Reportage par Zineb Ibnouzahir Lahlou , 25/2/2015
A Imouzzer Kandar, le Code de la Famille, on ne connaît pas. Les droits de la femme, on ne connaît pas non plus. Ici, dans cette ville réputée pour ses charmes, des femmes vendent les leurs… pour survivre et nourrir leurs enfants. Acculées par la misère, c’est dans des grottes que certaines trouvent refuge pour “vivre”.
“Excusez-moi de vous faire entrer ici ! Excusez-moi vraiment…”. C’est ainsi
que nous reçoit chez elle, dans sa grotte, Fatima, 45 ans, terriblement gênée.
Oui, c’est bien d’une grotte qu’il s’agit, aussi incroyable que cela puisse
paraître… Au détour d’une ruelle, au fond d’une impasse où se succèdent
d’étroites maisonnettes, il y a un trou dans la paroi rocheuse ; c’est là que
vivent Fatima et ses enfants. Il y fait très sombre et très froid. A même le
sol, une paillasse fait office de lit, contre “le mur” une armoire délabrée et
une gazinière. L’endroit est éclairé par la flamme d’une petite butane. Un
intérieur minimaliste, dans un état de dépouillement total. On ne peut être que
révoltée en découvrant l’endroit.
Fatima aimerait nous inviter à nous asseoir, nous proposer un thé et des
gâteaux comme le veut la légendaire hospitalité marocaine mais elle n’a rien…
rien à offrir, pas même une chaise pour s’asseoir, pas même un verre d’eau car,
ici, l’eau et l’électricité sont un luxe. L’histoire de Fatima est des plus
ordinaires dans la région… Un mari décédé, une femme au foyer qui ne parvient
plus à payer son loyer, une mère et ses enfants expulsés de leur logement. Cet
abri, c’est à la générosité de sa belle-famille qu’elle le doit car c’est à
elle que la grotte appartient.
Comment vit Fatima ? Du salaire journalier que lui rapporte la récolte des
pommes, des cerises, des petits pois ou autres fruits et légumes de saison. Ce
salaire, dans le meilleur des cas, peut s’élever à 50 DH, voire 100 DH quelques
rares fois. Mais en ce mois de février, les temps sont très durs car en pleine
saison hivernale, la neige et le froid ne sont pas propices aux récoltes. Trois
mois de disette pendant lesquels il faut pourtant bien se nourrir… et surtout
se chauffer. “Ici, l’or c’est le bois” annonce Zahira, responsable du centre de
rapprochement familial de SOS Villages d’Enfants installé dans la région.
D’ailleurs, poursuit-elle, “ces gens préfèrent ne pas manger plutôt que d’avoir
froid”. Fatima, en manipulant avec précaution un bout de bois enveloppé dans un
linge, confie :“Regarde, j’ai pu acheter une bûche au marché noir.” Elle
ajoute, en couvant du regard son lingot de bois :“Il est de bonne qualité et
bien sec.”
Quand l’associatif se substitue à l’État
Seul soutien aux mères célibataires d’Imouzzer Kandar, l’association SOS
Villages d’enfants qui tente de les aider dans leur combat pour survivre. Au
centre de rapprochement familial, leurs enfants sont sûrs de pouvoir manger à
leur faim chaque jour. Ils y trouvent aussi un refuge quand ils sont désœuvrés, un substitut d’école quand ils ont besoin d’un soutien scolaire, un
endroit où jouer, où lire, un endroit où on les respecte et où ils se sentent
bien.
Mais le centre fait aussi office de dispensaire, littéralement pris
d’assaut par la population de la région. Et pour cause, les médicaments de base
et le lait infantile y sont distribués gratuitement. Sans compter qu’une
infirmière et un médecin généraliste y donnent des consultations plusieurs fois
par semaine à titre gracieux. “Nous traitons de nombreux cas d’anémie et de
malnutrition chez les enfants”, explique Malika, l’infirmière. Le planning
familial fait également partie des services disponibles au centre, et c’est
dans ce cadre que pilules et préservatifs sont distribués. “Les couples de la
région sont-ils si soucieux de limiter les naissances ? Quant aux mères
célibataires, que peuvent-elles faire de moyens de contraception ?”
L’infirmière qui officie dans ce dispensaire estime à 50 % le nombre de
mères-célibataires à avoir recours à la contraception… Mais là où le bât
blesse, c’est que bon nombre d’entre elles a recours à la contraception dans le
cadre de la prostitution. En effet, ici, le commerce du sexe bat son plein.
