Intro
Le 1 avril 2015, cela fera 7 ans qu'Ali Aarrass se trouve derrière les barreaux.
Pour la famille, pour ceux et celles qui se sont mobilisés pendant sept ans autour de cette affaire, pour ces 216.500 signataires de la pétition d'Amnesty International pour sa libération immédiate en 2014, c'est l'incompréhension, la déception, la colère face à une telle injustice.
Il y a plus.
Jusqu'à ce jour, l'assistance consulaire à laquelle la Belgique a été condamnée par deux fois par la justice belge n'a toujours pas pris d'effet.
L’État belge et le Ministre des affaires étrangères, Didier Reynders, avaient été condamnés à assurer une assistance consulaire à Ali Aarass le 3 février de l'année passée, par la décision du tribunal de première instance à Bruxelles. Reynders aurait pu se soumettre à cette décision. Mais il s'y est opposé et a fait appel. Huit mois plus tard, le 11 septembre 2014, la 3e chambre de la cour d’appel de Bruxelles a rejeté son appel. Le premier jugement a été confirmé, cette fois, sous peine d’ astreinte de cent euros par jour de retard dans le mois suivant le prononcé de l’arrêt. Depuis, les services consulaires belges au Maroc nous disent qu'ils essaient d'obtenir une permission d'aller visiter Ali, mais que les autorités marocaines ne l'accordent pas. Vous voyez, « la Belgique veut bien, mais le Maroc ne veut pas ». Autrement dit, la Belgique échappe aux sanctions prévues si elle n'exécutait pas le jugement. Pour connaître la vérité, il suffit de demander : où sont les preuves des démarches de la Belgique dans cette affaire ? Pourquoi n'avez-vous pas fait entendre, ne fût-ce qu'une seule fois une seule phrase de protestation contre le Maroc à ce sujet ?
On aurait encore pu croire les propos de la Belgique, si on n'avait pas été confronté à son attitude sept années durant.
Depuis sept ans, la famille et les ami(e)s d'Ali Aarrass ont connu l'intimidation, l'arbitraire, le mensonge, le double jeu, le calcul politique de la part des autorités, aussi bien marocaines, espagnoles que belges. En résumé, un cynisme et une inhumanité, qu'on aurait eu du mal à s'imaginer avant de l'avoir vécu personnellement.
L'affaire Ali Aarrass nous a appris que les droits et les protections des citoyens, garantis par les constitutions et les conventions de droits de l'homme, signées par les démocraties libérales européennes (et par le Maroc), sont mis de côté quand il s'agit de « guerre contre le terrorisme.» Là, tout semble permis. Y compris l'utilisation de la (double) nationalité comme arme supplémentaire pour pouvoir abandonner ou extrader illégalement des inculpés. On s'est retrouvé dans une zone de guerre où règnent l'état d'exception, le terrorisme d'état, appliqués contre une catégorie de personnes, inculpées de terrorisme. Et ce, dans une indifférence de plomb, voire de soutien d'une grande partie de l'opinion publique, à qui on a appris à vivre dans une peur permanente et à justifier tous les moyens, illégaux ou pas, prétendument pour éradiquer le terrorisme.
Dès le premier jour de son arrestation, Ali a clamé son innocence. Il déclare n'appartenir à aucune organisation, ni militaire, ni politique, ni religieuse. Il réfutera toute implication dans un quelconque projet terroriste. Position qu'il maintiendra, sans fléchir, tout au long de son incarcération et qu'il soutiendra par trois grèves de la faim.
Dans la psychose antiterroriste qui sévit dans le monde depuis quinze ans, l’expression « présumé innocent », ou « innocent, until proven guilty », comme disent les Américains, n'existe plus. Pour les inculpés, ces principes sacrés ont été remplacés par « Tu signes, c'est tout. »(1) Et au niveau de l'opinion publique par : « il n'y a pas de fumée sans feu », ou par : « mieux vaut ratisser large, même en sacrifiant des innocents, pour qu'aucun terroriste ne puisse s'échapper. »
Ainsi, comme nous le verrons, l'histoire d'Ali Aarrass est une histoire de « Guantanamo parmi nous ». Son cas ne diffère guère de celui de ces centaines d'innocents, kidnappés ou vendus aux Américains en Afghanistan et au Pakistan après 2001 pour être ensuite enfermés à Guantanamo, uniquement parce qu'ils se trouvaient au mauvais moment, au mauvais endroit.(2)
Son cas ne diffère pas non plus de celui de ces centaines de civils marocains innocents, qui ont été arrêtés et torturés après les attentats de Casablanca en mai 2003.(3)
Dans l'article qui suit, je reprends les événements qui ont marqué le calvaire d'Ali Aarrass. L'arrestation dans le cadre de l'affaire Belliraj; la torture blanche en Espagne ; l'extradition de l'Espagne vers le Maroc, malgré le non-lieu prononcé par la justice espagnole; la torture au Maroc ; l'abandon par la Belgique.
