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vendredi 2 janvier 2015

Ces personnes qui veillent sur l’image du roi Mohamed VI


Par Ibrahim Benbrik

L'une des photos du net que le Palais veut zapper (Photo DR)
Mohamed VI(Photo DR)
Depuis l’indépendance du Maroc en 1956, le pouvoir marocain a consacré une importance considérable à la télévision au point d’en faire quelque chose de « sacrée ». Conscient de l’influence qu’un tel instrument peut exercer sur les esprits et les sentiments des marocains, le pouvoir continue de la contrôler d’une main de fer.
Depuis les années soixante du siècle dernier, la ligne éditoriale de la télévision est caractérisée par une inertie patente et les initiatives personnelles au sein des chaines officielles sont qualifiées de « dérapages » et coûtent souvent très cher à leurs auteurs qui ont été marginalisés ou révoqués.
Le dernier « dérapage » en date s’est produit en juin dernier lorsque la deuxième chaine 2M a diffusé un reportage sur la visite du roi en Tunisie en y intégrant une de ses photos provenant de sa page Facebook. Le sujet avait provoqué le courroux du ministère de la Maison royale du protocole et de la chancellerie. Le ministère avait adressé un vif communiqué à la chaine pour la « recadrer ». Le dossier a aussitôt était classé et le journaliste auteur du reportage sanctionné.
Mais la question demeure toujours posée : pourquoi la diffusion des photos du roi sur Facebook est permise voire même encouragée alors que les médias officiels se font tancer pour la diffusion de ces mêmes photos ?
Pour Abdellah Moustafaoui, professeur de communication et de relations publiques à l’université Columbia de New York, « les rôles sont répartis entre les responsables de la communication du roi. Ils savent que les différentes catégories sociales ne perçoivent pas Mohamed VI de la même manière » et d’ajouter : « les jeunes aiment que le roi interagisse avec eux sur les réseaux sociaux en partageant des selfies par exemple cependant qu’un nombre important de marocains voient dans le roi le Commandeur des croyants détenteur de la baraka et dont la relation avec les gens doit être empreinte d’une certaine prestance qui a caractérisé les sultans alaouites depuis des siècles ».
Moustafaoui poursuit : « leur objectif est d’augmenter au maximum la cote de popularité du souverain en le présentant comme un roi moderne qui attire la jeunesse sur Facebook tout en préservant l’ancienne image d’un roi classique dans les médias traditionnels ».
 
Six personnes participent à l’entretien de l’image du roi Mohamed 6 dans l’esprit des Marocains:

Soufiane Elbahri
Soufiane Elbahri.
Soufiane Elbahri.
Jeune marocain de 23 ans que le quotidien espagnol El Pais a qualifié de « personne obsédée par le roi Mohamed VI ». Il a créé une page Facebook réunissant plus de deux millions de fans et qui connait un succès fulgurant grâce à la diffusion de photos inédites du roi.
La page intitulée « le roi du Maroc : Mohamed VI » publie des photos de la vie privée du roi. L’administrateur de la page affirme que la seule motivation qui l’anime est son « amour sincère pour le roi ». Toutefois, la manière dont Soufiane Elbahri se procure ces photos intrigue plus d’un d’autant que les plus grandes agences de presse people peinent à mettre la main sur ces clichés. Le spécialiste des réseaux sociaux Mohamed Abdelkrim répond à cela en disant que « le jeune Soufiane est nécessairement mandaté pour faire circuler ces photos auprès des jeunes sur les réseaux sociaux ».
Le journal espagnol El Pais s’étonne que Soufiane ait publié des photos privées du roi en Tunisie sans susciter la moindre protestation alors que le cabinet royal avait vigoureusement réagi lorsque la télévision avait diffusé les mêmes photos.
Abellatif Bensfia, professeur de communication et de relations publiques à l’Institut supérieur de journalisme et de communication de Rabat précise que « les leaders arabes, Mohamed VI compris, connaissent bien l’influence des médias sociaux sur les populations et savent que des personnalités dissidentes ont connu un franc succès sur Facebook et Twitter ».
Bensfia affirme que « le théoricien canadien de la communication, Marshall Mac Luhan, répétait souvent « l’outil, c’est le discours et les leaders utilisant les nouveaux outils veulent faire passer le message suivant : nous aussi nous sommes des personnes ‘dans le coup’, modernes et progressistes ».
De son côté, le professeur Moustafaoui précise que « les régimes sont en quête de soutien et de légitimité et veulent couper l’herbe sous les pieds de leurs opposants après que Facebook ait prouvé sa redoutable efficacité de mobilisation durant les révolutions des printemps démocratiques ».
L’auteur de cet article a essayé de contacter Soufiane Elbahri à plusieurs reprises pour recueillir son point de vue mais sans résultat.

