Par Ibrahim Benbrik
Depuis l’indépendance du Maroc en 1956, le pouvoir marocain a
consacré une importance considérable à la télévision au point d’en
faire quelque chose de « sacrée ». Conscient de l’influence qu’un tel
instrument peut exercer sur les esprits et les sentiments des marocains,
le pouvoir continue de la contrôler d’une main de fer.
Depuis les années soixante du siècle dernier, la ligne éditoriale de
la télévision est caractérisée par une inertie patente et les
initiatives personnelles au sein des chaines officielles sont qualifiées
de « dérapages » et coûtent souvent très cher à leurs auteurs qui ont
été marginalisés ou révoqués.
Le dernier « dérapage » en date s’est produit en juin dernier lorsque la deuxième chaine 2M a diffusé un reportage sur la visite du roi en Tunisie en y intégrant une de ses photos provenant de sa page Facebook.
Le sujet avait provoqué le courroux du ministère de la Maison royale du
protocole et de la chancellerie. Le ministère avait adressé un vif
communiqué à la chaine pour la « recadrer ». Le dossier a aussitôt était
classé et le journaliste auteur du reportage sanctionné.
Mais la question demeure toujours posée : pourquoi la diffusion des photos du roi sur Facebook est permise voire même encouragée alors que les médias officiels se font tancer pour la diffusion de ces mêmes photos ?
Pour Abdellah Moustafaoui, professeur de communication et de relations publiques à l’université Columbia de New York, « les
rôles sont répartis entre les responsables de la communication du roi.
Ils savent que les différentes catégories sociales ne perçoivent pas
Mohamed VI de la même manière » et d’ajouter : « les jeunes
aiment que le roi interagisse avec eux sur les réseaux sociaux en
partageant des selfies par exemple cependant qu’un nombre important de
marocains voient dans le roi le Commandeur des croyants détenteur de la
baraka et dont la relation avec les gens doit être empreinte d’une
certaine prestance qui a caractérisé les sultans alaouites depuis des
siècles ».
Moustafaoui poursuit : « leur objectif est d’augmenter au maximum
la cote de popularité du souverain en le présentant comme un roi
moderne qui attire la jeunesse sur Facebook tout en préservant
l’ancienne image d’un roi classique dans les médias traditionnels ».
Six personnes participent à l’entretien de l’image du roi Mohamed 6 dans l’esprit des Marocains:
Soufiane Elbahri
Jeune marocain de 23 ans que le quotidien espagnol El Pais a qualifié de « personne obsédée par le roi Mohamed VI ». Il a créé une page Facebook réunissant plus de deux millions de fans et qui connait un succès fulgurant grâce à la diffusion de photos inédites du roi.
La page intitulée « le roi du Maroc : Mohamed VI » publie des photos
de la vie privée du roi. L’administrateur de la page affirme que la
seule motivation qui l’anime est son « amour sincère pour le roi ».
Toutefois, la manière dont Soufiane Elbahri se procure ces photos
intrigue plus d’un d’autant que les plus grandes agences de presse
people peinent à mettre la main sur ces clichés. Le spécialiste des
réseaux sociaux Mohamed Abdelkrim répond à cela en disant que « le jeune Soufiane est nécessairement mandaté pour faire circuler ces photos auprès des jeunes sur les réseaux sociaux ».
Le journal espagnol El Pais s’étonne que Soufiane ait publié
des photos privées du roi en Tunisie sans susciter la moindre
protestation alors que le cabinet royal avait vigoureusement réagi
lorsque la télévision avait diffusé les mêmes photos.
Abellatif Bensfia, professeur de communication et de
relations publiques à l’Institut supérieur de journalisme et de
communication de Rabat précise que « les leaders arabes, Mohamed VI
compris, connaissent bien l’influence des médias sociaux sur les
populations et savent que des personnalités dissidentes ont connu un
franc succès sur Facebook et Twitter ».
Bensfia affirme que « le théoricien canadien de la communication, Marshall Mac Luhan,
répétait souvent « l’outil, c’est le discours et les leaders utilisant
les nouveaux outils veulent faire passer le message suivant : nous aussi
nous sommes des personnes ‘dans le coup’, modernes et progressistes ».
De son côté, le professeur Moustafaoui précise que « les régimes
sont en quête de soutien et de légitimité et veulent couper l’herbe sous
les pieds de leurs opposants après que Facebook ait prouvé sa
redoutable efficacité de mobilisation durant les révolutions des
printemps démocratiques ».
