Par ACAT
(Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et Ancile Avocats, 4/3/2015
Accord
de coopération judiciaire France-Maroc
La France, nouvelle alliée objective
du système
tortionnaire marocain
Le
31 janvier, la France et la Maroc ont signé un « amendement très important[1] »,
aux accords de coopération judiciaire franco-marocains, que l’ACAT a pu se
procurer. Outre les problèmes de constitutionalité qu’il pose, ce texte
contient des dispositions exceptionnelles et dangereuses qui mettent en
péril la défense des victimes de crimes françaises et marocaines, en rendant de
facto quasi-impossible toute poursuite en justice de ressortissants
marocains si le Maroc s’y oppose. Un accord outrageant, taillé sur mesure pour
apaiser le royaume chérifien après un an de brouille diplomatique entre les
deux pays. Et qui piétine les droits de l’homme.
À
tout prix, il fallait apaiser le Maroc. L’accord que la France vient de signer
pour ce faire véhicule un message problématique : il donne l’image d’une
France disposée à créer une justice à géométrie variable, soumise aux exigences
des États partenaires, au détriment de la défense constante et inconditionnelle
des droits de l’homme dont elle se prévaut pourtant. En effet, l’accord conclu le 31 janvier garantit au Maroc la
possibilité d’enterrer toute affaire qu’il juge gênante. En amont de la visite
annoncée de Laurent Fabius à Rabat le 9 mars, l’ACAT et Ancile Avocats alertent
sur les conséquences graves qu’engendre l’amendement sur l’accès des victimes à
la justice et la nécessité impérative qu’il soit soumis au parlement.
Décryptage juridique par l’ACAT et Ancile
Avocats :
Ø Le devoir d’informer : une menace sur
l’efficacité des enquêtes
Désormais, si une infraction
(délit ou crime) commise au Maroc, par un Marocain, est dénoncée devant la
justice française, alors, la France devra informer immédiatement le Maroc de
cette procédure et vice-versa.
Texte de l’amendement :
«1/ Dans le cadre de leurs engagements respectifs et afin de contribuer à la
bonne mise en œuvre des conventions internationales qui les lient, les parties
s’emploient à favoriser une coopération plus efficace ainsi que tous
échanges entre les autorités judiciaires aux fins de bonne conduite des
procédures, notamment lorsque les faits dénoncés ont été commis sur le
territoire de l’autre.
2/ Dans cette dernière
hypothèse, chaque Partie informe immédiatement l’autre Partie des procédures
relatives à des faits pénalement punissables dans la commission desquels des ressortissants
de cette dernière sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée. »
Décryptage :
En s’obligeant à informer
immédiatement le Maroc de l’ouverture d’une procédure en France mettant
potentiellement en cause un de ses ressortissants, la France laisse tout loisir
aux autorités chérifiennes d’entraver le bon déroulement d’une enquête qu’elles
estimeraient politiquement sensible, en intimidant les victimes et les témoins,
en détruisant les éléments de preuves ou encore en prévenant les suspects
potentiels du risque d’arrestation en cas de visite en France.
Normalement, au stade de
l’enquête, le travail du juge français est couvert par le secret, élément qui
est justement indispensable à l’efficacité et à la sérénité des investigations
ainsi protégées des pressions et autres manœuvres pouvant entraver la
découverte des faits. Dans cette idée, il revient normalement au juge de
décider du moment approprié pour informer les autorités étrangères d’une
enquête et éventuellement solliciter leur concours.
La disposition sur le devoir
d’informer prévue dans l’amendement est particulièrement inquiétante quand on
sait que les plaignants déposant plainte à l’encontre d’agents de sécurité
marocains font régulièrement l’objet de manœuvres d’intimidation allant des
menaces au harcèlement judiciaire.
La réciproque (cas de
ressortissants français mis en cause par des victimes marocaines) est également
rendue possible par l’amendement mais, compte tenu du motif de la brouille
entre le Maroc et la France (la mise en cause du responsable du
contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, pour complicité de torture
par une juge d’instruction française), il est difficile de ne pas y voir la
garantie octroyée au Maroc de pouvoir « couvrir » ses agents.
Ø Fin de
la compétence universelle pour les crimes graves commis au Maroc
Désormais, la justice
marocaine, informée de l’ouverture d’une procédure en France concernant un
ressortissant étranger victime d’un crime au Maroc, pourra décider des suites à
lui donner : dans les cas où le juge marocain décidera d’ouvrir lui-même
une procédure au Maroc, la justice française devra
« prioritairement » se dessaisir du dossier. Une fois l’affaire
transférée à la justice marocaine, cette dernière aura toute latitude pour
l’enterrer.
Texte
de l’amendement :
« 3/ S’agissant de procédures engagées auprès de l’autorité judiciaire
d’une Partie par une personne qui n’en possède pas la nationalité et pour des
faits commis sur le territoire de l’autre Partie par un de ses ressortissants,
l’autorité judiciaire saisie recueille dès que possible auprès de l’autorité
judiciaire de l’autre partie ses observations ou informations
Cette
dernière prend toutes les mesures qu’elle juge appropriées y compris le cas
échéant l’ouverture d’une procédure.
