Récemment mariée, j’ai rejoint mon époux au Maroc. Il avait créé son
entreprise et nous voulions tenter une nouvelle vie, dans un nouveau
pays. Nous étions bien ensemble, je m’adaptais plus ou moins au Maroc
mais lui était là depuis quelques années déjà et il m’aidait à découvrir
de quoi me plaire ici : les balades, les mosquées, les gens chaleureux.
Fin
octobre 2014 marque le début du calvaire. Une dizaine de policiers en
civil sont entrés chez nous. Ils ont fouillé calmement l’appartement et
emporté tout notre matériel informatique ainsi que des livres des plus
communs dans le monde musulman: le dogme du croyant, les histoires des
prophètes, etc.
Ils ne nous ont pas informé du motif d’arrestation,
c’était une décision du Procureur. Malgré nos recherches incessantes,
personne ne nous dira les raisons de l’arrestation et ce ne sera que
dans les médias que nous apprendrons, dès le lendemain, que mon mari
aurait prêté allégeance à daesh et qu’il voulait partir combattre
là-bas… C’est pourtant le contraire, mon mari désapprouve totalement ce
qu’il se passe en Syrie.
Etranger au Maroc, barbu et priant
régulièrement à la mosquée, mon mari se savait surveillé mais il n’a
jamais eu aucun problème, répondant aux questions des policiers: il a en
effet une vie simple, des idées sages. Certes, le Maroc reconnait
l’islam comme religion, mais ici comme en France, politique et religion
coexistent difficilement.
J’ai demandé à celui qui me semblait être
le commissaire comment pourrais-je avoir des nouvelles de mon mari car
il est ma seule famille ici ; il m’a alors laissé l’adresse où il sera
emmené le soir même: la police judiciaire de Casablanca. Bouleversée,
j’ai appelé la seule amie que je connaisse ici dans cette ville. Elle
est française comme moi et la police est chez son époux en ce moment
même ! Elle ne s’inquiétait pas et pensait que ce n’était qu’une
formalité car de toute façon, il n’avait rien à se reprocher. Son époux
venait d’ailleurs de commencer son premier jour de travail dans une
grosse société.
A 23h, le commissaire m’a appelé et m’a dit que je
pourrais prendre des nouvelles via ce numéro. Chaque jour j’appellerais,
essayant de comprendre ce qu’il se passe et d’avoir enfin droit à une
explication officielle de ce qu’ils font avec mon époux. La nuit fut
difficile, seule dans cet appartement froid et encore peu familier… La
nuit suivante, je dormirais chez mon amie, avec ses trois enfants : les
enfants dorment dans la chambre de maman et ils me prêtent la leur. Ce
sera comme cela pour tous les jours suivants, jusqu’à ce que je déménage
et rende notre appartement. Cette situation ne va pas se résoudre
tout-de-suite, nous l’avions rapidement compris…
Lorsque je
réussissais à joindre le commissaire, il me disait que tout allait bien,
que mon mari était bien traité, que ça se finirait bientôt… Mais au
bout du sixième jour, j’ai fait ma première crise d’angoisse car dans
les médias, ils ont sortis « les premières conclusions de l’enquête ».
Nos maris seraient de la pire des espèces : outre l’allégeance à daesh
et le projet de partir en Syrie, ils auraient eu l’intention de braquer
des banques, d’attaquer des personnalités et lieux symboliques ou encore
de fabriquer une bombe ! Ah oui, et ils auraient pris pour modèle
Mohamed Merah ! Avec du recul franchement, c’est un gros mic-mac
grotesque mais sur le coup, j’ai été prise par une grande angoisse car
nous voilà plongées dans un surréalisme total, quelque chose qui nous
dépasse : il y a un mauvais plan sur le dos de nos maris. Les
accusations sont lourdes, les preuves sont absentes mais la scène
continue… Qui est responsable de cela ? Nous avons entendu beaucoup de
choses depuis cette affaire, sans réponse à ce jour…
Le commissaire
de police ne nous expliquait toujours pas ce qui était reproché à nos
maris mais il nous a toutefois conseillé à plusieurs reprises de prendre
un avocat, ce que nous avons fait. Au bout de dix jours, ce même
commissaire m’a vivement convié à venir à la police judiciaire car
j’avais demandé à récupérer mon matériel informatique, ce qui était dans
mon droit étant donné que je ne faisais pas partie de l’enquête. Les
policiers ont été extrêmement gentils avec moi, cela a même étonné
l’avocate qui était présente. Un policier m’a même dit : « ne vous
inquiétez pas, votre mari n’a rien fait, il va bientôt sortir ». Ils
m’ont laissé voir mon époux deux minutes dans le couloir et je me
souviens seulement l’avoir trouvé pâle et affaibli alors qu’il tentait
de me rassurer sur son état… J’ai appris plus tard que lorsqu’ils
arrêtent de vrais terroristes, rien de tout cela n’ait possible.
Le
consulat et ses agents nous ont reçu, ils se sont montrés rassurants :
« vous savez, depuis que je travaille ici, je n’ai jamais connu de cas
d’innocents condamnés » « Vous êtes là depuis combien de temps ? » « Un
an… » Ou encore « n’écoutez pas les médias, vous savez bien qu’ils ne
disent pas toujours la vérité » Oui mais là, ils ont rédigé leur article
d’après un communiqué du ministère de l’intérieur… Quoiqu’il en soit,
ils ne peuvent rien faire pour nous si ce n’est s’assurer du respect des
conditions de la protection consulaire.