Dans la défense d'Ali Aarrass, je vous propose deux mots d'ordre qui devaient guider notre combat continu pour sa liberté.
Celui de Vittorio Arrigoni : « Stay human !»
Et celui de Stéphane Hessel : « Indignez-vous ! »
Luk Vervaet 17 mars 2015
notes
(1) http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/morocco0613frsumandrecs.pdf
(2) A ce sujet, il suffit de lire quelques témoignages sur Guantanamo, dernièrement parus : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150122.OBS0547/les-carnets-de-guantanamo-journal-intime-d-un-prisonnier.html ou http://supermax.be/survivre-a-guantanamo-lhistoire-de-murat-kurnaz-jeune-turc-ne-en-allemagne-emprisonne-a-guantanamo-cinq-annees-denfer-dont-il-ressort-un-film-a-charge/
(3) Il y a plus dix ans que la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) écrivait : « Les autorités marocaines ont procédé durant les mois qui ont suivi les attentats de Casablanca à des milliers d’arrestations ; ces campagnes ont concerné l’ensemble du territoire et consisté parfois en de véritables rafles visant certains quartiers déshérités des périphéries des grandes villes, à Fès ou à Casablanca par exemple. Il sort des constatations des missions de la FIDH que les violences, y compris la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, commises contre les personnes poursuivies, comme les atteintes au droit à un procès équitable, y compris les droits de la défense, qu’elles ont constatées sont flagrantes. » Rapport FIDH février 2004 http://www.fidh.org/IMG/pdf/ma379f-3.pdf .
Selon Amnesty International, après les attentats de Casablanca de 2003, « environ 1500 personnes ont été arrêtées, des centaines d’entre elles ont été sévèrement torturées, mais leurs plaintes n’ont pas été prises au sérieux par les autorités marocaines.. »
Le 1 avril 2015, cela fera 7 ans qu'Ali Aarrass se trouve derrière les barreaux.
Pour la famille, pour ceux et celles qui se sont mobilisés pendant sept ans autour de cette affaire, pour ces 216.500 signataires de la pétition d'Amnesty International pour sa libération immédiate en 2014, c'est l'incompréhension, la déception, la colère face à une telle injustice.
Il y a plus.
Jusqu'à ce jour, l'assistance consulaire à laquelle la Belgique a été condamnée par deux fois par la justice belge n'a toujours pas pris d'effet.
L’État belge et le Ministre des affaires étrangères, Didier Reynders, avaient été condamnés à assurer une assistance consulaire à Ali Aarass le 3 février de l'année passée, par la décision du tribunal de première instance à Bruxelles. Reynders aurait pu se soumettre à cette décision. Mais il s'y est opposé et a fait appel. Huit mois plus tard, le 11 septembre 2014, la 3e chambre de la cour d’appel de Bruxelles a rejeté son appel. Le premier jugement a été confirmé, cette fois, sous peine d’ astreinte de cent euros par jour de retard dans le mois suivant le prononcé de l’arrêt. Depuis, les services consulaires belges au Maroc nous disent qu'ils essaient d'obtenir une permission d'aller visiter Ali, mais que les autorités marocaines ne l'accordent pas. Vous voyez, « la Belgique veut bien, mais le Maroc ne veut pas ». Autrement dit, la Belgique échappe aux sanctions prévues si elle n'exécutait pas le jugement. Pour connaître la vérité, il suffit de demander : où sont les preuves des démarches de la Belgique dans cette affaire ? Pourquoi n'avez-vous pas fait entendre, ne fût-ce qu'une seule fois une seule phrase de protestation contre le Maroc à ce sujet ?
On aurait encore pu croire les propos de la Belgique, si on n'avait pas été confronté à son attitude sept années durant.
Depuis sept ans, la famille et les ami(e)s d'Ali Aarrass ont connu l'intimidation, l'arbitraire, le mensonge, le double jeu, le calcul politique de la part des autorités, aussi bien marocaines, espagnoles que belges. En résumé, un cynisme et une inhumanité, qu'on aurait eu du mal à s'imaginer avant de l'avoir vécu personnellement.