L’auteur de cet article a essayé de contacter Soufiane Elbahri à
plusieurs reprises pour recueillir son point de vue mais sans résultat.
Fayçal Laraichi
L’empereur du pôle public (sept chaines publiques en plus de la radio
nationale) depuis 15 ans. Il a étudié les mathématiques et a obtenu un
diplôme d’ingénieur à Paris en 1985. Ses adversaires lui reprochent « d’être débarqué dans un secteur qu’il ne maitrise pas » tandis que ses sympathisants rappelle qu’en 1989, l’homme a acquis de l’expérience en dirigeant « Sigma », une société de production audiovisuelle.
Avec l’intronisation de Mohamed VI en 1999, Fayçal Laraichi
devient le nouveau directeur de la radiotélévision marocaine et
modifiera la stratégie de communication du Palais à l’égard de la
presse. Quelques mois plus tard, il surprend les Marocains avec la
diffusion de photos privées de la famille royale où l’épouse du roi
apparait pour la première fois. Dans le passé, les femmes des sultans
alaouites n’apparaissaient pas dans les médias.
Toutefois, même si les communicateurs du roi ont ouvert les portes du
Palais aux médias officiels à l’occasion de certains événements
familiaux, les photos et les séquences rendues publiques continuent
d’être minutieusement filtrées.
Une source de « l’équipe chargée des activités royales » au sein de la première chaine marocaine confie : « des
instructions continuent de nous parvenir concernant les photos du roi.
On nous interdit de prendre des gros plans sur le visage du roi ». Et d’ajouter : « suite à une rumeur sur la maladie du roi, on nous a demandé de prendre des plans larges qui ne montrent pas ses traits de visage ».
Parmi les autres interdictions classiques, les discussions du roi en
aparté avec les gens ou encore le fait de le montrer dans des situations
gênantes.
Des « bourdes » et parfois des « fautes » se sont produites et qui
ont coûté leur place à leurs auteurs durant les soixante années
d’existence de la télévision officielle, qui est largement suivie dans
les campagnes.
Une source au sein de la radio nationale ayant préféré gardé
l’anonymat confie qu’un des directeurs de la rédaction a été limogé pour
avoir omis de programmer les activités royales au début du journal
télévisé (JT). Une autre fois, une « colère royale » a fait perdre sa place à une autre personne pour la même raison. Et la source d’ajouter : « on
nous a informé que le roi écoutait la radio nationale en se rendant à
Fès et s’étonna que le JT démarrait sans couvrir son activité. Il était
furieux et le directeur a été immédiatement limogé ».
Le professeur Moustafaoui précise : « les autorités connaissent la valeur de la télévision et de la radio » en ajoutant :
« pour des millions de marocains au niveau d’instruction modeste et
vivant dans les campagnes mais aussi dans les villes, les principales
sources d’information sont les chaines nationales. Ces personnes sont
obligées de voir le roi au début de chaque JT ».
Khalil Hachimi El Idrissi
Nommé en 2010 au poste de directeur général de l’agence Maghreb Arabe Presse (MAP), il succède à Ali Bouzerda, victime, selon la presse marocaine de manigances orchestrées par des personnes de l’entourage royal.
Dans le passé, des sécuritaires ont eu la charge de ce poste comme Yassine Mansouri, l’actuel directeur général de l’espionnage marocain.
La MAP a été créée en 1959 par le journaliste marocain Mehdi Bennouna pour couvrir l’information en Afrique du Nord et promouvoir l’Unité maghrébine. Hassan II
parviendra à intégrer l’agence dans le giron de l’Etat et la
transformer en agence officielle traitant essentiellement de
l’information nationale et notamment les activités de la famille royale.
Comme toutes les agences officielles du monde arabe, la MAP défend la
version officielle des faits. Elle couvre les activités des hauts
responsables de l’Etat et s’est dotée d’une « équipe des activités royales ».
Depuis l’accession au trône de Mohamed VI, la MAP a subi de profondes
transformations notamment au niveau de son organigramme.
L’expert des médias Mohamed Abdelkrim précise que « la
MAP a perdu de son prestige avec l’avènement des nouvelles technologies
qui ont bouleversé le marché de l’information dans le monde arabe.
Depuis l’arrivée de Hachimi Idrissi, les responsables de l’agence
tentent de s’arrimer au progrès technique en proposant de nouveaux
services comme la vidéo et l’interaction sur les réseaux sociaux. Mais
l’agence continue d’exercer la fonction de porte parole du Palais ».