30 DH, le prix à payer pour le plaisir…
“Quand j’étais adolescent, nous passions tous nos étés à Imouzzer” se
souvient Mehdi avec nostalgie. “C’est là-bas que j’ai vécu ma première
expérience sexuelle. ça m’a coûté 10 DH à l’époque. Je me trouvais devant une
épicerie, une fille m’a interpellé, je lui ai offert une limonade et très vite
elle m’a proposé de s’occuper de moi. Bien sûr, je n’ai pas refusé même si j’étais
tétanisé.” C’est un fait, au Maroc, Imouzzer Kandar est réputée pour ses femmes
qui se prostituent. Ici, les passes ne coûtent pas cher… 30 DH, c’est le prix à
payer pour le plaisir.
C’est du moins le tarif pratiqué par F. C’est le visage baigné de
larmes,au comble du désespoir, que cette mère- célibataire nous confie son
quotidien. Victime d’un viol, ou plutôt d’une tournante, elle s’est retrouvée
enceinte. Âgé aujourd’hui de 11 ans, son petit garçon vit toujours avec elle.
F. a également adopté son neveu dont le père est en prison ; et elle a la
charge de sa vieille mère paraplégique. Le matin, lorsque le temps est clément,
elle la porte dans ses bras pour l’asseoir sur une marche devant la maison, ou
plutôt dans la minuscule pièce qui leur sert à tous les quatre de maison.
Zahira constate que dans cette région, “les femmes ne se séparent jamais de
leurs enfants, peu importent les circonstances dans lesquelles ils ont vu le
jour. Certaines vont même jusqu’à adopter des orphelins qu’elles élèvent comme
leurs propres enfants”.
“Je ne vais pas te mentir, je me prostitue, confie F. . Je n’ai pas d’autre
solution. Quand le temps des récoltes arrive, je gagne honnêtement ma vie, mais
en hiver, comment faire pour nourrir ma famille ?”. Elle a essayé de trouver un
travail en Espagne en tant qu’ouvrière agricole saisonnière, mais sa
candidature a été refusée. Car pour partir, il faut pouvoir prouver qu’on est
mariée ou divorcée, ce qui n’est pas son cas.
F. a peur de perdre sa maison, cette petite pièce que lui loue sa tante,
mais pour combien de temps encore ? Elle aimerait bien partir ailleurs, dans
une grande ville, mais la vie y est tellement chère ! Et comment ferait-elle
avec ces trois bouches à nourrir ?
Paroles d’enfants… FDM : Vous aimez aller à l’école ? - Oui , mais à chaque fois , le maître nous envoie faire ses courses ou laver ses vêtements, et on est obligés de rater les cours. FDM : Expliquez-nous ça… - A moi, il me demande de laver ses chaussettes. - Et moi, il me donne ses affaires sales de la semaine pour que je les lave. - Moi, il m’a demandé de lui trouver une maison à louer. FDM : Et ça vous ennuie ? - Oui beaucoup. Je fais exprès de m’asseoir au fond de la salle pour qu’il m’oublie. |
… Et préoccupations d’enfants - J’ai très peur qu’on m’enlève et qu’on me fasse du mal. - Oui, moi aussi. La dernière fois, en rentrant à la maison après l’école, deux hommes ont essayé de me suivre. Je suis sûr qu’ils voulaient m’emmener dans la forêt. - Il se passe plein de choses horribles dans la forêt. On y tue des gens, on viole des femmes et des enfants. - Moi, j’ai vu un mort la dernière fois. Je marchais le long de la forêt avec ma mère et on a vu le pied d’un cadavre sorti de terre. - Et moi, j’ai vu une fille s’en échapper en courant… Son visage était lacéré et elle saignait beaucoup. |
Le Code de la Famille ? Jamais entendu parler !
La situation socio-économique de la région est à ce point catastrophique que
la prostitution ne cesse de se développer. Mouna aussi en a fait l’expérience.
Il y a quelques années, elle était mariée et mère d’une petite fille. Puis son
couple a volé en éclats et, à l’instar des autres mères-célibataires de la
ville, elle a touché le fond. Délogée, elle a trouvé refuge dans une grotte
souterraine prêtée par une voisine. Pour y accéder, il faut descendre une pente
escarpée. A gauche de l’entrée de la grotte, un trou dans le sol, recouvert de
quelques pierres plates… Ce sont les commodités. Mouna a bien tenté de résister
en gagnant sa vie dignement mais la misère l’a très vite rattrapée et la
prostitution est devenue sa seule porte de secours. Chance ou malchance, de
l’une de ses unions furtives est né un petit garçon auquel Mouna se raccroche
de toutes ses forces. A la naissance de son fils, elle se l’est juré : plus
jamais elle ne vendrait son corps. Quant à sa fille, celle-ci a préféré fuir la
grotte et la misère. A peine âgée de 16 ans, elle a épousé un homme déjà marié.
“Et ton homme, que fait-il ? Est-ce qu’il t’aide ?”, demande-t-on à Mouna,
désireuse d’en savoir plus sur sa manière de vivre. “Un homme ? Mais de quel
homme parles-tu ?” nous répond-elle, d’un air incrédule, stupéfaite par cette
question. “Je n’ai qu’un homme dans ma vie, c’est mon fils !”, précise-t-elle.
“Et le Code de la Famille, en as-tu déjà entendu parler ?”, la questionne-t-on.
“Le quoi ?” répond-elle, l’air de ne vraiment pas comprendre. “Le Code de la
Famille dans lequel on parle des droits des femmes. Les droits des femmes, tu
les connais un peu ?”. “Non, je n’en ai jamais entendu parler et personne n’est
jamais venu ici pour discuter de ça avec moi”, conclut-elle.
Quand la religion dit oui et que la loi dit non !
Pour Béatrice Beloubab, directrice nationale de l’association, “les Berbères
ont une mentalité bien à part. Force est de constater que les femmes ne sont
pas rejetées par leurs familles quand elles tombent enceintes en-dehors des
liens du mariage, contrairement à ce qui se passe dans les grandes villes du
Royaume”. Une chance pour les jeunes filles de la région dont un grand nombre
tombe enceinte à l’âge de 13 ou 14 ans. Comme nous l’explique Zahira, “les
couples se forment ici très tôt et très vite”. Les jeunes gens entretiennent
des rapports sexuels sans se protéger et dans bon nombre de cas, ces unions
aboutissent à une grossesse. Deux cas de figures sont alors possibles : soit
l’homme n’assume pas ses responsabilités et laisse la jeune mère se débrouiller
seule, soit il décide au contraire de l’épouser. Cette deuxième option ne
s’avère pourtant pas simple. En effet, encore faut-il que le couple ait
suffisamment d’argent pour se rendre à la ville la plus proche et entreprendre
les formalités liées au mariage, ce qui n’est pas le cas de tous. Une fois
arrivés devant l’adel, les tourtereaux se retrouvent confrontés à un
autre problème… Ils n’ont pas le droit de se marier lorsque la jeune fille a
moins de 18 ans… Nouveau Code de la Famille oblige. C’est donc en récitant la
Fatiha que le couple s’unit religieusement mais non aux yeux de la loi. Bien
souvent malheureusement, les conjoints en viennent à se séparer, ceux-ci
s’étant mariés trop jeunes et étant devenus parents trop tôt. Vient alors la
question épineuse du divorce. Facile à dire mais pas facile à faire, surtout
quand le mariage n’a pas fait l’objet d’un acte officiel. Alors, comment faire
appliquer ses droits et réclamer une pension alimentaire quand la loi ne reconnaît
pas son mariage ?
Des enfants sans identité
C’es
Des enfants sans identité
Les enfants issus de ces brèves unions subissent également les répercussions
de ces dysfonctionnements juridiques, car la plupart d’entre eux n’ont pas
d’état civil et n’existent donc pas aux yeux de la loi. Que leurs parents
soient mariés religieusement ou pas ne change rien à leur situation, car il est
impossible pour un père de reconnaître un enfant né en-dehors des liens du
mariage. Quant aux mamans, il leur est répondu qu’elles ne peuvent transmettre
à leurs enfants leur nom de jeune fille… La loi l’interdit, leur dit-on… On
sait donc du nouveau Code de la Famille ce qu’on veut bien en savoir. La loi
applique donc la même procédure que pour les orphelins à qui on attribue un nom
choisi au hasard. Un comble, quand le nouveau Code de la Famille stipule qu’une
mère célibataire est en droit de donner son nom à son enfant ! Dans le cas de
Khadija, ses trois enfants portent donc tous un nom différent du sien et de
celui de leur géniteur. Deux d’entre eux sont issus d’un précédent mariage et
le troisième est le fruit d’un rapport sexuel avec un client. Quand l’ex-mari
de Khadija a appris qu’elle était enceinte après leur divorce et de surcroît en
se prostituant, il a décidé de ne plus lui verser de pension alimentaire et de
ne pas reconnaître ses propres enfants.
A l’heure où le combat pour les droits des femmes semble stagner quelque
peu, à l’heure où la lutte pour l’obtention de la réforme du Code de la Famille
est loin derrière nous, des femmes et leurs enfants, toujours aussi nombreux,
luttent chaque jour qui passe pour survivre dans l’ignorance la plus totale de
leurs droits les plus élémentaires. Inutile d’aller bien loin pour rencontrer
ces personnes : nous les côtoyons chaque jour.
Quelques chiffres : - 30 % des foyers d’Imouzzer Kandar sont composés de familles monoparentales. - 50 % des familles vivent avec des revenus instables de moins de 1.000 DH par mois, soit 4 DH par jour pour une famille de 5 personnes. - 35 % des enfants de moins de 17 ans travaillent. 9 % sont des filles. - 5,58 % de taux de mortalité infantile. - 2/3 des mères sont analphabètes. - 4 % d’entre elles seulement ont fait des études. |
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