo-Marocain de 53 ans condamné à douze ans de prison fermes au Maroc, sur base de ses seuls aveux obtenus sous la torture (lire le « rappel des faits » ci-dessous). Une injustice à ce point emblématique que l’ONG Amnesty International en a fait le récent visage de sa campagne contre la torture. En Belgique, le comité de soutien à Ali Aarrass, emmené par sa sœur Farida, réclame sa libération et l’intervention des Affaires étrangères belges en sa faveur, deux revendications également soutenues par le MRAX et la Ligue des Droits de l’Homme.
Or, officiellement bien sûr, le Maroc ne pratique pas la torture. L’« affaire Ali Aarrass » et sa médiatisation mettent donc sérieusement à mal les discours chérifiens pour gagner en respectabilité. Sans doute la raison pour laquelle notre compatriote ne cesse de subir brimades, coups et humiliations diverses depuis son incarcération à la prison de Salé (Rabat). Pour preuve, la vidéo tournée clandestinement dans la cellule d’Ali et révélée en début du mois, dans laquelle on le voit amaigri, titubant, le visage et le corps tuméfiés et zébrés d’ecchymoses. Seule arme à sa disposition pour réclamer la fin de ces mauvais traitements : la grève de la faim. Ali Aarrass en est aujourd’hui à son 56e jour.

Mauvaise foi ministérielle
Que font les Affaires étrangères belges en faveur de notre concitoyen ? Interpellé par Pascal Vrebos sur le plateau de RTL dimanche 11 octobre, le ministre Didier Reynders déclarait ceci : « J’interviens régulièrement, non seulement j’en parle à mon collègue marocain – je lui ai encore écrit pour lui demander l’accès pour les avocats et pour la famille, mais aussi pour des traitements qui soient totalement humains en prison. Je pense, comme dans beaucoup d’autres cas, que c’est à travers ce type d’intervention qu’on arrive à faire progresser les choses. Et j’en reparlerai encore avec mon collègue marocain. »
Tant de bonne volonté semble pourtant difficilement coller avec la réalité. Car cela fait des années qu’Ali Aarrass réclame, en vain, l’assistance consulaire de la Belgique. En désespoir de cause, il intente, en 2014, un procès contre l’Etat belge, qu’il gagne tant en première instance qu’en appel. Toujours aussi réticentes à s’acquitter de leurs obligations, les Affaires étrangères décident de se pourvoir en cassation, en juin dernier. D’ici au procès, l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles les contraint à accorder des visites hebdomadaires à Ali, via le consulat au Maroc. Pour cela, il faut, bien sûr, la permission des autorités marocaines. Or, la lettre que Didier Reynders a adressée à son homologue marocain et dont il a fait référence dans l’émission de Pascal Vrebos (lire le PDF en pièce jointe) est révélatrice de son absence de volonté à intervenir dans cette affaire. Le seul argument avancé par Reynders pour obtenir un droit de visite est l’obligation à cet effet formulée par la justice belge. Et notre ministre MR de bien préciser ensuite qu’un pourvoi en cassation contre cette décision a déjà été introduit. Inutile d’ajouter que cette si peu convaincante missive est restée lettre morte et qu’Ali n’a toujours pas reçu la moindre visite consulaire.
 Les Belgo-Marocains, des citoyens de seconde zone?
Comment expliquer les réticences de la Belgique à venir en aide à un de ses citoyens, alors que la protection consulaire fait pourtant partie des obligations de tout État de droit ? Reçue au ministère des Affaires étrangères mercredi dernier, la famille d’Ali Aarrass s’est entendue répondre que la Belgique ne s’impliquerait pas davantage dans cette affaire. Avec, en filigrane, l’idée qu’il ne faut surtout pas mettre à mal nos excellentes relations avec le Maroc. Un message déplorable envoyé à tous les Belgo-Marocains (soit l’immense majorité des Belges d’origine marocaine, puisqu’ils acquièrent automatiquement la nationalité marocaine par filiation), comme l’ont relevé tant le président du MRAX que celui de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), le 5 octobre dernier. Ainsi, pour Carlos Crespo (MRAX), « la Belgique donne des leçons de civilisation à la tribune des Nations unies, mais est incapable de protéger ses citoyens nationaux. Le désintérêt total manifesté envers le sort d’Ali Aarrass est emblématique d’une certaine xénophobie d’Etat. » Quant à Alexis Deswaef (LDH), il estime que « celui qui possède la double nationalité – même s’il ne l’a pas souhaitée, comme c’est le cas d’Ali Aarrass – sera toujours un citoyen de seconde zone, ce qui est inacceptable.»
Coïncidence : le même jour, la Belgique annonçait sa volonté de faire appel aux services de police marocains pour intervenir dans les quartiers à forte population immigrée. Comme si les jeunes d’origine marocaine étaient à ce point différents qu’il faille recourir aux services d’un État dans lequel ils ne sont pas nés pour s’en occuper. Pourtant, le premier pas dans la bonne direction serait, au contraire, de leur montrer qu’ils sont des citoyens à part entière, bénéficiant des mêmes droits et devoirs que n’importe quel Belge « de souche ». Avec l’« affaire Ali Aarrass », on en est loin.

Rappel des faits
Citoyen modèle, ayant effectué son service militaire en Belgique, avant d’ouvrir une papeterie à Bruxelles, et qui n’a jamais connu le moindre démêlé avec la justice belge, rien ne prédestinait Ali Aarrass au triste sort qui est le sien aujourd’hui. Sa vie bascule pourtant en 2006, lorsque la justice espagnole le soupçonne de trafic d’armes. Le célèbre juge antiterroriste Balthazar Garzon conduit l’enquête pendant deux ans et demi, pour finalement conclure à un non-lieu. Hélas, au mépris de toutes les règles de droit, cela n’empêche pas l’Espagne d’extrader Ali, fin 2010, vers le Maroc qui le réclame. En 2011, il y est condamné à quinze ans de prison ferme pour « terrorisme » (réduits à douze en appel), sur base de ses seuls aveux obtenus sous la torture, comme l’attestera le rapporteur spécial de l’ONU contre la torture, Juan Mendez. Depuis 2012, Ali Aarrass attend toujours que le Maroc réponde à sa demande de pourvoi en cassation.

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