Un petit garçon a été gravement maltraité par sa tutrice pendant 6 mois à Meknès. Un fait divers qui met en lumière les failles de la procédure de la kafala.
Le 23 février dernier, tard dans la soirée, le procureur du tribunal de la
Cour d’appel de Meknès amène un enfant de 5 ans et demi au centre Le Nid de la
Fondation Rita Zniber à l’hôpital Mohammed V, qui accueille des enfants et
adolescents non adoptés. Le petit Aymane est dans un état grave : son corps
porte les traces des sévices qui lui ont été infligés pendant près de six mois.
Brûlures, coups, et abus sexuels graves. « Il est extrêmement
traumatisé », nous explique une membre de la Fondation Rita
Zniber. Elle précise que quelques jours plus tôt, la directrice de la crèche
avait remarqué que l’enfant, en arrivant à l’école, avait du mal à marcher.
Cette
dernière avait alors demandé au petit garçon si elle pouvait regarder ses
pieds. Mais Aymane s’y est farouchement opposé, indiquant que sa mère lui
avait interdit d’enlever ses chaussures. Il a fallu plusieurs heures à la
directrice pour amadouer l’enfant. Et quand elle a finalement enlevé ses
chaussures, elle a découvert que les pieds de ce dernier, recouverts de
plastique, étaient brûlés au troisième degré. Aymane a alors expliqué que sa
mère avait renversé du lait bouillant dessus, avant de craquer et de commencer
à raconter les sévices dont il était victime.
Les failles de la kafala
Sauf que ce n’est pas sa mère qui lui a infligé ces tortures, mais sa
tutrice. La Fondation Rita Zniber nous confirme qu’il s’agit d’une
ancienne employée au tribunal de Meknès et mutée à Ifrane, désormais
incarcérée. Elle avait obtenu la kafala (prise en charge) du petit garçon il y
a un peu moins de six mois.
Une kafala qui lui a été accordée par la Cour d’appel de Meknès, indique la
Fondation Rita Zniber, qui explique que les deux premières demandes de cette
femme n’avaient pas abouti. Dans un premier temps, l’assistante sociale
de la Fondation (qui aide les familles désirant prendre un enfant en kafala) a
refusé de présenter son dossier et dans un deuxième temps, le tribunal de
première instance de Fès a également dû le refuser, puisque le dossier est
ensuite passé en appel. Une source proche du dossier précise qu’« il
était clair que cette femme avait des problèmes psychologiques. En outre, sa
situation familiale n’était pas claire. Elle changeait de version tout le
temps : un jour elle était mariée, une autre fois divorcée, puis à nouveau
en couple. L’assistante sociale a donc refusé ».
Aucun contrôle du bien-être de l’enfant
Comment alors la Cour d’appel de Fès a-t-elle donc pu l’autoriser à prendre
en charge Aymane ? C’est la question que se pose la Fondation Rita Zniber, pour
qui ce drame met en lumière les deux maillons faibles principaux de la
procédure de kafala: l’absence d’évaluation psychologique des candidats, et le
manque de suivi dans la prise en charge des enfants.
Ainsi, aucune assistante sociale ne s’est déplacée, pendant ces 6 mois, pour
s’assurer du bien-être de l’enfant dans son nouveau foyer. Fatim-Zohra Alami,
présidente d’Osraty, association marocaine des parents kafil (tuteurs
adoptifs), explique que la loi 15-01 sur la kafala des enfants abandonnés,
prévoit bien un contrôle, mais qu’en réalité, « il n’est quasiment
jamais fait ». Notre source à la Fondation Rita Zniber
estime que c’est surtout par manque de moyens : les assistantes sociales,
trop peu nombreuses, sont débordées.
Pas d’examen psychologique des futurs tuteurs
Mais cette affaire révèle aussi l’une des autres failles de la procédure,
indique Fatim-Zohra Alami. La loi ne prévoit pas d’examen ou d’évaluation
psychologique du futur tuteur : « Sont prévus une enquête sociale
(menée par l’assistante sociale) et une enquête de police ». Ensuite,
c’est au juge « de jouer le rôle de psychologue »,
explique-t-elle, avant d’ajouter : « Dans cette affaire, un juge
a joué son rôle en refusant la demande de kafala de cette femme, mais comment
se fait-il que la Cour d’appel le lui ait accordé ? C’est étrange. »
Le collectif Kafala (SOS Villages, Fondation Rita Zniber, Dar Atfal de Fès,
Osraty…) dont la porte-parole est Fatim-Zohra Alami, réclame une révision de la
loi depuis plusieurs années, et a notamment contacté à plusieurs reprises les
ministères de la Justice et de la Famille et de la solidarité. « Nous avons
de nombreuses revendications mais les premières concernent la protection
physique et psychologique des enfants ». Le collectif compte
saisir à nouveau le ministère de la Justice, mais aussi le CNDH, « car
nous savons que ce cas n’est pas isolé : il y en a d’autres, c’est juste
que la plupart des affaires passent »inaperçues » de la
justice ou des médias ». En plus des mauvais traitements, la
présidente d’Osraty explique, sans pouvoir donner de chiffres, « qu’il
n’est pas rare que des enfants donnés en kafala finissent à la rue ».
« C’est une catégorie très vulnérable en raison du manque
de contrôle », confirme Najia Adib, présidente de l’association
Touche pas à mes enfants (TPME). Elle se souvient particulièrement de deux
affaires impliquant des tuteurs indignes ; « une à Oujda il y a
quelques années, et une autre à Marrakech, où un enfant avait été enfermé
pendant deux ans sur une terrasse ». Me Mohamed
Adib, l’avocat de l’association, qui défend les enfants maltraités ou victimes
d’abus sexuels, nous apprend que la première audience du procès est prévue le
18 mars prochain, et que TPME et d’autres associations comptent se porter
partie civile.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire