Par Ixchel Delaporte,L'Humanité, 15/3/2015
27 octobre 2006 : un an jour pour jour après leur mort, marche silencieuse, à Clichy-sous-Bois, en hommage à Zyed et Bouna. Aujourd’hui, soit dix ans plus tard, l’ensemble des policiers sont encore en fonction.
Photo Sébastien Ortola/REA
Le
27 octobre 2005, Zyed et Bouna mouraient électrocutés sur un site EDF
de Clichy-sous-Bois où ils s’étaient réfugiés. S’ensuivront trois
semaines de révoltes sociales et dix ans de combat judiciaire. Ce lundi,
comparaissent à Rennes deux gardiens de la paix accusés de «
non-assistance à personne en danger ».
C’est
une bien trop longue attente. Dix ans de procédure judiciaire pour
qu’un épais dossier fait de charges et d’indices graves puisse enfin se
transformer en procès. Dix ans, délai irraisonnable pour une démocratie
digne de ce nom, pendant lesquels les familles de Zyed Benna et Bouna
Traoré n’ont jamais cessé de croire en la justice. Ces deux adolescents
de Clichy-sousBois, âgés de dix-sept et quinze ans, ont péri le 27
octobre 2005 sur un site EDF où ils s’étaient engouffrés après une
course-poursuite de cinquante minutes avec des policiers. Ces morts ont
déclenché la plus importante vague de révoltes urbaines jamais connue en
France depuis 1968. Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie,
il était recouru à l’état d’urgence, le 8 novembre 2005, prolongé trois
semaines.
Aujourd’hui, deux policiers devront s’expliquer devant le tribunal correctionnel de Rennes pour « non-assistance à personne en danger ». Ils risquent cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Une dizaine d’adolescents reviennent du stade de Livry-Gargan « Il y a le temps du mensonge, puis de la vérité et, enfin, le temps long de la procédure. » C’est ainsi que maître Mignard, avocat des familles, a résumé les étapes de l’instruction, mardi dernier.
Le premier temps, en effet, fut celui du mensonge.
Dès le lendemain de la mort de Zyed et Bouna, Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, et Dominique de Villepin, premier ministre, dégageaient la police de toute responsabilité et justifiaient à demi-mot la mort des jeunes par leur tentative de fuite, à la suite d’une supposée effraction sur un chantier. Faux.
Le 27 octobre 2005, à 17 h 20, un véhicule de police est appelé à intervenir à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), sur un vol de matériel et des dégradations. Dans le même temps, une dizaine d’adolescents, âgés de quatorze à dix-sept ans, reviennent à pied du stade Marcel-Vincent de Livry-Gargan, où ils ont passé l’après-midi à jouer au football. Lorsqu’ils voient arriver la police, leur réflexe est de s’enfuir, sans savoir pourquoi. Parmi eux, Muhittin Altun, Bouna Traoré et Zyed Benna courent en direction d’un bois, puis escaladent l’enceinte du site EDF de Clichy-sous-Bois protégé par un mur en parpaings d’environ quatre mètres.
À 18 h 12, Bouna Traoré et Zyed Benna sont victimes d’un arc électrique déclenché par une trop grande proximité avec une réactance. Muhittin Altun, grièvement brûlé par l’effet de chaleur, parvient à rejoindre le quartier du Chêne Pointu. Et alerte les secours, qui découvrent sur place les corps des deux enfants , morts par électrocution.
Mais, dès le début de l’affaire, la justice ne suivra pas son cours normal. Il faudra attendre le 3 novembre, soit près de huit jours après les faits, pour que le parquet de Bobigny ouvre enfin une information judiciaire contre X, à la suite du dépôt de plainte des familles pour « non assistance à personne en danger ».