Au vu
des éléments ou informations reçus, l’autorité judiciaire saisie détermine les
suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité
judiciaire de l’autre partie ou sa clôture. En l’absence de réponse ou en cas
d’inertie de l’autre Partie, l’autorité judiciaire saisie poursuit la procédure »
Décryptage : Cette
disposition est strictement relative aux affaires de compétence universelle,
c’est à dire les cas où un non-Français, victime de torture ou de disparition
forcée au Maroc, par des agents de l’État marocains, porte plainte en France, à
l’occasion du passage dans l’hexagone d’un de ses bourreaux.
Actuellement, le Code de
procédure pénale français prévoit, conformément aux engagements internationaux
de la France, la compétence du juge français pour enquêter et juger ces crimes
d’une gravité telle qu’ils ne peuvent demeurer impunis.
Selon l’amendement, si le crime
en question est commis au Maroc par des marocains, le juge français devra en
priorité se dessaisir au profit du juge marocain, dont on sait pourtant
pertinemment qu’il ne diligentera pas une enquête sérieuse, indépendante et
impartiale dès lors que des agents de l’Etat sont mis en cause. On ne compte
plus les nombreux rapports d’organes des Nations unies et d’ONG qui dénoncent
l’impunité dont jouissent les auteurs de crimes graves au Maroc. Cette dernière
année, la justice marocaine s’est d’ailleurs davantage illustrée dans la
poursuite judiciaire de victimes de torture ayant porté plainte, que dans la
poursuite de tortionnaires[2].
En se dessaisissant ainsi auprès
de la justice marocaine, le juge français se rendra tout simplement coupable
d’un déni de justice.
Ø L’accès à la justice des français victimes de
crimes au Maroc mise en danger
Le dernier alinéa de
l’amendement, rédigé d’une façon aussi lapidaire que floue, est potentiellement
très dangereux. Il prévoit en effet que le juge français se dessaisisse
prioritairement au profit de la justice marocaine, même si la victime du crime
est française !
Texte de l’amendement :
« 4/ Les dispositions du paragraphe 3 du présent article s’appliquent
aux individus possédant la nationalité de l’une ou l’autre Partie. »
Décryptage : Si l’amendement
est adopté, il introduira une « exception marocaine ». On imagine
sans peine les conséquences particulièrement désastreuses qu’une telle démarche
aura sur les plaintes concernant des crimes commis par des agents de l’Etat
marocains.
Cette disposition, comme toutes
les autres, est taillée sur mesure. Elle vise principalement Adil Lamtalsi,
Mostafa Naïm et Zakariya Moumni, trois citoyens français qui ont porté plainte
en France pour des crimes de torture subis au Maroc.
Ø Des dispositions illégales ?
Au-delà des problèmes évidents
que pose cet amendement au regard de la défense des victimes et, plus
généralement, de la défense des droits de l’homme dont la France fait
officiellement une priorité, le texte soulève de fortes interrogations au regarde
de sa légalité et de sa compatibilité avec la Constitution française et les
engagements internationaux de la France :
·
La
transmission d’informations devant être fournies au Maroc par la France et
vice-versa, sur les enquêtes en cours est potentiellement contraire au principe
du secret d’instruction, de
l’enquête et des poursuites. Elle est à cet égard possiblement illégale.
·
A plusieurs
égards, le texte de l’amendement est si vague qu’il pourrait être
inconstitutionnel, car il enfreint le principe de la légalité juridique. La loi pénale française doit définir les
procédures avec précision, sans quoi elle viole le principe de légalité,
pourtant garantie tant par la Constitution que par la Convention européenne des
droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques.
·
En l’état,
le texte viole l’égalité d’accès à la justice entre les Français victimes de
crimes à l’étranger. Prenons
l’exemple du traitement de deux plaintes déposées en France par une
victime française, pour un crime commis au Maroc (viol, torture), l’un par un
Marocain, l’autre par un Tunisien. Si le crime met en cause un Tunisien, la
justice française aura la possibilité (sans y être contrainte) de transférer le
dossier à la justice marocaine, mais elle ne le fera pas si, par exemple, la
justice marocaine ne présente pas de garanties de sérieux et d’équité. En
revanche, la justice française aura l’obligation (et non la simple option) de
dénoncer le crime au Maroc si l’auteur présumé du crime est Marocain. Et si le
juge marocain décide d’ouvrir une enquête, le juge français sera obligé d’opter
en priorité pour l’option du dessaisissement.
[1] Selon Le Ministère français des
Affaires étrangères http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/maroc/la-france-et-le-maroc/evenements-3361/article/retablissement-de-la-cooperation
2Rapporteur
du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G13/134/95/PDF/G1313495.pdf?OpenElement ;
Rapport du Comité contre la torture des Nations unies : http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CAT/C/MAR/CO/4&Lang=En
Contact presse :
·
Christina
Lionnet, ACAT, 01.40.40.74.10 / 06.03.86.06.68
·
Me Ingrid
Metton, Me Joseph Breham, Ancile Avocats, 01.44.54.38.90 / im@jb-juris.fr / jb@jb-juris.fr ;
01.44.54.38.90
[1] Selon Le Ministère
français des Affaires étrangères
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/maroc/la-france-et-le-maroc/evenements-3361/article/retablissement-de-la-cooperation
[2]
Rapporteur du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G13/134/95/PDF/G1313495.pdf?OpenElement ;
Rapport du Comité contre la torture des Nations unies : http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CAT/C/MAR/CO/4&Lang=En
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