Publié le 21/10/2015
Un Etat peut se mettre en colère, comme un individu… et quand il
s’énerve, il perd ses esprits, puis commet des erreurs, grandes ou
petites… toujours comme le ferait un individu. La différence entre les
deux colères est que celle d’une personne n’a pas de grandes
conséquences sur autrui, contrairement à celle d’un Etat. Celle-ci coûte
cher au pays concerné et peut faire des victimes, individuelles ou
collectives, en plus d’induire des sentiments d’injustice et de hogra.
Or, je ne vois pas d’autre explication au problème de l’Etat marocain
avec l’historien Maâti Monjib que la colère et ses conséquences
imprévisibles. Je ne vois pas non plus d’autre motif qu’un grand
malentendu issu d’un manque d’habitude de notre État à accepter la
contradiction et des avis contraires aux siens. Je ne vois pas enfin
d’autre interprétation que cette incapacité à garder son calme face aux
opposants. L’autorité en notre pays a perdu patience face à cette marge
de liberté qui procure à tous une liberté d’expression, ici et ailleurs,
sans tension ni crispation, et sans volonté aussi de faire taire les
gens ou de vengeance…
Quel
est donc le tort ou la faute commise par l’historien, militant et
chercheur Maâti Monjib qui a tissé, des années durant, un large réseau
de relations et d’amitiés avec des centres de recherche et des
universités en Europe et en Amérique ? Quel est donc ce crime commis par
le directeur du Centre Ibnou Rochd pour se voir ainsi interdit de
quitter le territoire ? Dans quelle forfaiture est-il donc impliqué et
qui lui vaut tous ces tourments ?
Cet homme avait créé un centre d’études et de recherches, qu’il avait
appelé Ibnou Rochd (Averroès) et auquel il avait donné dès le départ le
statut de SARL relevant du droit commercial. Monjib ne s’est jamais
dissimulé derrière un régime d’association à but non lucratif, comme le
font tant et tant de personnes pour échapper à l’impôt. Maâti Monjib a
donc travaillé des années avec des institutions nationales ou non, des
universités, locales ou étrangères et des organismes d’ici ou
d’ailleurs, présentant des études, proposant des consultations,
organisant des conférences et des stages.
Jusque-là, tout semble bien normal… mais ce qui a énervé les centres
de pouvoir renfermés sur eux-mêmes est que l’homme parle avec liberté et
aisance, outrepassant les lignes rouges au Maroc ou en dehors du Maroc…
alors même que les chercheurs, les journalistes et les intellectuels
s’en tiennent à un cahier des charges non déclaré, officieux, non-dit,
un cahier des charges dominé par un plafond de libertés en matière de
liberté d’opinion et d’expression.
Autrement dit, Maâti Monjib s’est libéré du carcan de l’autocensure
et a évolué sans prendre garde aux limites de ce carcan et aux
indications et signaux qu’il aurait pu lui adresser s’il l’avait été
laissé en fonction. Et donc, quand les avis et prises de positions de
Monjib ont commencé à apparaître dans des rapports de Human Rights Watch,
dans des articles et éditos de journaux américains et dans des études
de centres de recherche un peu partout, l’Etat marocain a perdu patience
et a commencé à voir dans l’historien un adversaire qui lui dispute son
autorité et écorne l’image de lui-même qu’il veut vendre à l’étranger.
Alors ce même État, au lieu d’entreprendre les démarches adéquates en
pareil cas, au lieu d’essayer de convaincre et de communiquer, au lieu
de répondre à un avis par un avis contraire et à une évaluation par une
évaluation inverse… au lieu de tout cela, l’État a préféré agir de la
manière qu’il connaît… l’intimidation, pour ne pas dire la répression…
On a commencé par interdire à cet homme de quitter le territoire, le
bloquant physiquement dans ses mouvements alors que son esprit est resté
libre dans ses pérégrinations… puis on est passé à la fermeture du
centre, et ensuite on s’est intéressé à ses comptes bancaires… tout cela
sans préjudice pour les campagnes médiatiques de type « chope-le ! » (déformé en « tchablih ! »)…
Et voilà donc que Maâti Monjib a été médiatiquement déclaré coupable,
avant même que la magistrature assise ne lui consacre une enquête
préliminaire, avant que son homologue debout ne procédé à une
qualification de son crime ou délit, et avant que la police ne l’épuise
avec ses interrogatoires aussi longs qu’éprouvants…
Ce pays, ce Maroc-là, avec toute la dynamique politique qu’il
connaît, avec tous ses acquis en matière d’ouverture et de transition
démocratiques, avec toute son histoire et sa place dans le monde, ne
réussit-il donc pas à supporter les avis de Maâti, les opinions de celui
qui ne reste qu’un simple individu, quelles que soient ses relations et
ses amitiés ?
Chers vous, le pays est bien plus grand que ce type de réactions qui
sont les vôtres, et nous n’avons nul besoin de pétitions internationales
de soutien à un homme qui a choisi de rester dans son pays et d’y
travailler, d’y militer et de participer de l’intérieur à son évolution
démocratique, à sa manière !
Un jour, l’intellectuel marocain Abdelhaq Serhane a écrit ceci : « Savez-vous
que le Maroc est le plus beau pays du monde, et que la paternité de
cette expression touristique revient à l’écrivain-aviateur français
Saint-Exupéry qui a admiré la blancheur de la neige, contemplé la
verdure des plaines, apprécié le bleu des fleuves et des rivières et qui
s’est laissé transporter par les couleurs mordorées des dunes, à partir
de la hauteur que lui procurait son avion de l’Aéropostale et qui lui a
permis d’inventer sa fameuse expression. Mais nous, nous autres
Marocains, nous voyons le Maroc du bas, d’en bas, et nous rêvons d’une
vie et d’un avenir meilleurs ».
Akhbar Alyoum
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