Prisonniers politiques, la controverse
Prisonniers politiques, la controverse
Si les autorités le nient, de nombreuses associations assurent qu’un grand nombre de militants politiques dorment sous les verrous du fait de leur engagement.
« J’ai été poursuivi pour une affaire de stupéfiants, alors qu’on voulait me faire taire, à cause des mes activités politiques et syndicales », s’emporte Hamid Majdi, militant du parti de gauche PSU et syndicaliste à la CDT, qui a été arrêté, incarcéré et jugé pour trafic de drogue entre 2012 et 2013, avant d’être innocenté. A cette époque, son parti et son syndicat s’étaient dressés pour le soutenir et, vantant son « intégrité », assuraient qu’il s’agissait d’un prisonnier politique.Des prisonniers politiques, il y en avait 317 en 2013, selon le rapport annuel de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), rendu public fin juin 2014. Sans compter les prisonniers salafistes, estimés à plusieurs centaines. Un chiffre qui se rapproche de celui que comporte une liste proposée par l’Association de défense des droits de l’homme au Maroc (ASDHOM), mise à jour le 13 mars 2014, comprenant entre autres des jeunes de l’UNEM, des mineurs en grève, des militants sahraouis… Pourtant, le ministre de la Justice, Mustapha Ramid, laissait entendre un tout autre son de cloche, dès 2012, assurant qu’il y n’y avait aucun prisonnier politique dans les geôles du royaume.
Prisonniers politiques, ou presque
C’est que rares sont les détenus à avoir été condamnés pour des motifs directement politiques. La plupart le sont pour des affaires dites de droit commun. « Certains sont poursuivis pour des affaires à mi-chemin entre la politique et le droit commun, comme participation à un rassemblement non autorisé par exemple », nous dit Brahim El Ansari, membre de Human Rights Watch (HRW). « L’étiquette de prisonnier politique est devenue compliquée au Maroc », concède Eric Goldstein, responsable à HRW. En effet, la nouvelle Constitution garantit en principe la liberté d’opinion, bien qu’elle consacre encore quelques garde-fous, comme l’intégrité territoriale. Les associations tendent donc à opérer un distinguo, à l’instar d’Amnesty International, qui différencie les prisonniers « d’opinion » et les prisonniers « politiques ». « Les premiers n’ont commis aucun délit et sont détenus du fait de leurs convictions, tandis que les seconds ont pu commettre un crime sur la base d’un mobile politique », explique Mohamed Sektaoui, directeur d’Amnesty au Maroc. Et Mohamed Sebbar, secrétaire général du CNDH, est clair à ce sujet : « Il n’y a pas, à ma connaissance, de prisonnier d’opinion au Maroc, mais des prisonniers qui ont commis des délits, pénalisés pour des motifs politiques, comme c’est le cas de nombreux prisonniers salafistes », nous déclare-t-il. « Ils deviennent rares, en effet, ceux à qui l’on ne reproche aucune infraction », admet Goldstein. Ce dernier précise que HRW remarque, en ce qui concerne le Maroc, l’existence d’une troisième catégorie de prisonniers : des personnes « condamnées pour des infractions de droit commun, mais dont la poursuite cache une volonté de punir des prises de position politiques », explique t-il, avançant comme exemple celui du boxeur Zakaria Moumni, condamné en 2010 à de la prison ferme pour escroquerie.Définition à la barre
L’avocat Omar Bendjelloun, qui défend de nombreux militants, connaît bien cette situation. Il explique son ambiguïté : « Il est obligatoire de plaider le fond du dossier, car c’est à ce sujet, malgré tout, que les juges trancheront ». Reste que durant la plaidoirie, l’avocat peut, « s’il y a équivoque, faire allusion à la qualité de militant de l’accusé, dénoncer un zèle tout particulier ou un acharnement contre lui, et pointer du doigt l’opportunité étonnante des poursuites ». C’est à une plaidoirie de ce type que se livre l’avocat Mohamed Sadqo, qui défend les onze jeunes « du 6 avril », militants du Mouvement du 20 février, poursuivis depuis leur participation à une manifestation en avril 2014 pour « insultes et violences sur les forces de l’ordre ». Pour lui, il est clair que ses clients ont été arrêtés durant la manifestation « car ils scandaient des slogans trop radicaux aux yeux des autorités ».Le statut de prisonnier politique n’existant pas formellement, ce sont donc les associations ou les avocats qui essaient de l’imposer dans l’opinion publique et à la barre. « Nous démontons l’argumentaire officiel pour mettre en avant un autre discours », explique Samad Iach, membre du comité contre la répression et la détention politique, réseau informel créé après le 6 avril. « Dans le cas de ces jeunes, il est clair à nos yeux qu’il s’agit d’affaires politiques, où les autorités cherchent à punir des personnes dont le discours déplaît », argue-t-il. Pourtant, l’utilisation d’accusations de droit commun envers des militants ne va pas sans poser des soucis aux associations. « En ce qui concerne le dernier procès en date (en juin 2014, ndlr) du rappeur Mouad Belghouat (alias Lhaqed) pour ébriété sur la voie publique, nous attendons de voir le dossier de plus près et restons prudents. La question nous paraît plus délicate que lors de ses précédents procès », avoue, en off, le membre d’une association internationale de défense des droits de l’homme. Dans d’autres cas, des associations choisissent de s’en tenir à une ligne de conduite tranchée. C’était le cas pour les émeutiers de Sidi Ifni en 2005. « L’AMDH avait décidé de tous les considérer comme des prisonniers politiques et de réclamer leur libération. Et cela n’a rien d’étonnant : la très officielle Instance équité et réconciliation (IER) avait rangé les émeutiers de mars 1965 comme des prisonniers politiques, dont la violence n’avait été provoquée qu’à cause de celle, plus grande, des autorités », explique Abdelilah Benabdeslam, membre du bureau de l’AMDH.
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