Fayçal Laraichi
Fayçal Laraichi.
Fayçal Laraichi.
L’empereur du pôle public (sept chaines publiques en plus de la radio nationale) depuis 15 ans. Il a étudié les mathématiques et a obtenu un diplôme d’ingénieur à Paris en 1985. Ses adversaires lui reprochent « d’être débarqué dans un secteur qu’il ne maitrise pas » tandis que ses sympathisants rappelle qu’en 1989, l’homme a acquis de l’expérience en dirigeant « Sigma », une société de production audiovisuelle.
Avec l’intronisation de Mohamed VI en 1999, Fayçal Laraichi devient le nouveau directeur de la radiotélévision marocaine et modifiera la stratégie de communication du Palais à l’égard de la presse. Quelques mois plus tard, il surprend les Marocains avec la diffusion de photos privées de la famille royale où l’épouse du roi apparait pour la première fois. Dans le passé, les femmes des sultans alaouites n’apparaissaient pas dans les médias.
Toutefois, même si les communicateurs du roi ont ouvert les portes du Palais aux médias officiels à l’occasion de certains événements familiaux, les photos et les séquences rendues publiques continuent d’être minutieusement filtrées.
Une source de « l’équipe chargée des activités royales » au sein de la première chaine marocaine confie : « des instructions continuent de nous parvenir concernant les photos du roi. On nous interdit de prendre des gros plans sur le visage du roi ». Et d’ajouter : « suite à une rumeur sur la maladie du roi, on nous a demandé de prendre des plans larges qui ne montrent pas ses traits de visage ».
Parmi les autres interdictions classiques, les discussions du roi en aparté avec les gens ou encore le fait de le montrer dans des situations gênantes.
Des « bourdes » et parfois des « fautes » se sont produites et qui ont coûté leur place à leurs auteurs durant les soixante années d’existence de la télévision officielle, qui est largement suivie dans les campagnes.
Une source au sein de la radio nationale ayant préféré gardé l’anonymat confie qu’un des directeurs de la rédaction a été limogé pour avoir omis de programmer les activités royales au début du journal télévisé (JT). Une autre fois, une « colère royale » a fait perdre sa place à une autre personne pour la même raison. Et la source d’ajouter : « on nous a informé que le roi écoutait la radio nationale en se rendant à Fès et s’étonna que le JT démarrait sans couvrir son activité. Il était furieux et le directeur a été immédiatement limogé ».
Le professeur Moustafaoui précise : « les autorités connaissent la valeur de la télévision et de la radio » en ajoutant : « pour des millions de marocains au niveau d’instruction modeste et vivant dans les campagnes mais aussi dans les villes, les principales sources d’information sont les chaines nationales. Ces personnes sont obligées de voir le roi au début de chaque JT ».
Khalil Hachimi El Idrissi
Khalil Hachimi Idrissi.
Khalil Hachimi Idrissi.
Nommé en 2010 au poste de directeur général de l’agence Maghreb Arabe Presse (MAP), il succède à Ali Bouzerda, victime, selon la presse marocaine de manigances orchestrées par des personnes de l’entourage royal.
Dans le passé, des sécuritaires ont eu la charge de ce poste comme Yassine Mansouri, l’actuel directeur général de l’espionnage marocain.
La MAP a été créée en 1959 par le journaliste marocain Mehdi Bennouna pour couvrir l’information en Afrique du Nord et promouvoir l’Unité maghrébine. Hassan II parviendra à intégrer l’agence dans le giron de l’Etat et la transformer en agence officielle traitant essentiellement de l’information nationale et notamment les activités de la famille royale.
Comme toutes les agences officielles du monde arabe, la MAP défend la version officielle des faits. Elle couvre les activités des hauts responsables de l’Etat et s’est dotée d’une « équipe des activités royales ». Depuis l’accession au trône de Mohamed VI, la MAP a subi de profondes transformations notamment au niveau de son organigramme.
L’expert des médias Mohamed Abdelkrim précise que « la MAP a perdu de son prestige avec l’avènement des nouvelles technologies qui ont bouleversé le marché de l’information dans le monde arabe. Depuis l’arrivée de Hachimi Idrissi, les responsables de l’agence tentent de s’arrimer au progrès technique en proposant de nouveaux services comme la vidéo et l’interaction sur les réseaux sociaux.  Mais l’agence continue d’exercer la fonction de porte parole du Palais ».