Chakib Laaroussi
Homme des médias chargé de communication au cabinet royal. Il a
travaillé comme journaliste à la MAP et a été nommé à la tête de la
direction des études et de développement des médias au sein du ministère
de la communication.
La presse indépendante au Maroc s’attendait qu’il soit nommé
directeur général de la MAP après avoir obtenu en 2005 l’Ordre national
du Mérite en France pour « ses qualités distinguées dans le secteur de la communication au Maroc ».
Récemment la presse marocaine a rapporté sa mise à la retraite après avoir été démis de ses fonctions au Palais et remplacé par Karim Bouzida.
Selon Akhbar Al Youm, Karim Bouzida, ancien membre du cabinet du conseiller royal Fouad Ali Himma a succédé à Laaroussi pour organiser la communication au sein de Palais royal.
Bouzida qui a fait ses débuts dans les agences de publicités
casablancaises collaborait aux côtéx de Fouad Ali El Himma après que ce
dernier ait quitté le ministère de l’Intérieur en 2007 et a créé une
entreprise de consulting en communication à Rabat.
Ses nouvelles missions en tant que responsable de la communication au
Palais royal sont limitées aux moyens traditionnels de communication à
travers la télévision officielle et les images des activités royales. La
plupart du temps, son rôle ne va pas au-delà de la convocation de
photographes et de caméramans de la télévision pour leur désigner le
lieu du tournage et les angles de prises de vue.
Pour l’analyste politique Abdellah Aknar « le
Palais est hermétique à l’opinion publique forgée par la presse
nationale indépendante. Jusqu’en 2014, les rois et les princes alaouites
ne reconnaissent pas la presse indépendante et refusent de lui accorder
des entretiens. Tous les entretiens du roi sont réalisés avec la presse
étrangère».
Abdeljawad Belhaj
Nommé directeur du protocole par le roi en 2010. Auparavant, il avait
occupé plusieurs postes : responsable du service des réceptions
officielles au Parlement entre 1986 et 1988, responsable du service du
protocole et des fêtes officielles au Parlement en 1988 puis directeur
de cabinet dans plusieurs ministères.
Le directeur du protocole et de la chancellerie est le fonctionnaire
du Palais le plus proche du roi. Il entretient un contact direct avec
les princes et les princesses et connait bien les rouages du pouvoir, le
tempérament de celui qui gouverne et la nature de ses relations avec
l’ensemble des membres de la famille régnante.
Il veille au respect et à l’application stricte du protocole et
accorde une attention particulière à la distance que doit observer
chaque personne à l’égard du roi.
Parmi les personnalités célèbres ayant occupé ce poste, on peut citer le général Hafid Alaoui connu pour son extrême rigidité dans la manière de faire respecter le protocole. La presse marocaine avait d’ailleurs largement commenté la fois où il avait brutalement poussé un ministre au sol !
Selon Abdellah Aknar « sa réputation faisait peur au reste des
fonctionnaires de Hassan II mais l’arrivée de Mohamed VI marquera un
changement dans la mission du directeur du protocole qui s’exerce
désormais avec tact et sagesse et reflète une autre image dans la
manière d’exercer le pouvoir ».
Abdelhaq Lemrini
En 2012, Mohamed VI le nomme historien du royaume et porte parole du
Palais. Il a précédemment occupé le poste de directeur du protocole et
de la chancellerie.
L’institution n’a toutefois pas accompagné l’ouverture médiatique
partielle enclenchée par l’arrivée de Mohamed VI à la tête du pays.
Malgré le développement des nouvelles technologies de l’information et
de la communication, le porte parole du Palais royal refuse toujours de
communiquer avec la presse. Il se limite à rédiger quelques communiqués
qu’il récite à la télévision sans permettre à la presse de lui poser des
questions ou faire des commentaires.
Abdellah Moustafaoui rappelle que le vieil adage marocain : « pour être au courant de ce qui se passe au Maroc, mieux vaut chercher à l’extérieur » est toujours une réalité dans le Maroc de la nouvelle ère.
Il ajoute : « le Palais ne communique qu’à l’occasion
d’événements particuliers tandis que la stratégie communicationnelle de
Mohamed VI est assez souple avec les nouveaux médias. Les réseaux
sociaux regorgent de photos privées de la famille royale et c’est
quelque chose de nouveau mais ceci reste limité par rapport à d’autres
monarchies dans le monde ».
Ibrahim Benbrik
Source : Al Araby
Traduit de l’arabe vers le français par Rida Benotmane
URL courte: http://www.demainonline.com/?p=36929
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