Cour d’Appel de Casablanca – 12 juin 2014.
La cour a reporté au 12 juin sa décision concernant la demande de libération conditionnelle présentée par la défense au profit des neuf militants du Mouvement du 20-Février condamnés le 22 mai dernier à plusieurs mois de prison ferme.
Le dossier des neuf militants a été examiné en premier dès l’ouverture des audiences à 9H30. La salle était aux ¾ remplie des familles des accusés pour d’autres procès (notamment pour des affaires de drogue). Très peu de militants du M20F dans le public. Ces derniers étaient réunis à l’extérieur du tribunal (à proximité de l’entrée du boulevard Mohamed V) surveillés de près par plusieurs véhicules des forces de l’ordre. Les militants, dont en particulier des membres de l’UMT (aile dirigée par A. Amine qui tenait le mégaphone) ont scandé des slogans de soutien aux prisonniers, à leurs familles et au M20F.
Sur une dizaine d’avocats présents, six ont pris la parole, dont deux qui n’étaient pas présents au procès en première instance. Le bâtonnier A. Benamer n’était pas présent ce jeudi.
Comme lors du procès en première instance, les avocats ont choisi une défense politique, affirmant l’innocence des accusés et demandant leur libération conditionnelle en estimant qu’ils étaient de « vrais militants », des étudiants ou de jeunes travailleurs, qui soutiennent « les demandes légitimes » du peuple, dont la défense de « l’indépendance de la justice », qu’ils sont contre la violence et qu’ils protègent les biens d’autrui lors des manifestations contre les déprédations des délinquants. En résumé, ils n’auraient jamais du être interpellés, arrêtés, poursuivis, maintenus en détention préventive et encore moins condamnés au vu du fait que leur manifestation n’était pas interdite, que les trois centrales syndicales organisatrices de la marche du 6 avril ont témoigné en leur faveur, que les violences contre les membres des forces de l’ordre ne sont attestées que par de faux certificats médicaux et qu’ils présentent toutes les garanties de représentation en cas de liberté conditionnelle. Une avocate a même demandé au président et à ses assesseurs si les lois, la constitution et les conventions internationales signées par l’Etat qui garantissent un Etat de droit ne servaient que « pour l’image du pays à l’étranger afin d’obtenir des prêts et des investissements ». Me Messaoudi a également fait appel au « père » qui aime ses enfants et au « patriote » qui aime son pays.
Le procureur est intervenu alors très brièvement pour ne pas s’opposer à la demande de la défense (à la surprise générale). La cour a annoncé qu’elle mettait sa décision en délibéré pour le 17 juin prochain.
Pour ceux et celles qui ne l’ont pas reçu, voici le résumé du procès en première instance :
Les 11 militants du mouvement du 20-Février (M20F) ont été arrêtés le 6 avril 2014 à Casablanca au cours d'une manifestation organisée par les trois principales confédérations syndicales du Maroc qui entendaient protester contre la politique sociale du gouvernement. Ils ont été accusés de participation à manifestation non autorisée et à violence contre agents dans l'exercice de leurs fonctions.
Ils ont été arrêtés par des policiers en civil, presque vers la fin de la manifestation en plein centre de la ville, brutalisés et jetés dans des fourgonnettes de la police qui attendaient. Au cours de leur interrogatoire, les policiers voulaient leur faire dire qu'ils ont vu tel ou tel camarade frapper des policiers. Sur les 11, 9 ont refusé de signer le procès verbal de leur interrogatoire pour cette raison principalement et ont été jetés en détention préventive et condamnés par la suite aux peines les plus dures. Les deux derniers, dont le PV ne comportait pas de telles fausses accusations, ont accepté de le signer et ont été laissés en liberté provisoire en attendant leur procès. Ils ont été relaxés par la suite de l'accusation de violence contre agents mais condamné à deux mois avec sursis pour participation à manifestation non autorisée.
Au bout de 7 audiences épuisantes, les condamnations sont tombées tard le 22 mai.
Hamid Alla, Youssef Bouhlal, Abdellatif Essarsi, Hamza Haddi et Abdelghani Zeghmoun, ont été condamnés à 1 an ferme pour les deux chefs d'inculpation.
Mustaphaa Aarass, Ayoub Boudad (19 ans, surnommé Simpson parce qu'il a une vague ressemblance avec Bart Simpson, incarcéré au Centre de Réforme de Oukacha), Mohamed Harraq et Hakim Serroukh, ont été condamnés à 6 mois de prison ferme pour les deux chefs d'inculpation.
Fouad Al Baz et Amine Lekbab, les seuls qui ont comparu en liberté provisoire, ont été condamnés à deux mois avec sursis pour uniquement participation à manifestation non autorisée.