Un an plus tard, une plainte avec constitution de partie civile pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » est jointe à l’information judiciaire. Une accusation qui ne sera pas retenue par les juges d’instruction de Bobigny. Néanmoins, en octobre 2010, ils renvoient deux policiers en correctionnelle sous le chef d’accusation de « non-assistance à personne en danger ». Le premier fonctionnaire, âgé de trente-deux ans, poursuivait les enfants et avait émis le message radio : « En même temps, s’ils entrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau. » La deuxième, une policière stagiaire de vingt-huit ans, opératrice radio à la station directrice de LivryGargan, a réceptionné cet appel. Mais le parquet ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, il n’y a aucune infraction constituée. Le procureur de la République fait appel de l’ordonnance de renvoi. Et obtiendra gain de cause.
Le 27 avril 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris prononce un non-lieu pour les deux policiers… « Je n’ai jamais vu, dans aucun dossier, un parquet de la République solliciter un non-lieu alors que les témoins, les juges et les policiers enquêteurs étaient d’accord pour caractériser des faits qui pouvaient être examinés par une juridiction plénière », dénonce Me Mignard. La défense des familles se pourvoit en cassation. Le 31 octobre 2012, la haute juridiction annule le non-lieu et renvoie le dossier pour réexamen devant le cour d’appel de Rennes. « La Cour de cassation a écarté toute espèce de malentendu », estime Me Mignard. Ce qui n’empêche pas, en juin 2013, le parquet général de Rennes de requérir, comme son homologue parisien, un non-lieu des deux policiers… Demande qui, cette fois, ne sera pas suivie par la cour d’appel de Rennes, qui renvoie finalement les deux policiers en correctionnelle.
Dix ans de procédure et d’obstacles qui seront, à chaque fois, une épreuve pour les avocats comme pour les familles. « La volonté a été de ne pas juger cette affaire et de se dire que le temps ferait son œuvre, déplore Me Mignard. Une volonté d’exténuer cette procédure qui a failli réussir. Dix ans, c’est un temps immense pour nos sociétés de droit démocratique, où chacun a accès à un juge dans un délai raisonnable. » Immense aussi pour des familles avec peu de moyens matériels. « Ce procès est très important pour nous, relève Siyahka Traoré, grand frère de Bouna. Toutes ces années, ce n’était pas évident. J’attends un jugement avec impartialité et transparence. J’ai un sentiment de colère et d’incompréhension. On ne veut pas que nos petits frères soient morts pour rien. Nous voulons pouvoir faire notre deuil. On a des droits et des devoirs, mais on espère que la loi arrêtera d’en privilégier certains. »
Aujourd’hui, deux policiers devront s’expliquer devant le tribunal correctionnel de Rennes pour « non-assistance à personne en danger ». Ils risquent cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Une dizaine d’adolescents reviennent du stade de Livry-Gargan « Il y a le temps du mensonge, puis de la vérité et, enfin, le temps long de la procédure. » C’est ainsi que maître Mignard, avocat des familles, a résumé les étapes de l’instruction, mardi dernier.
Le premier temps, en effet, fut celui du mensonge.
Dès le lendemain de la mort de Zyed et Bouna, Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, et Dominique de Villepin, premier ministre, dégageaient la police de toute responsabilité et justifiaient à demi-mot la mort des jeunes par leur tentative de fuite, à la suite d’une supposée effraction sur un chantier. Faux.
Le 27 octobre 2005, à 17 h 20, un véhicule de police est appelé à intervenir à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), sur un vol de matériel et des dégradations. Dans le même temps, une dizaine d’adolescents, âgés de quatorze à dix-sept ans, reviennent à pied du stade Marcel-Vincent de Livry-Gargan, où ils ont passé l’après-midi à jouer au football. Lorsqu’ils voient arriver la police, leur réflexe est de s’enfuir, sans savoir pourquoi. Parmi eux, Muhittin Altun, Bouna Traoré et Zyed Benna courent en direction d’un bois, puis escaladent l’enceinte du site EDF de Clichy-sous-Bois protégé par un mur en parpaings d’environ quatre mètres.