L'affaire Ali Aarrass nous a appris que les droits et les protections des citoyens, garantis par les constitutions et les conventions de droits de l'homme, signées par les démocraties libérales européennes (et par le Maroc), sont mis de côté quand il s'agit de « guerre contre le terrorisme.» Là, tout semble permis. Y compris l'utilisation de la (double) nationalité comme arme supplémentaire pour pouvoir abandonner ou extrader illégalement des inculpés. On s'est retrouvé dans une zone de guerre où règnent l'état d'exception, le terrorisme d'état, appliqués contre une catégorie de personnes, inculpées de terrorisme. Et ce, dans une indifférence de plomb, voire de soutien d'une grande partie de l'opinion publique, à qui on a appris à vivre dans une peur permanente et à justifier tous les moyens, illégaux ou pas, prétendument pour éradiquer le terrorisme.
Dès le premier jour de son arrestation, Ali a clamé son innocence. Il déclare n'appartenir à aucune organisation, ni militaire, ni politique, ni religieuse. Il réfutera toute implication dans un quelconque projet terroriste. Position qu'il maintiendra, sans fléchir, tout au long de son incarcération et qu'il soutiendra par trois grèves de la faim.
Dans la psychose antiterroriste qui sévit dans le monde depuis quinze ans, l’expression « présumé innocent », ou « innocent, until proven guilty », comme disent les Américains, n'existe plus. Pour les inculpés, ces principes sacrés ont été remplacés par « Tu signes, c'est tout. »(1) Et au niveau de l'opinion publique par : « il n'y a pas de fumée sans feu », ou par : « mieux vaut ratisser large, même en sacrifiant des innocents, pour qu'aucun terroriste ne puisse s'échapper. »
Ainsi, comme nous le verrons, l'histoire d'Ali Aarrass est une histoire de « Guantanamo parmi nous ». Son cas ne diffère guère de celui de ces centaines d'innocents, kidnappés ou vendus aux Américains en Afghanistan et au Pakistan après 2001 pour être ensuite enfermés à Guantanamo, uniquement parce qu'ils se trouvaient au mauvais moment, au mauvais endroit.(2)
Son cas ne diffère pas non plus de celui de ces centaines de civils marocains innocents, qui ont été arrêtés et torturés après les attentats de Casablanca en mai 2003.(3)
Dans l'article qui suit, je reprends les événements qui ont marqué le calvaire d'Ali Aarrass. L'arrestation dans le cadre de l'affaire Belliraj; la torture blanche en Espagne ; l'extradition de l'Espagne vers le Maroc, malgré le non-lieu prononcé par la justice espagnole; la torture au Maroc ; l'abandon par la Belgique.
Dans la défense d'Ali Aarrass, je vous propose deux mots d'ordre qui devaient guider notre combat continu pour sa liberté.
Celui de Vittorio Arrigoni : « Stay human !»
Et celui de Stéphane Hessel : « Indignez-vous ! »
Luk Vervaet 17 mars 2015
notes
(1) http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/morocco0613frsumandrecs.pdf
(2) A ce sujet, il suffit de lire quelques témoignages sur Guantanamo, dernièrement parus : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150122.OBS0547/les-carnets-de-guantanamo-journal-intime-d-un-prisonnier.html ou http://supermax.be/survivre-a-guantanamo-lhistoire-de-murat-kurnaz-jeune-turc-ne-en-allemagne-emprisonne-a-guantanamo-cinq-annees-denfer-dont-il-ressort-un-film-a-charge/
(3) Il y a plus dix ans que la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) écrivait : « Les autorités marocaines ont procédé durant les mois qui ont suivi les attentats de Casablanca à des milliers d’arrestations ; ces campagnes ont concerné l’ensemble du territoire et consisté parfois en de véritables rafles visant certains quartiers déshérités des périphéries des grandes villes, à Fès ou à Casablanca par exemple. Il sort des constatations des missions de la FIDH que les violences, y compris la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, commises contre les personnes poursuivies, comme les atteintes au droit à un procès équitable, y compris les droits de la défense, qu’elles ont constatées sont flagrantes. » Rapport FIDH février 2004 http://www.fidh.org/IMG/pdf/ma379f-3.pdf .
Selon Amnesty International, après les attentats de Casablanca de 2003, « environ 1500 personnes ont été arrêtées, des centaines d’entre elles ont été sévèrement torturées, mais leurs plaintes n’ont pas été prises au sérieux par les autorités marocaines.. »
(Document - España. Temor de
devolución/temor de tortura. Ali Aarras, Mohamed el Bay)
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