Tous les 11 ont en outre été condamnés à verser des dommages et intérêts de 50.000 dirhams à la direction générale de la sécurité nationale (DGSN), partie civile.
Leur arrestation et leur procès ont été émaillés de plusieurs violations du code de procédure pénale et des droits de la défense. Le juge et le procureur du roi affirmant à chaque interpellation de la défense qu'il s'agissait d'"un procès ordinaire", faisant semblant d'oublier le dispositif policier. la présence de nombreux avocats dont des ténors de la profession, des journalistes (dont quelques étrangers), des observateurs d'ONG (Amnesty, CNDH). Ils ont de même refusé la comparution des "victimes", c'est à dire les policiers qui auraient été agressés et qui n'étaient représentés que par une seule avocate. Cette dernière n'a ouvert la bouche qu'une seule fois, à la fin du procès, pour réclamer des dommages et intérêts pour ses clients.
Malgré les demandes insistantes du comité de défense, composé d'une douzaine d'avocats et d'avocates, avec à leur tête l'ex-bâtonnier Abderrahmane Benamer (plus de 80 ans, présent à chaque audience depuis Rabat), les audiences ont été organisées dans l'une des plus petites salles du tribunal de première instance de Casablanca.
La publicité des audiences n'a pas été respectée. A chacune des 7 audiences, le tribunal était encerclé depuis l'enceinte extérieure jusqu'à la salle d'audience par des policiers, contrôlant les entrées, interdisant l'entrée aux jeunes soupçonnés d'êtres des militants du M20F, à des parents des accusés et même à une occasion à l'un des accusés laissé en liberté provisoire (Fouad). Le juge Saadaoui et le procureur du roi ont prétendu à chaque fois que les audiences étaient publiques puisque "les portes de la salle sont ouvertes". Ils ont de même nié "avoir donné des ordres pour interdire l'entrée à quelque personne que ce soit". Comme ils ne répondaient pas à la question "Qui a donc donné l'ordre de boucler le tribunal?", un avocat s'est même écrié "Serions nous dans un Etat où la police fait la loi? Un Etat policier?".
Par contre, des individus recrutés dans la pègre (baltagia) étaient à chaque audience autorisés à entrer.
Les audiences devaient commencer à 16h mais le juge traitait en premier les très nombreux flagrants délits et n'appelait le dossier des "Onze" qu'en dernier, soit vers 20h. Les familles qui étaient venues pour soutenir les pauvres bougres qui comparaissaient individuellement ou en grappes, s'en allaient au fur et à mesure. Ainsi le bon peuple n'assistait pas au procès politique et ne risquait pas d'entendre les envolées enflammées des avocats.
Parmi les aberrations du procès, les avocats ont récusé les certificats médicaux (rédigés en français) présentés par la police parce qu'ils étaient presque tous datés de 10h alors que les arrestations ont eu lieu après 12h! A la dernière et 7e audience seulement, le procureur a daigné aborder ce sujet en déclarant solennellement: "J'ai fait une enquête. Il s'avère qu'il s'agit de 10 h du soir". La réaction de la salle a été l'hilarité générale. Ce procureur s'est distingué également à une autre occasion qui a provoqué l'hilarité générale lorsque il a voulu prouver que le procès était conduit normalement puisque "la justice et donc la monarchie marocaines sont plus anciennes que même les monarchies britannique et espagnole".
Il va sans dire que les avocats ont réclamé en vain la comparution des "victimes". A la dernière audience avant le prononcé de la sentence, le juge a fini par concéder "Il sera fait appel aux victimes en cas de besoin". Il n'y a plus jamais eu d'audience depuis.
Le procès a été marqué également par le mépris total de la part du juge, qui ne respectait que le décorum. A titre d'exemple, il n'a même pas écouté le réquisitoire du procureur du roi, montrant ainsi ostensiblement qu'il en connaissait le contenu, vide par ailleurs de toute logique, par coeur. A une occasion un avocat a renoncé à intervenir parce que le juge refusait de lever les yeux d'un document qu'il compulsait.
Au cours de son interrogatoire des accusés, il s’est distingué par une hargne particulière et revenait sans arrêt à la charge pour faire dire aux accusés qu’ils étaient « membres du mouvement du 20 février », qu’ils étaient « solidaires » des autres membres du MF20, qu’ils étaient venus à la manifestation du 6 avril à l’appel du M20F. Il a poursuivi ses questions malgré toutes les dénégations des accusés et les tentatives d’intervention de la défense. A ce moment du procès, le juge n’a plus continué de faire semblant (qu’il était là pour rendre « une bonne justice » dans un procès ordinaire), il a montré clairement qu’il voulait condamner les onze pour appartenance à une organisation non autorisée qui s’appelle le Mouvement du 20 Février et uniquement pour cela.