Chakib Laaroussi
Chakib Laaroussi.
Chakib Laaroussi.
Homme des médias chargé de communication au cabinet royal. Il a travaillé comme journaliste à la MAP et a été nommé à la tête de la direction des études et de développement des médias au sein du ministère de la communication.
La presse indépendante au Maroc s’attendait qu’il soit nommé directeur général de la MAP après avoir obtenu en 2005 l’Ordre national du Mérite en France pour « ses qualités distinguées dans le secteur de la communication au Maroc ».
Récemment la presse marocaine a rapporté sa mise à la retraite après avoir été démis de ses fonctions au Palais et remplacé par Karim Bouzida.
Selon Akhbar Al Youm, Karim Bouzida, ancien membre du cabinet du conseiller royal Fouad Ali Himma a succédé à Laaroussi pour organiser la communication au sein de Palais royal.
Bouzida qui a fait ses débuts dans les agences de publicités casablancaises collaborait aux côtéx de Fouad Ali El Himma après que ce dernier ait quitté le ministère de l’Intérieur en 2007 et a créé une entreprise de consulting en communication à Rabat.
Ses nouvelles missions en tant que responsable de la communication au Palais royal sont limitées aux moyens traditionnels de communication à travers la télévision officielle et les images des activités royales. La plupart du temps, son rôle ne va pas au-delà de la convocation de photographes et de caméramans de la télévision pour leur désigner le lieu du tournage et les angles de prises de vue.
Pour l’analyste politique Abdellah Aknar « le Palais est hermétique à l’opinion publique forgée par la presse nationale indépendante. Jusqu’en 2014, les rois et les princes alaouites ne reconnaissent pas la presse indépendante et refusent de lui accorder des entretiens. Tous les entretiens du roi sont réalisés avec la presse étrangère».

Abdeljawad Belhaj
Jawad Belhaj.
Jawad Belhaj.
Nommé directeur du protocole par le roi en 2010. Auparavant, il avait occupé plusieurs postes : responsable du service des réceptions officielles au Parlement entre 1986 et 1988, responsable du service du protocole et des fêtes officielles au Parlement en 1988 puis directeur de cabinet dans plusieurs ministères.
Le directeur du protocole et de la chancellerie est le fonctionnaire du Palais le plus proche du roi. Il entretient un contact direct avec les princes et les princesses et connait bien les rouages du pouvoir, le tempérament de celui qui gouverne et la nature de ses relations avec l’ensemble des membres de la famille régnante.
Il veille au respect et à l’application stricte du protocole et accorde une attention particulière à la distance que doit observer chaque personne à l’égard du roi.
Parmi les personnalités célèbres ayant occupé ce poste, on peut citer le général Hafid Alaoui connu pour son extrême rigidité dans la manière de faire respecter le protocole. La presse marocaine avait d’ailleurs largement commenté la fois où il avait brutalement poussé un ministre au sol !
Selon Abdellah Aknar « sa réputation faisait peur au reste des fonctionnaires de Hassan II mais l’arrivée de Mohamed VI marquera un changement dans la mission du directeur du protocole qui s’exerce désormais avec tact et sagesse et reflète une autre image dans la manière d’exercer le pouvoir ».

Abdelhaq Lemrini
Lemrini.
Abdelhaq Lemrini.
En 2012, Mohamed VI le nomme historien du royaume et porte parole du Palais. Il a précédemment occupé le poste de directeur du protocole et de la chancellerie.
L’institution n’a toutefois pas accompagné l’ouverture médiatique partielle enclenchée par l’arrivée de Mohamed VI à la tête du pays. Malgré le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le porte parole du Palais royal refuse toujours de communiquer avec la presse. Il se limite à rédiger quelques communiqués qu’il récite à la télévision sans permettre à la presse de lui poser des questions ou faire des commentaires.
Abdellah Moustafaoui rappelle que le vieil adage marocain : « pour être au courant de ce qui se passe au Maroc, mieux vaut chercher à l’extérieur » est toujours une réalité dans le Maroc de la nouvelle ère.
Il ajoute : « le Palais ne communique qu’à l’occasion d’événements particuliers tandis que la stratégie communicationnelle de Mohamed VI est assez souple avec les nouveaux médias. Les réseaux sociaux regorgent de photos privées de la famille royale et c’est quelque chose de nouveau mais ceci reste limité par rapport à d’autres monarchies dans le monde ».
Ibrahim Benbrik
Source : Al Araby
Traduit de l’arabe vers le français par Rida Benotmane
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