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Par Narjis Rerhaye, 19/7/2014
«La pédophilie est un crime, pas un délit», crient les associations
«Une honte»,
«Un crime contre l’enfance».
Au Maroc, les associations de défense des droits des enfants n’ont pas de mots assez durs pour condamner la clémence dont a fait preuve un tribunal pour condamner un pédophile surpris en flagrant délit.
Ce mardi 15 juillet 2014 restera
écrit en lettres noires dans les annales. Le tribunal de première
instance de Marrakech a prononcé un verdict où la clémence des juges
pose question. L’épicier de Marrakech surpris (et filmé) par ses voisins
en flagrant délit d’agression sexuelle d’un garçonnet de 10 ans vient
d’être condamné à deux ans de prison et à une amende de 10.000 DH en
guise de dédommagement pour la famille. L’indignation est totale.
«C’est
une honte pour tout le Maroc. C’est une honte pour les enfants, c’est
une honte pour les associations, pour la justice et pour tout le Maroc»,
a déclaré la présidente de l’Association «Touche pas à mes enfants» au
site d’information «Yabiladi».
Najia Adib est loin
d’être la seule voix à dénoncer ce scandale judiciaire qui intervient
un an après, jour pour jour, la libération d’un pédophile espagnol
condamné à 30 ans de prison. On s’en souvient, l’affaire avait ébranlé
l’opinion publique marocaine qui s’était mobilisée pour que l’enfance ne
soit pas violée impunément. Visiblement, les juges de Marrakech n’ont
pas tiré les enseignements de ce triste épisode qui avait vu
l’intervention du chef de l’Etat. La sentence prononcée, deux années
de prison, a provoqué la colère et l’indignation sur la Toile. Les
postes se suivent et se ressemblent, portant la même marque
d’écoeurement. «Que valent nos enfants?» «Nos enfants sont en danger?» «
Qui cherche à protéger les pédophiles?» «La pédophilie n’est pas un
délit mais un crime contre l’enfance».
L’affaire
de Marrakech a éclaté il y a près de deux semaines lorsque la vidéo
d’un pédophile marocain pris en flagrant délit a fait le tour du web. Le
présumé coupable est un épicier, âgé d’une cinquantaine d’années.
Postée, la vidéo du pédophile fait scandale
Ce sont ses voisins qui l’avaient surpris en train d’abuser d’un
petit garçon. La scène sera filmée et postée le 7 juillet sur Youtube.
Les réseaux sociaux et les médias s’emparent de l’affaire. Le scandale
éclate. Et un scandale peut en cacher un autre. Dans la vidéo du
pédophile de Marrakech, on peut entendre l’un des voisins, témoin du
forfait, dire à l’épicier surpris en flagrant délit que si la victime
était une fille et non pas un garçon, son cas aurait été moins grave.
Des propos qui ont suscité l’ire des internautes.
Depuis mardi soir –le verdict est tombé dans l’après-midi- les
commentaires fusent, plus amers les uns que les autres. La famille de la
petite victime est sous le choc. «Deux ans de réclusion et 10.000 DH
d’amende, ce n’est pas cher pour une enfance violée, traumatisée,
confisquée», soupire cet avocat. L’homme à la robe noire rappelle les
articles 485 et 486 du code pénal qui prévoient des peines de 10 à 20
ans de prison dans les cas de crimes sexuels commis sur un enfant de
moins de 18 ans.
«Est puni de la réclusion de cinq à
dix ans tout attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violences
contre des personnes de l'un ou de l'autre sexe. Toutefois si le crime a
été commis sur la personne d'un enfant de moins de dix-huit ans, d'un
incapable, d'un handicapé, ou sur une personne connue pour ses capacités
mentales faibles, le coupable est puni de la réclusion de dix à vingt
ans », stipule l’article 485 du Code pénal. Quant à l’article 486, il
prévoit que : «Le viol est l'acte par lequel un homme a des relations
sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci. Il est puni de la
réclusion de cinq à dix ans. Toutefois si le viol a été commis sur la
personne d'une mineure de moins de dix-huit ans, d'une incapable, d'une
handicapée, d'une personne connue par ses facultés mentales faibles, ou
d'une femme enceinte, la peine est la réclusion de dix à vingt ans ».
A Marrakech, la victime est un petit garçon qui n’a pas encore dix
ans. Et son violeur a été jugé par un tribunal correctionnel et non par
une Cour d’appel. «Toute la différence réside dans le choix d’une
juridiction de premier degré qui reste incompréhensible à nos yeux. La
pédophilie est un crime majeur et non un simple délit. C’est un scandale
judiciaire», s’insurge cette avocate mobilisée contre les agressions
sexuelles faites aux enfants, petites filles et petits garçons. Mais à
Marrakech, les magistrats de première instance ont préféré recourir à
l’article 484 du Code pénal et à sa clémence. «Est puni de
l'emprisonnement de deux à cinq ans, tout attentat à la pudeur consommé
ou tenté sans violence, sur la personne d'un mineur de moins de dix-huit
ans, d'un incapable, d'un handicapé ou d'une personne connue pour ses
capacités mentales faibles, de l'un ou de l'autre sexe».
La clémence de l’article 484 du Code pénal
Un article anachronique et purement scandaleux aux yeux des
juristes. «L’agression sexuelle d’un enfant est en elle-même une
violence. Et on est bien loin de l’attentat à la pudeur. Il est temps
que le législateur reconnaisse clairement pour mieux les sanctionner les
crimes de pédophilie», fait remarquer cet avocat qui a souvent plaidé
dans des dossiers de pédophilie.
Tourya Bouabid, la
présidente de l’AMESIP, ne cache pas son désarroi et dénonce à voix
haute l’inadéquation des condamnations prononcées dans de tels crimes.
«Lorsque l’on a des preuves réelles du délit, on ne peut pas condamner à
deux ans de prison! Soit nous donnons de vraies peines, soit nous les
acquittons dans ce type d’affaire (…) la récidive est encore trop
fréquente lorsque les condamnations sont aussi laxistes. L’histoire le
démontre! De telles peines n’inciteraient pas à dénoncer de potentiels
pédophiles», a affirmé cette défenseure des droits des enfants au site
«Médias 24».
A Marrakech, l’enfance brisée d’un petit
garçon violé par un sexagénaire, une famille éperdue de douleur et une
association, partie civile dans le dossier, qui se prépare à faire appel
d’un jugement inique. Reste l’essentiel, la nécessaire réforme d’un
Code pénal et la prise de conscience de magistrats de la gravité de
crime de la pédophilie. «L’image d’un Maroc qui s’accommode des violeurs
d’enfants est tout simplement insupportable», conclut cette
activiste.
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