Bref, tous essayaient de
nous rassurer mais nous, on ne l’était pas car on sentait que quelque
chose ne tournait pas rond, comme si tout se décidait hors de tous faits
réels.
Plus
tard, nous apprendrons que le Maroc venait de mettre en place le plan
HADAR qui vise à lutter contre le terrorisme en renforçant notamment le
pouvoir des tribunaux et en facilitant l’arrestation d’étrangers. Plus
tard, nous saurons aussi que le Maroc et la France sont en froid
diplomatique, ce qui a pour conséquence notamment de geler les
transferts de prisonniers français. Notre avocat explique d’ailleurs
l’arrestation de mon mari pour ces raisons là, ce qui en fait d’après
lui un otage politique, tout simplement.
De nombreux Français se sont
fait arrêter comme nos maris et ce en l’espace d’un mois entre fin
octobre et fin novembre. De nombreuses familles de victimes incarcérées
plaident leur innocence mais personne ne fait rien.
Cinq semaines
plus tard, nos maris sont passés devant le juge d’instruction: c’était
la fin de l’enquête dite judiciaire, même si aucune enquête
complémentaire à celle menée par la police n’a été faite puisqu’à aucun
moment, nos maris ou leurs proches n’ont été questionnés. En fait, tout
semble se baser sur le procès-verbal qui a été signé durant leurs douze
jours de garde à vue à la police judiciaire. Les avocats sont sortis
optimistes selon leurs dires, il n’y avait vraiment rien contre eux.
Certes, nous le savions déjà…
Mais ils sont encore à la prison de Salé dans des conditions très
difficiles: mon mari n’a pas de lit, il souffre du froid, du manque
d’hygiène car la douche n’est permise qu’une fois par semaine et il y a
beaucoup de cafards. Sans parler de tout ce qu’engendre la vie en
prison… Quant à nous en tant qu’épouse, notre vie est mise entre
parenthèse et nous avons beaucoup à gérer, en plus de l’incertitude sur
l’avenir qui nous ait réservé.
Nous avons fait le choix de ne pas
interpeller tout-de-suite les médias, principalement pour notre sécurité
au Maroc et aussi, car on espère encore que les autorités marocaines
reconnaissent leur erreur. Il faut aussi dire qu’il est difficile de
faire confiance à des journalistes au vue du manque de scrupule qu’ils
ont eu en se contentant à l’unanimité, de diffuser un communiqué du
ministère sans aucune vérification. Un journal papier est même allé
jusqu’à publier la photo de nos époux, photo obtenue très certainement à
la police judiciaire de Casablanca. On a su cela par une voisine, donc
on peut estimer être passé à côté d’autres calomnies…
C’est seulement
dans le cas où nos maris seraient condamnés que nous ferons une
communication à grande échelle, en publiant notamment le procès-verbal
qu’il a signé. Il s’est battu pour que celui-ci soit modifié à plusieurs
reprises car les policiers cherchaient à tordre le moindre de ses
propos et à lui faire avouer ce qu’il n’a jamais eu l’intention de
commettre. Mon mari a, contrairement à d’autres français arrêtés, étudié
l’arabe littéraire ce qui lui a permis de comprendre en partie le
procès-verbal. Dieu merci, il n’a donc signé aucun aveu sur les
accusations qui lui sont portées.
C’est une grande épreuve que
d’être séparée de mon époux mais nous avons une grande confiance
mutuelle. Il m’a aussi fallu accepter que les mots « arrestation »,
« prison », « juge », « police » me deviendraient familiers alors même
que je n’avais jamais rien eu avoir avec cela. Plus que comprendre
l’injustice, je la vis directement et je sais aujourd’hui que tous ceux
qui sont en prison ne sont pas tous coupables…
Certes, il y a une
psychose ambiante sur le terrorisme ce qui rend difficilement audible la
cause de mon mari et ce qu’il subit en ce moment même. La peur empêche
le raisonnement et bon nombre de personnes n’arrive plus à voir clair et
à faire la part des choses. Pourtant, mon mari est un homme si gentil,
qui ne veut du mal à personne…
J’ai choisi d’écrire ce bref
témoignage pour partager ce que je vis en ces temps troublés. Je me sens
prise entre le marteau et l’enclume, comme si deux injustices se
répondaient, celle de partisans de daesh qui, sous couvert d’être au
service de Dieu, propagent la division et la barbarie et celle commise
par un arsenal politico-juridique commettant impunément des violations
évidentes aux droits les plus fondamentaux. Aujourd’hui plus qu’hier, il
devient urgent pour chacun de se désavouer de toute violence et de tout
obscurantisme d’où qu’ils viennent… Tirer sur la corde de la peur
maintenue sous le couvercle de l’ignorance ou chercher un ennemi hors de
soi-même est une voie vite empruntée et suivie par l’être humain, mais
elle ne donne jamais de bons résultats. N’oublions pas ce que l’histoire
nous a appris et en attendant, prions pour que ce monde devienne
meilleur.
Vous pouvez me joindre sur cette boîte mail : enquetencoursfnb@yahoo.com ou Nadia Dbs sur facebook. Merci de votre soutien.
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