Adrien Rouchaleou
et Émilien Urbach, L'Humanité, 22/1/2015
Manuel
Valls a dévoilé hier son plan pour lutter contre le risque terroriste.
Au programme, davantage de surveillance et un renforcement des forces
de sécurité.
Mais rien pour combattre le mal à la racine, dans les
villes et les quartiers fragilisés.
Moins
» de postes supprimés dans la défense, des « volontaires » pour le
soutien scolaire… les mesures annoncées hier par le couple exécutif sont
loin de pouvoir apporter un début de réponse viable à la situation
sociale que Manuel Valls a lui-même dénoncée. La ministre de l’Éducation
doit présenter ce jeudi d’autres dispositions, elles aussi liées à des
valeurs à défendre mais pas sur des moyens à étendre. Comme l’Humanité a
encore pu le vérifi er dans le reportage qu’elle publie sur Grigny, les
quartiers populaires en ont assez d’être « insultés » et revendiquent
l’égalité sociale et le retour des services publics. À gauche, un «
changement » vigoureux est réclamé, à l’instar du PCF qui interpelle
Manuel Valls : « Agissez avec un changement de politique. Agissez avec
un collectif budgétaire, en urgence, pour la jeunesse et les quartiers
populaires. Agissez pour l’Égalité et la Fraternité en mettant un coup
d’arrêt à des politiques injustes, ine caces dont se nourrissent les
monstres. »
Hier matin, Manuel Valls annonçait les mesures de
renforcement du dispositif de lutte contre le terrorisme prises en
Conseil des ministres. « La France est en guerre », donc… elle doit
grossir les troupes, mieux les armer et développer ses services de
renseignement, extérieur comme intérieur. Dans la salle de presse du
palais présidentiel, la mise en scène donne le ton. Le premier ministre
est debout sur son estrade. En arrière-plan, la photo projetée d’un
militaire en patrouille et l’inscription « mobilisation générale contre
le terrorisme ». Au côté du chef du gouvernement, les ministres de la
Justice, de l’Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères… et la
remarquable absence de Najat Vallaud-Belkacem et de Fleur Pellerin,
respectivement en charge de l’Éducation nationale et de la Culture, tout
comme celle de Patrick Kanner et Myriam El Khomry, ministre et
secrétaire d’État à la Ville. La veille pourtant, dans son discours de
vœux à la presse, le premier ministre avait, de manière tonitruante et
inédite de sa part, pointé une responsabilité collective lourde et
ancienne, dénonçant « un apartheid territorial, social et ethnique ».
Précisant sa pensée, il avait parlé de « relégation périurbaine et de
ghettos », problématiques auxquelles « s’additionnent les
discriminations quotidiennes, parce qu’on n’a pas le bon nom de famille,
la bonne couleur de peau ou bien parce que l’on est une femme ». Ce
mercredi, ce fut comme si ces mots n’avaient jamais été prononcés : les
mesures annoncées sont policières. Aucune ne répond à la question
sociale.
François Asensi dénonce l’abandon des quartiers populaires par l’Etat
Sur la question territoriale, par exemple, pas un mot. Une
proche collaboratrice du maire socialiste d’une grande ville de France
estime « surprenant de dénoncer un apartheid territorial en France
quand, dans le même temps, non seulement on prive les collectivités
territoriales de 11 milliards, mais on vote une réforme des quartiers
prioritaires de la politique de la ville qui nie justement la
spécificité de ces quartiers et les problématiques auxquelles ils font
face » en les traitant de la même façon que les centres de villes
moyennes. Maire Front de gauche de Tremblay-en-France, en
Seine-Saint-Denis, François Asensi dénonce, lui, la « ségrégation » :
« C’est facile aujourd’hui d’utiliser des mots chocs. Les quartiers sont
abandonnés par l’État. Il y a des responsabilités à établir : depuis
quarante ans, on assiste à une relégation de certains quartiers dans les
villes populaires. » Bon connaisseur du terrain, il fait le bilan des
dernières années : « On a fait la rénovation urbaine, on a travaillé sur
le bâti mais on n’a pas travaillé sur l’humain, sur le social. Or on a
besoin de lien social, d’éducation populaire, de citoyenneté… » C’est la
voie opposée que semble avoir actée le gouvernement hier. Celle de la
surveillance et de la répression. Alain Dru, secrétaire général de la
CGT de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), est indigné par la
volonté du premier ministre de créer une unité de veille et
d’information sur les phénomènes de radicalisation au sein de la PJJ. Il
dénonce également l’idée de la création d’une mission d’inspection
générale des services et des institutions de la PJJ. « Monsieur Valls
n’a rien compris à la situation, s’insurge-t-il. La vraie question,
c’est celle de l’abandon des jeunes après leur majorité. En réalité,
avant leurs dix-huit ans, très peu de mineurs posent problèmes. De plus,
les travailleurs sociaux ne sont pas des membres des services du
renseignement. Je ne vais pas contrôler les SMS des jeunes et analyser
les discussions qu’ils ont entre eux. Je ne vais pas m’intéresser à la
longueur de leur barbe ou à la connotation religieuse de leurs
vêtements. Il faut arrêter de parler d’islamisation et s’occuper de
santé, de logement et d’éducation. Les annonces du premier ministre ne
correspondent pas du tout au renforcement du travail social et des
capacités d’intégration dont les jeunes ont besoin. » Même du côté des
forces de l’ordre, tout le monde ne se satisfait pas totalement des
annonces de ce mercredi matin. « Les propositions du premier ministre
sont surprenantes, réagissait, pour sa part, Nicolas Comte,
secrétaire
général du syndicat Unité SGP-FO de la police nationale. On ne peut que
saluer la création de postes supplémentaires mais ça reste insuffisant
face à la suppression, entre 2008 et 2012, des 13 000 agents de police
et gendarmes. » Pour le fonctionnaire de police : « Aller au contact de
la population ça prend du temps et ça ne se traduit pas en chiffre. Un
policier qui va faire un travail, en profondeur, de présence sur un
quartier ne peut être guidé par la politique du chiffre. On ne peut
chiffrer la prévention. Les moyens ne sont pas là pour une réelle
police de proximité qui, en s’implantant quotidiennement dans certains
quartiers, pourrait faire un réel travail
de renseignement et
signifier, dans ces zones, une vraie présence de l’État. On reste sur
des mesures d’urgence. » Et si la meilleure des solutions, plutôt que
d’agiter les bras, n’était pas de prendre le temps du diagnostic, avec
ceux du terrain, travailleurs sociaux, citoyens… ?
Le mot « Apartheid » crispe le monde politique
Il existe « un apartheid territorial, social et ethnique ». La
déclaration de Manuel Valls, mardi soir, lors de ses vœux à la presse, a
surpris son monde… et déclenché une nouvelle polémique. Pour le Front
de gauche François Asensi, « l’expression “apartheid ethnique” est irresponsable ». Proche du premier ministre, le député Jean-Jacques Urvoas a lui-même qualifié le mot de « maladroit » : « Je n’aurais pas choisi ce mot-là, car il est connoté historiquement et géographiquement. » François de Rugy, coprésident du groupe EELV, estime que le terme « ghetto » aurait été « beaucoup
plus juste », « mais le premier ministre visait à nommer les choses et à
regretter que, par exemple, après les émeutes de 2005 (…) on ait
refermé un peu trop vite ce qui
est apparu comme
une parenthèse ».
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http://rue89.nouvelobs.com/…/apologie-dacte-terrorisme-jai-…
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