À 18 h 12, Bouna Traoré et Zyed Benna sont victimes d’un arc électrique déclenché par une trop grande proximité avec une réactance. Muhittin Altun, grièvement brûlé par l’effet de chaleur, parvient à rejoindre le quartier du Chêne Pointu. Et alerte les secours, qui découvrent sur place les corps des deux enfants , morts par électrocution.
Mais, dès le début de l’affaire, la justice ne suivra pas son cours normal. Il faudra attendre le 3 novembre, soit près de huit jours après les faits, pour que le parquet de Bobigny ouvre enfin une information judiciaire contre X, à la suite du dépôt de plainte des familles pour « non assistance à personne en danger ».
Un an plus tard, une plainte avec constitution de partie civile pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » est jointe à l’information judiciaire. Une accusation qui ne sera pas retenue par les juges d’instruction de Bobigny. Néanmoins, en octobre 2010, ils renvoient deux policiers en correctionnelle sous le chef d’accusation de « non-assistance à personne en danger ». Le premier fonctionnaire, âgé de trente-deux ans, poursuivait les enfants et avait émis le message radio : « En même temps, s’ils entrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau. » La deuxième, une policière stagiaire de vingt-huit ans, opératrice radio à la station directrice de LivryGargan, a réceptionné cet appel. Mais le parquet ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, il n’y a aucune infraction constituée. Le procureur de la République fait appel de l’ordonnance de renvoi. Et obtiendra gain de cause.
Le 27 avril 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris prononce un non-lieu pour les deux policiers… « Je n’ai jamais vu, dans aucun dossier, un parquet de la République solliciter un non-lieu alors que les témoins, les juges et les policiers enquêteurs étaient d’accord pour caractériser des faits qui pouvaient être examinés par une juridiction plénière », dénonce Me Mignard. La défense des familles se pourvoit en cassation. Le 31 octobre 2012, la haute juridiction annule le non-lieu et renvoie le dossier pour réexamen devant le cour d’appel de Rennes. « La Cour de cassation a écarté toute espèce de malentendu », estime Me Mignard. Ce qui n’empêche pas, en juin 2013, le parquet général de Rennes de requérir, comme son homologue parisien, un non-lieu des deux policiers… Demande qui, cette fois, ne sera pas suivie par la cour d’appel de Rennes, qui renvoie finalement les deux policiers en correctionnelle.
Dix ans de procédure et d’obstacles qui seront, à chaque fois, une épreuve pour les avocats comme pour les familles. « La volonté a été de ne pas juger cette affaire et de se dire que le temps ferait son œuvre, déplore Me Mignard. Une volonté d’exténuer cette procédure qui a failli réussir. Dix ans, c’est un temps immense pour nos sociétés de droit démocratique, où chacun a accès à un juge dans un délai raisonnable. » Immense aussi pour des familles avec peu de moyens matériels. « Ce procès est très important pour nous, relève Siyahka Traoré, grand frère de Bouna. Toutes ces années, ce n’était pas évident. J’attends un jugement avec impartialité et transparence. J’ai un sentiment de colère et d’incompréhension. On ne veut pas que nos petits frères soient morts pour rien. Nous voulons pouvoir faire notre deuil. On a des droits et des devoirs, mais on espère que la loi arrêtera d’en privilégier certains. »
Rassemblement contre les violences policières
À la veille de l’ouverture du procès de Clichy-sous-Bois, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées hier après-midi sur le parvis des Droits-de-l’Homme, à Paris, à l’occasion de la Journée internationale contre les violences policières. « Ce dont ne se rend pas compte l’État, c’est qu’en ne réglant pas la question des discriminations et des abus, c’est les policiers qui sont les premiers à payer ça sur le terrain, puisqu’il y a une méfiance, un ressentiment qui s’installe », explique Sihame Assbague, porte-parole de Stop le contrôle au faciès, l’une des organisations présentes. « On a le sentiment qu’il y a une justice pour les citoyens et une justice qui protège la police. Ce n’est pas normal au pays des droits de l’homme », a déploré, de son côté, Amal Bentounsi, porte-parole d’Urgence notre police assassine.
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